Témoin indésirable

Article écrit par

Quand une cause semble si irrémédiablement perdue, comment continuer d´y croire ?

« En fait, sous de nombreux aspects, l’histoire de Hollman Morris se déroule chaque jour ici, ailleurs, tout près de chez nous. C’est ce qui fait, je pense, sa force. ». C’est ainsi que Juan José Lozano décrit son sujet. Pourtant, sous de nombreux aspects, Hollman Morris n’est pas un homme comme les autres. Certes, il a une épouse et des enfants. Mais il est aussi le dernier journaliste de son pays à s’intéresser au conflit armé Colombien, qui dure depuis plus de quinze ans. Il est le dernier à filmer, à se sentir responsable en tant que journaliste. Ses confrères ont baissé les armes, devant un peuple fatigué de compter les morts d’une guerre lointaine et irréelle, bien plus passionné par les émissions de divertissements que par la dénonciation. « Un jour, quand les morts parleront, la société colombienne nous demandera des comptes, à nous les journalistes. », dit il. On se demandera alors, comment on a-t-on pu passer à côté d’un tel massacre ? Et comment la presse a-t-elle pu en arriver à un tel degré d’auto censure ? Pourquoi avoir fermé les yeux sur ce conflit d’une violence inouïe, bafouant avec désinvolture les Droits de l’Homme, et ceux d’un peuple ?

En attendant, Morris diffuse son émission « Contravia », la nuit, dans une indifférence frappante. Apprenant que l’émission va probablement cesser, Juan José Lozano prend sa caméra, dresse le portrait de cet homme qui nage à contre courant, et nous donne « Témoin Indésirable ».
Alors il y a cette femme qui dit qu’elle préfère mourir que d’avoir faim. Et puis cet avion qui avale une troupe de treillis avant de décoller. Et cet homme qui montre les photos d’un « cours » donné aux jeunes recrues militaires, sur la meilleure façon de découper un corps, pour qu’il prenne le moins de place possible. Et puis ces femmes, qui courent après leurs époux, leurs fils disparus, et se retrouvent dans la jungle, à attendre qu’on veuille bien déterrer ces restes humains, qui seraient peut être la clef d’accès nécessaire au deuil. Et après, ces larmes, ces silences. Interminables.

Mais les larmes sont aussi celles de l’épouse d’Hollman Morris. La carrière de son mari lui tire des larmes de joie lorsqu’il reçoit, en novembre 2007, l’un des prix les plus prestigieux au monde, le Human Rights Watch Defender Award. Le reste du temps, les menaces de mort, les pressions de toute sortes, de la guérilla, en passant par les paramilitaires, les fonctionnaires corrompus, contraignent la famille à se protéger au moyen de gardes du corps omniprésents. Hollman Morris se demande alors combien de temps cela va durer. Jusqu’à quand cela sera-t-il possible ? Progressivement, apparaissent ces problématiques propres à son métier : comment gérer sa responsabilité privée de père, et d’époux, en parallèle à l’immense responsabilité médiatique qui est sa vocation ? Quand une cause semble si irrémédiablement perdue, comment continuer d’y croire ? Juan José Lozano, au sein de cette force tranquille qu’est son œuvre, nous pose alors non seulement la question de l’individu, mais aussi celle de la position de l’homme publique, de celui qui détient le pouvoir d’informer les autres, de sa place au sein de la société, au sein de sa famille. « Témoin Indésirable » est une force tranquille, dénuée d’agressivité, qui n’a pas la prétention de vouloir répondre à de telles interrogations. Mais ses créateurs peuvent se vanter, au moins, d’avoir posé les bonnes questions.

Titre original : Témoin indésirable

Réalisateur :

Acteurs :

Année :

Genre :

Durée : 85 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi