Super 8

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Un film coupé en deux, tout d’abord lyrique et brillant, puis qui se perd dans un dernier tiers totalement raté.

La fin des années soixante-dix fut une époque bénie pour toute une génération de cinéphiles, celle de J. J. Abrams, de son producteur Bryan Burk, de Matt Reeves (réalisateur de Cloverfield, produit par Abrams), époque marquée par une doublette S-F de Spielberg (Rencontres du troisième type, E.T.) à la délicatesse visuelle et narrative qui sera l’une des trois références au croisement desquelles Super 8, blockbuster estival, choisira de s’installer. Abrams, cinéaste-alchimiste, y enrichit sa formule en synthétisant la poésie mélancolique des films de Spielberg avec un hommage au brigandage / bricolage adolescent des tournages en super 8 (des films de zombie, bien évidemment, avec comme parrain officieux un Romero au sommet de son art avec les sorties de Martin en 1977 et Dawn of the Dead en 1978) et un certain foisonnement narratif (des fictions qui bifurquent puis s’épaississent à l’aide de mystères et convergences surprenants, et autres paradoxes temporels) qu’on lui reconnaît comme marque de fabrique au cinéma (Star Trek, Mission impossible 3) comme à la télévision (Alias, Lost, Fringe).

Les quelques images montrées lors d’une précédente projection laissaient entrevoir l’envergure et la complexité du projet. Le résultat est pour le moins stimulant, à des années-lumière de ses tristes concurrents Transformers 3 ou Harry Potter. Mais après deux tiers parfaitement menés, il perd de sa force, ne sachant plus, après tant de virtuosité, sur quel pied danser. A force de vouloir faire un film-somme dans lequel coexistent action et mélodrame, poésie de l’enfance et spectaculaire hollywoodien, deuil de l’enfant et guérison de l’adulte, mystère, danger, lyrisme et ironie, Abrams s’étend, perd le fil, manque de simplicité, et fait quelques choix malheureux. Après de très belles envolées.

 

 

La plus belle réussite du film, c’est sa dimension de portrait générationnel, véritable hommage à la cinéphilie de ses auteurs. 1979, un trou perdu au fin fond de l’Ohio, les grandes vacances : une bande de gamins peuplent l’ordinaire de leurs vies et de leurs blessures en tournant en super 8 un film fantastique. Et voilà qu’en réponse à cet appel au merveilleux leur est livrée au cours d’une nuit de tournage en contrebande (après s’être esquivés discrètement de la maison familiale et avoir retrouvé sur la route la plus belle fille du collège conduisant sans permis la voiture de son père, emmenant ainsi toute la troupe près d’une voie de chemin de fer choisie pour le film) une scène au-delà de leurs espérances : sous leurs yeux ahuris leur professeur de sciences au volant d’une camionnette percute un train lancé à pleine vitesse, provoquant un accident spectaculaire. Celui-ci est enregistré sur pellicule. Suite à cela, des phénomènes mystérieux se produisent, des personnes disparaissent, l’armée investit le secteur et semble mener des investigations tout en restant totalement hermétique aux questionnements de la police. Le film super 8 révélera aux enfants la cause de ce remue-ménage, à savoir l’évasion du train d’un monstre extraterrestre lors de l’accident. Un monstre qui va par projection servir de réceptacle à des situations émotionnelles conflictuelles (perte de la mère, rapport père-fils difficile).

Cette aspiration au fantastique est parfaitement rendue par la description du petit groupe d’ados, véritables aventuriers de l’imaginaire dont l’étonnante vitalité est portée par un sens (amoureux) de la dérision qui transparaît tant dans l’interprétation que dans la mise en scène. Parmi ceux-ci, Joe, personnage principal, atteint depuis la mort de sa mère d’une mélancolie que compensent les moments de tournage (que tente de lui interdire son père) avec ses amis, et la rencontre avec la jeune Alice. Les meilleurs moments du film sont ainsi ceux qui parviennent à faire pénétrer dans l’intimité de cet ado tout en restituant la poésie particulière de son quotidien (le deuil, l’ennui des grandes vacances). Les deux plus belles scènes le montrent ainsi regardant, chaque fois sur pellicule super 8, tout d’abord des images de sa mère dans sa chambre en compagnie d’Alice, puis revoyant l’accident de train et découvrant pour la première fois le monstre. Le cinéaste opère par son intermédiaire une jointure entre le désir d’évasion lié à l’univers S-F du film et la tristesse de l’image faisant office de souvenir de l’être aimé, l’un venant répondre à l’autre, les deux venant s’incarner dans le support (aujourd’hui devenu mythique) super 8. Bel hommage.

Et puis, ça dérape dans la dernière partie quand, après la disparition du personnage féminin, on comprend que le cinéaste n’assumera pas totalement la nature inquiétante et dangereuse de son intrigue, ouvrant sur des scènes ahurissantes où l’on voit la bande d’ados courir au milieu d’un champ de bataille avec explosions dans tous les sens tout en sachant très bien qu’ils ne risquent rien. Le film perd alors, et nous avec, tout ce qu’il avait jusque-là gagné, s’abimant dans une suite insensée d’images totalement désincarnées, laissant de quoi nourrir le regret d’avoir manqué d’assister à la projection d’un très grand film.

 

Titre original : Super 8

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Durée : 110 mn


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