Soeur Sourire

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Biopic belge, de facture justement modeste, sur la fameuse << nonne chantante >> des années 60. Cécile de France, physiquement très engagée, évite le piège de la performance mimétique. Elle est, à l´image de son personnage, intègre, têtue, bouleversante.

In the mood for love. On pourrait simplement commencer par là. D’une chanson entêtante (“I’m in the mood for love”, très exactement) à l’autre (“Dominique”), il y a certes deux façons antinomiques de faire du cinéma (Wong Kar-Wai et Stijn Coninx). Mais un producteur commun pourtant (Eric Heumann)… Et chaque fois la volonté de bâtir un film tout entier sur l’Amour, avec un A majuscule.

La comparaison s’arrête là : loin des atermoiements sublimes d’interdits d’un Hong-Kong « sixties » fantasmé, Sœur sourire, librement inspiré de la vie de Jeannine Decker, alias Sœur Luc-Gabriel, opte pour le biopic narratif, linéaire. Modeste. Peut-être par manque de moyens. Mais pas seulement. On peut voir aussi dans cette réalisation sans esbroufe, sans doute un peu appliquée, une tentative de débarrasser des éternelles scories qui entachent toute légende cet étonnant personnage de « nonne chantante », mondialement célèbre dans les années 60, aujourd’hui oubliée, voire moquée (« Dominique, nique, nique… »). Et… Dieu sait que les pièges, a priori, étaient nombreux (adolescence farouche, homosexualité longtemps refoulée, fin de vie misérable hantée par le fisc et l’alcool, suicide… n’en jetez plus) ! Surtout en ces temps de biopics fiévreux, iconiques et factices : confer le très surestimé « La Môme » d’Olivier Dahan et sa relecture rock’n roll de la vie de Piaf.

Non, décidément, Coninx a raison de se concentrer, au départ tout au moins, sur l’axe pivot de cette vie singulière : une quête obstinée, jusqu’à la transgression absolue, de l’amour. Un parti pris d’autant plus juste, que l’énergie irrésistible de cette Jeannine Decker, en dépit d’ellipses scénaristiques maladroites (surtout dans la dernière partie du film), transcende la progression un tantinet scolaire du récit. C’est peu dire, en effet, que l’on est bouleversé. Probablement davantage, d’ailleurs, par l’intégrité de cette femme que par la nature de cet amour (de Dieu, pour l’essentiel).

     

Dedans/dehors

Grâce en soit rendue, d’abord et bien sûr, à l’interprète principale de cette « chronique d’une mort annoncée » : la rayonnante Cécile de France. Contrairement à nombre de ses consœurs, également douées mais par trop littérales (Marion Cotillard, Sylvie Testud), cette belge comédienne déjoue habilement le leurre de la performance mimétique (avec ou sans voile, qui se souvient aujourd’hui du visage de Sœur sourire ?). Et parvient, elle, à restituer une vérité autrement plus fine, douloureuse, et passionnante : le combat d’une femme par trop « moderne » dans une société et une époque encore très étriquées (la Belgique catholique, bourgeoise et bien pensante des années 60). Physiquement très engagée – le film s’ouvre sur un match de foot boueux, rugueux, auquel Jeannine participe activement – la comédienne donne à voir, souvent sans effets, par la seule force d’un regard blessé, un chemin de croix emblématique. Qui, pour le coup, élève l’ensemble.

Le fait est que ce long métrage sait éviter la démonstration appuyée – écueil très souvent de la « bio » – pour s’ouvrir à d’autres perspectives. Ce n’est plus tant la quête d’amour un peu « niaiseuse » de Sœur Sourire qui nous happe, nous touche, nous interpelle, que sa soif de liberté, jamais rassasiée, et sans arrêt bafouée. Une dynamique autrement plus laïque, actuelle, universelle. Dedans-dehors : cette dialectique ne cesse d’ailleurs de parcourir le film. Lui imprimant par touches, de façon insidieuse, une logique de plus en plus sombre. Voilà un parcours et une vie qui n’ont de cesse de vouloir s’extraire (d’un foyer confiné, étouffant, puis d’un couvent autoritaire et contraignant), et qui pourtant buttent systématiquement sur l’altérité. Sa seule et unique tournée, par exemple, est un fiasco, et Jeannine Decker ne parviendra jamais à trouver sa place dans la société. Jusqu’à finir recluse, avec son « amie », dans une maison vide… Son suicide sonne donc comme un « échec » doublement transgressif : par rapport à l’Église (qui condamne, voire excommunie) et par rapport au monde, qu’elle a tant cherché à aimer et dont elle finit par s’exclure définitivement.

Pour sûr, on est loin des chansonnettes initiales. Encore plus du biopic musical qu’Hollywood, au plus fort de sa popularité, s’était empressé de réaliser (en 1966, « The singing nun », avec Debbie Reynolds). De fait, Sœur Sourire, alors retranchée dans son couvent dominicain, n’avait même pas été mise au courant. In the mood for… « despair ». Déjà. Précisément.

Titre original : Soeur Sourire

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Durée : 120 mn


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