Une foule de personnages gravite autour de Math, point névralgique d’un récit polyphonique, lâche et sinueux, bâti sur les principes de répétition et d’accumulation. The Smell of Us est aussi un film de groupe, mais du groupe comme figure fantomatique, somme de solitudes qui, le temps d’un shoot ou d’une caresse, se soutiennent. Clark dresse le portrait déstabilisant d’une jeunesse née sous le signe du vide et du non-sens, qui ne trouve un exutoire à sa soif de révolte que dans l’abandon et la destruction des corps. La société, magma englobant et mortifère, finit toujours par récupérer, d’une manière ou d’une autre, ses marginaux : ici, en vampirisant les énergies, le fluide corporel, de ces éphèbes aux silhouettes graciles. Dès lors, et là repose toute la tragédie du film, c’est bien du côté de l’âge nubile que la mort fait son nid, comme un gouffre, un appel du vide. Il y a, vers la fin, suite au suicide de l’un des leurs, un plan fabuleux, qui voit un petit groupe d’adolescents assis sur un pont. Les garçons enfourchent leur skateboard, s’éloignant dans le fond du plan, en quête d’un nouvel horizon, tandis que la fille reste là, indifférente. Son regard vient alors à se pencher, de manière presque imperceptible, par-delà la barrière du pont, comme attiré par le vide. Toute la puissance de la séquence tient dans cette sublime suspension, sur le fil d’une temporalité étirée à l’infini, dans l’attente terrifiante d’un geste qui, finalement, ne viendra pas.
Si The Smell of Us atteint une telle force d’anarchie poétique, c’est aussi parce qu’il repose, dans ses replis les plus secrets, sur un continuel jeu de miroirs. Ainsi, l’une des plus belles idées du film voit un questionnement (comment signifier l’absence totale d’horizon de ces jeunes désoeuvrés ?) s’incarner à travers un personnage, celui de Rockstar, vieillard crasseux – joué par le cinéaste lui-même – traînant sa silhouette mutique et désincarnée aux côtés de Math. La dimension métaphorique du personnage est aussi frontale que tragique, cette épave humaine n’étant qu’un reflet du jeune homme dans son propre devenir. Il y a aussi ce personnage de filmeur qui, sans cesse, brandit sa caméra, et ce, jusque dans des situations où il ne peut être réellement présent. Incarnation d’une banalisation des images dans un monde surmédiatisé ? Oui, mais pas seulement. Ici se joue quelque chose de plus opaque, où le caractère fondamental de l’image (préserver les corps et les formes) est relayé par son envers prophétique, un pouvoir d’éclairement qui transcende la simple apparence, comme si les corps eux-mêmes se révélaient dans leur morbidité essentielle, encore à venir mais déjà là, enfouie.