Taxi Sofia

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Si le film commence comme le cauchemar d´un homme, en reprenant les codes du thriller mafieux, on comprend très vite qu’il s’agit d´un cauchemar plus grand, celui d´une ville (Sofia) et en fin de compte d´un pays (la Bulgarie).

Le Taxi Sofia roule avec une construction narrative de qualité, dans la veine de Night on Earth de Jim Jarmusch (1991). Six chauffeurs de taxi se succèdent dans la narration sans avoir de lien pour autant. Cependant, le message porté par le film dépasse le cadre de l’anecdote dans un taxi et diffère largement de la légèreté de Jarmusch, amenant un propos global sur la Bulgarie et la question de sa rédemption.
 


Six en un

Tout va à une allure folle dans le prologue en plan séquence du long métrage. Un rendez-vous entre un chauffeur de taxi et son banquier vire à l’assassinat et se clôt sur un suicide. Le film n’a commencé que depuis une dizaine de minutes. Et déjà nous avons perdu tous les personnages.

Le spectateur, déboussolé, voit alors le film recommencer, à la lueur de ce qui vient d’avoir lieu. Désormais, il n’y a plus de personnage principal mais une suite de situations, apparemment isolées, et finalement étroitement reliées les unes aux autres. Ce qui permet la liaison, au delà du taxi jaune YellowSofia, dans lequel chacun des conducteurs se trouve, c’est la fréquence radio. Cette fréquence, voix-off aux multiples interprètes, plane sur l’ensemble du film, et met en évidence le contexte social de la Bulgarie tout en lui donnant presque un aspect de reportage. Elle aborde successivement la situation des PME, de la prostitution, du suicide des profs, de la mafia et de la justice, des réfugiés syriens et des natifs bulgares, des emplois cumulés… Le contexte apparaît d’ailleurs comme un miroir obscur de la situation en Europe, et qui permet au film de porter une voix au delà de ses frontières. Se succèdent à l’antenne défenseurs et accusateurs, une suite d’interventions parfois stériles, parfois grandiloquentes, qui mettent en évidence l’étendue du problème bulgare, jusqu’aux fondements mêmes de l’Etat.

Tandis que les clients et les conducteurs de taxi s’interchangent, dans un cadre toujours identique et sans fantaisie, la caméra oscille en plan séquence entre le conducteur et les passagers, qu’elle filme toujours depuis la place du passager avant. Siège qui semble d’ailleurs lui être réservé puisque, même lorsqu’un groupe de trois jeunes hommes entre dans le taxi, l’un d’eux taquine l’autre sur le fait qu’il aurait dû s’asseoir à l’avant. Cette caméra est toujours placée du côté du conducteur, et nous permet de le rencontrer toujours en amont des passagers, ce qui nous place en empathie avec lui plutot qu’avec eux.

Comme une réponse à tous ces films où l’on suit des personnages dans leurs virées nocturnes, sans prêter attention aux conducteurs des taxis qu’ils empruntent, éléments totalement secondaires dans la diégèse. Ici l’oeuvre s’inscrit en opposition frontale avec ce modèle, et filme les passagers depuis l’oeil du taxi, sans aller pourtant jusqu’à filmer dans son rétroviseur, c’est de leur point de vue qu’on aperçoit les autres. Finalement la fin renoue avec le début, et permet à Taxi Sofia de s’élever philosophiquement, et de trouver sa cohérence.
 


La notion de rédemption

Il y a une dimension religieuse extrêmement forte, qui explique sans doute le choix de l’affiche : le prêtre parmi les six chauffeurs, comme une explicitation de cette dimension religieuse. L’un des chauffeurs empêche une jeune fille de se prostituer, l’autre empêche un homme de se suicider, une autre accompagne un médecin à l’hôpital puis assène la punition à un autre pour ses actes passés… Le chauffeur est le seul à vraiment écouter les autres, à prêter attention à ce qui se passe autour de lui, tel un confesseur des temps modernes. La question de Dieu est par ailleurs omniprésente, et est posée frontalement à la toute fin par le prêtre : « Croyez vous en Dieu ? » à laquelle le passager répond par une liste d’injustices qui rendent impossible l’existence de Dieu, lequel a d’ailleurs « déserté » la Bulgarie depuis longtemps. La Bulgarie est un « cadavre » déclare le médecin, et ne peut être sauvée, même avec un nouveau coeur. Le taxi devient alors le lieu d’une totale remise en question, où l’on revient sans cesse à l’idée de sauver, d’être sauvé, que ce soit à l’échelle de l’individu ou à celle du pays. Ainsi, la destinée individuelle est étroitement liée à la destinée du pays, et l’une n’est jamais traitée sans l’autre. C’est ce qui confère à ce film une grande profondeur.

Titre original : Taxi Sofia

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Durée : 103 mn


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