Sunhi

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Nouvelle variation amoureuse de Hong Sang-soo, joyeusement mélancolique.

A plusieurs reprises dans le film, des hommes – trois, précisément – tentent de définir Sunhi, la jeune femme du titre. Les mots s’essayent : elle est “réservée”, parfois “bizarre”, tous s’accordent à dire qu’elle a “un grand sens artistique”. Depuis Haewon et les hommes (2013), et après s’être toujours intéressé aux hommes, Hong Sang-soo veut décrypter les femmes. Ici Sunhi donc, étudiante en cinéma (forcément) qui se verrait bien partir poursuivre plus loin son cursus, aux Etats-Unis. D’où la demande d’une lettre de recommandation à un professeur aimé, qui accepte en affirmant qu’il ne pourra dire que “ce qu’il pense vraiment”. La lettre sera écrite deux fois, c’est important, selon les sentiments de l’homme à l’endroit de son élève. Il y a que Sunhi, tout le monde l’aime beaucoup, parce qu’elle est belle et “très intelligente”. Il faut dire qu’elle comprend tout l’intérêt qu’il y a à être convoitée. Quand elle recevra une deuxième lettre élogieuse, après s’être plainte d’une première trop tiède, la fausse ingénue semblera presque s’étonner : “cette lettre, elle me décrit telle que je suis vraiment ?”

Décrire Sunhi : une tentative, celle d’Hong Sang-soo, qui l’entreprend avec autant de sérieux qu’il sait d’avance qu’elle est vaine. Trois hommes entourent Sunhi, trois universitaires aussi lettrés qu’ils perdent tous leurs moyens devant l’objet de leur affection. 3+1, presque une équation à plusieurs variables que le cinéaste s’amuse, avec son sens toujours plus affûté de l’humour cruel, à voir systématiquement échouer. Sunhi est insaisissable, apparition qu’on s’étonne à chaque fois de voir, qu’on la croise par hasard ou qu’on ait rendez-vous avec elle – il se pourrait toujours qu’elle ne vienne pas. Mais quand elle est là, le charme opère à coup sûr : autour d’un verre (l’alcool coule à flots, gimmick par excellence du réalisateur coréen) ou sur les bancs de la fac (Sunhi trouble au point qu’on lui ment pour la garder un peu). Sur une musique enfantine extrêmement répétitive, Hong Sang-soo entremêle tout cela sans logique vraiment apparente, mais avec une maestria et une élégance telle qu’on prend tout comme ça vient – ponctué de zooms brutaux, sa passion depuis In Another Country (2013).

 

Difficile de situer le moment où le cinéma de Hong Sang-soo est devenu si minimaliste, si travaillé par les motifs plus que les scénarii, ou par l’image numérique un peu cradingue que le sens de la mise en scène de HSS arrive pourtant à transcender. Au moment de la sortie d’Haewon, un article de Chro évoquait à quel point son oeuvre commençait à ressembler à un carnet de notes. C’est d’autant plus vrai pour ce Sunhi qui semble tout du long naviguer à vue, empêtré comme ses personnages dans sa tentative impossible d’appropriation de la femme. Le titre original, d’ailleurs, est “Our Sunhi” – notre Sunhi, et le pronom possessif rend bien plus justice à ce qu’est l’histoire du film, celle d’une femme qui pourrait être celle de tous les hommes mais n’est évidemment qu’à elle-même, qui aime bien les compliments mais ne saurait les prendre tous à la fois, c’est éreintant. Et dans une pirouette finale, la joyeuseté mélancolique du film distille son écorchure quand, dans une scène gracieuse, un renoncement collectif devient pour Sunhi le théâtre de sa solitude.
 

Titre original : Sunhi

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Durée : 98 mn


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