Stories We Tell

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Si si la famille.

Sarah Polley a 34 ans, elle est Canadienne. Elle est actrice-scénariste-réalisatrice, dans l’ordre chronologique. On l’a découverte devant la caméra d’Atom Egoyan dans De beaux lendemains (1997), revue et aimée dans les films d’Isabel Coixet, Ma vie sans moi (2003) et The Secret Life of Words (2006). Elle a réalisé un premier long métrage avec Julie Christie, Loin d’elle (2007) ; puis un deuxième avec Michelle Williams, Take This Waltz (2010), inédit en France. Sarah Polley a un père et une mère – morte d’un cancer quand elle était enfant -, des frères et sœurs. Une famille normale, en gros, où l’on se remémore les souvenirs, où le passé s’évoque plus ou moins discrètement, avec plus ou moins d’amertume et de nostalgie. Stories We Tell est son troisième long métrage, et c’est sa famille et les histoires qu’elle se raconte que la cinéaste a décidé d’observer. Avec, comme postulat de base : pourquoi les récits s’entremêlent-ils mais diffèrent toujours un peu les uns des autres ? Comment chacun compose-t-il sa propre version d’une histoire ? Pour cela, elle a interviewé les membres de sa famille, des amis de la famille, puis des amis d’amis de la famille, ceux qu’elle ne connaissait pas mais dont le nom revenait trop souvent pour ne pas s’y intéresser.

L’entreprise est passionnante, et à moitié réussie. Elle intéresse d’abord, quand on voit Polley (qui se filme en train de tourner son film) interroger ses proches sans trop savoir dans quelle direction aller. Un par un, elle leur demande de raconter la mère, disparue tôt, qu’elle a peu connue ; et le couple qu’elle formait avec le père. Alors ils se lancent, timidement au début, un peu plus facilement pas la suite. Ils ne savent pas très bien comment s’y prendre, la mémoire est confuse. Quelque chose revient : la mère était vive, drôle, plutôt speed, dans un entrain permanent. Ça, tout le monde le dit. Puis une amie demande : est-ce que ce ne serait pas pour cacher une angoisse, un désarroi tout du moins ? Stories We Tell est, dans sa première moitié, attachant parce qu’il avance à la même vitesse que ceux qui le racontent : Sarah ne sait pas très bien où elle va, elle tâtonne, et le film avec elle, traversé par la drôle d’idée que chaque membre de la famille croit détenir la vérité et raconter l’histoire telle qu’elle s’est réellement déroulée. Les anecdotes se croisent, une même question posée à deux personnes différentes obtient des réponses diamétralement opposées.
 
 

Michael Polley, le père
 
 
C’est un film fait au fur et à mesure, au gré des réponses et des récits. C’est extrêmement tendre, ultra sincère, d’autant plus que des secrets ne tardent pas à se révéler, et que des interrogations se font jour. Qui étaient vraiment mes parents ? Comment ont-ils pu vivre ensemble durant toutes ces années ? Sarah découvre que ça n’a pas été toujours facile, que la mère a, à un moment, accepté une pièce à Montréal (ils habitaient Toronto), délaissant la famille pendant quelques mois. Car les deux parents de Sarah sont comédiens, comme elle, c’est même comme ça qu’ils se sont connus. Pour le film, elle a demandé à son père, Michael, d’écrire l’histoire de sa vie, qu’il raconterait en voix off à certains moments du tournage. Ce sont les plus belles scènes du film, dans lesquelles on voit Sarah, émue, demander à Michael de reprendre un passage : là, quand tu as parlé de Maman, ta voix a fléchi, est-ce que tu pourrais juste recommencer ce petit bout ? Stories We Tell, dans ces instants, est presque magnifique, car il rappelle que les Polley ont beau être une famille « normale », c’est aussi une famille d’acteurs, qui savent raconter une histoire mieux que d’autres, très conscients de ce qu’est une réalité augmentée.

Le film de Sarah Polley serait donc totalement réussi s’il ne manquait finalement pas d’un véritable angle, d’un agent plus à même de lier les différentes strates du récit. Car il y a là au moins dix niveaux de narration qui s’entrechoquent, donnant, après un certain temps, une désagréable impression de fourre-tout : documentaire et fiction sont au coude à coude ; prise de vues réelles et actuelles répondent à une reconstitution en Super 8 de moments-clés de la famille Polley, eux-mêmes confondus avec de vrais enregistrements vidéo retrouvés au grenier. La construction est, du même coup, assez branlante : le procédé, artificiel, n’est pas dérangeant, mais peine à faire dégager, dans la majeure partie du film, des enjeux intéressants au-delà du cercle intime. On sent bien que ce magma, parfois écrasant, participe d’une volonté de Sarah de ne pas couper la parole à ses proches, de leur laisser le temps de faire surgir les histoires. C’est ce même défaut qui rend Stories We Tell émouvant par endroits : en croisant les points de vue, Sarah fait le portrait en creux d’un mariage, celui de ses parents. Son film ne parle finalement que de Diane, la mère : a-t-elle été heureuse ? Michael a-t-il été heureux avec elle ? Ces réponses, elle ne les aura pas – chacun a sa petite idée sur la question. C’est l’occasion de revenir sur le père, très impliqué dans le projet : un comédien à la retraite, qu’elle laisse s’exprimer et à qui, des années après, elle offre sans doute son plus beau rôle.

Titre original : Stories we tell

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Durée : 108 mn


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