Un couple d’architectes, Ivan et Elena, attend son premier enfant, et décide alors de quitter Barcelone pour vivre dans une petite maison qu’Elena a hérité de sa tante. Outre cette vieille ferme isolée dans la campagne, la jeune femme est aussi propriétaire d’une grande forêt de chênes liège (suro) que les jeunes mariés souhaitent exploiter afin de rentabiliser leur domaine.
Le film débute par une soirée d’au revoir aux amis, soirée qui constitue également un adieu à Barcelone et à la vie urbaine. Ivan et Elena entament une chorégraphie attestant l’aspect fusionnel de leur rapport : le spectateur se croit immergé dans une comédie musicale, ou un feel good movie. Après cette séquence en plan américain, la rupture spatiale surgit en plan de grand ensemble sur un paysage rural, au beau milieu duquel se tient une bâtisse en pierre. Ivan et Elena exposent leurs projets, adoptent un âne (Bim) à propos duquel ils ne tiendront pas la promesse de lui adjoindre un compagnon ou une compagne. Ils s’intègrent rapidement à la population locale (notamment lors d’une ducasse), et reçoivent une proposition d’un responsable d’une équipe de bûcherons (Maurici) afin de récolter les écorces des chênes-liège du domaine forestier.
Une inquiétante étrangeté prend place : les bûcherons s’avèrent peu communicatifs avec Ivan lors des journées de labeur, Elena est plus acceptée par eux, puisqu’elle est la nièce de l’ancienne propriétaire, Dolorès. Ivan, puis Elena, sympathiseront avec un jeune ouvrier, Karim, qui loge dans une étable attenant à leur ferme. Karim deviendra le philtre révélateur des tensions du couple par rapport au domaine, et à son exploitation par l’équipe des bûcherons, de plus en plus troublante.
L’utopie initiale laisse ainsi place à un éloge bucolique, pour finir par un thriller. En contraste avec de magnifiques plans de la nature accompagnés du son du vent, nous contemplons des images d’incendies (télévisées), des images d’arbres secs brûlés par l’été aride. Le film fonctionne finalement par des oppositions : l’eau du robinet de la ferme en inserts, et une plongée montrant Elena à l’intérieur de la grande cuve vide, comme emprisonnée par cette nouvelle existence. Ivan l’urbain, celui qui est toléré, Elena la native, acceptée comme membre de la communauté. Elena, en position de force de décision, tandis qu’Ivan ne fait qu’approuver et exécuter les projets de son épouse. Des oppositions, certes, mais aussi des menaces : celles du vent, du feu, des bûcherons. L’isolement surgit dans la nature, les enclos, les groupes.
Malgré la qualité du son (le vent, l’écorce détachée des arbres), de l’interprétation (dans les dialogues ou les regards, les silences) et de la photographie (une colorimétrie et une luminosité maîtrisées), le spectateur peut rester sur sa faim, le film restant à la lisière de plusieurs pistes peu développées. Un manque de dynamique ou d’accélération du récit et du montage donne au final une œuvre déceptive. Le réalisateur eût pu s’engager dans les chemins d’un Bresson (l’âne), sur les terres d’un Boorman voire d’un Peckinpah, il reste au bord du sentier. Même la fin méritait plus d’ampleur.