Si le vent tombe

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Si le vent tombe, les rêves peuvent décoller…

Un aéroport comme personnage principal

Sans doute l’un des plus beaux films de cette rentrée automnale. Nora Martirosyan, Franco-arménienne vivant à Montpellier, nous offre son premier long métrage qui est à la fois un film poétique, politique et humaniste. En choisissant de s’intéresser à l’aéroport flambant neuf du Haut-Karabakh qui attend encore l’autorisation d’ouvrir, et en faisant presque l’un des personnages de son film, Nora Martirosyan s’approche en fait au plus près de la situation de ce petit pays qui s’est déclaré indépendant dès la chute de l’empire soviétique en 1991. S’en est suivie une longue guerre avec l’Etat voisin de l’Azerbaïdjan qui a fait environ 30.000 morts mais qui avait alors été occultée par le conflit en ex-Yougoslavie qui avait lieu en même temps. On reparle depuis un mois du Haut-Karabakh de nouveau attaqué par les Azéris, une guerre en fait larvée et clandestine qui tue encore régulièrement et attise une haine sans fin entre les deux populations.

 

 

La métaphore de l’envol

Pourtant le film ne parle de ce drame qu’en filigrane. L’histoire est tout autre, bien plus poétique et, finalement, plus percutante. Le petit aéroport de Stepanakert tout près de la ville d’Ivanian attend depuis des années des autorités spatiales mondiales l’autorisation pour s’ouvrir à l’international. Un audit est mandaté en la personne d’Alain Delage, interprété par Grégoire Colin habité et transcendant, d’une grande retenue et d’un beau charisme. La métaphore de l’envol est donc travaillée très poétiquement par Nora Martirosyan et ce film arménien risque fort de marquer les esprits. En échappant au discours militant ou à une forme de propagande, elle en prend justement le contrepied et joue sur les images poétiques qui parsèment son film : la frontière, le vent, l’enfant qui livre clandestinement de l’eau « miraculeuse » qu’il vole dans les toilettes de l’aéroport et qu’il vend aux malades et blessés de la guerre. Et puis il y a cet aéroport qui attend de devenir comme un tapis volant et cette analogie tombe bien dans ce pays oriental où les tapis ont été autrefois volants. Peu à peu, la figure un peu sévère de l’inspecteur français dont le nom commence comme celui d’Alain Delon, ce qui a fait sourire les autorités lors de son entrée dans le pays, s’humanise et s’intègre parfaitement à ce rêve un peu fou d’un pays qui mise tout sur son aéroport pour prendre son envol.

 

 

L’importance du rêve

« Je place le rêve encore une fois au-dessus du réel qui est étriqué et complexe, déclare la réalisatrice dans le dossier de presse du film. Le cinéma permet de transcender le réel pour l’amener vers des territoires plus poétiques. Il permet de raconter ce que le réel ne raconte pas. C’est une grande responsabilité de faire une fiction. » La présence d’Alain Delage va permettre finalement à l’aéroport d’acquérir une sorte de légitimité et il va d’ailleurs, à la fin du film, vouloir de lui-même aller au plus près de la frontière pour constater ce qu’il en est de la guerre. Et c’est d’ailleurs lui qui, en testant les éclairages de la piste d’atterrissage, permet à Oscar, l’enfant porteur d’eau, de retrouver sa vache. Du reste, le film se termine par la métaphore même de l’envol de la moissonneuse batteuse comme un avion sur la piste d’envol. « Cet enfant incarne les voix de tout un pays, dit-elle un peu plus loin. J’ai inventé ce petit héros car je voulais un personnage qui croit à un rêve et qui entraîne tout le monde dans cette croyance impossible. »

Le destin d’un petit pays

Peaufiné avec l’aide d’Emmanuelle Pagano rencontrée à la Villa Medicis lorsque Nora Martirosyan y était pensionnaire, le scénario de ce film co-écrit aussi avec Emmanuelle Pagano, Olivier Torres et Guillaume André, est en fait un hommage à l’espoir de tout un peuple afin qu’il conserve son identité et son indépendance. Même si, hélas, un film n’a jamais fait changer le destin d’un pays, on peut espérer que ce sera le cas de celui-ci, magnifiquement interprété par des artistes pour la plupart arméniens comme Vartan Petrossian et Arman Navasardyan très connus en Arménie, et servi par la sublime photo de Simon Roca qui magnifie autant les intérieurs que les paysages de montagne à couper le souffle.

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Durée : 110 mn


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