Sans queue ni tête

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Jeanne Labrune brode un joli canevas autour de l´idée : le corps du psy, l´esprit de la prostituée.

Grand apôtre de la société contemporaine, le psy a naturellement une place de choix au cinéma ces dernières années et les films de divan fleurissent allégrement, pour le meilleur, le pire, mais surtout l’entre-deux mou et vite oublié. C’est souvent le transfert, le moment où le patient dirige des relations affectives vers son thérapeute, qui est l’objet du film, permettant ainsi au cinéma de broder sur son air favori : « Amour, amour, je t’aime tant… ». Sans queue ni tête a donc de sacrés précédents. Là où se démarque la réalisatrice Jeanne Labrune, c’est dans l’adjonction du plus vieux métier du monde à la psychanalyse. Le film voit la rencontre d’un psy et d’une prostituée. Un peu comme si Julia Roberts plutôt que de passer une semaine de luxe auprès de Richard Gere (Pretty Woman) avait préféré se remettre en question sur la banquette en velours (ou en skaï) d’un analyste. Forcément, c’est moins sexy !
Sans queue ni tête est né de l’observation d’une analogie de vocabulaire entre l’analyse et la prostitution : la passe. Elle désigne pour la première le moment où l’étudiant-thérapeute a achevé sa propre analyse et peut exercer, et pour l’autre l’échange monnayé avec le client. Alice (Isabelle Huppert), prostituée vieillissante, souhaite engager une analyse pour changer de vie. Xavier (Bouli Lanners), psychanalyste divorçant, cherche un réconfort temporaire dans le sexe monnayé. Le film met donc en parallèle les deux activités. Toutes deux sont affaire de temps donné à un client, mais aussi de distinction entre le corps et l’esprit : la prostituée n’offre que son corps et l’analyste que son esprit. Jeanne Labrune montre ainsi les parallèles entre les deux pratiques : la préparation du praticien et du local professionnel, la clientèle, la transaction… Toutes deux mettent en place un prêt ou un emprunt (d’un corps, d’un esprit), mais jamais un échange, une communion.

 

    

Sans queue ni tête
organise le basculement entre le psy qui veut retrouver un corps et la prostituée un esprit. Il s’agit pour les deux de reconnecter deux parties d’eux qu’ils ont choisi de séparer pour exercer leur profession. Cette division est matérialisée à l’écran par de fréquents jeux de miroirs faisant apparaître le reflet des acteurs : une confrontation entre les deux parties de soi à réconcilier. Alice et Xavier apparaissent aussi comme le miroir l’un de l’autre comme le montre un plan où, assis l’un face à l’autre, ils lisent le même journal. La schizophrénie qu’engage leur pratique professionnelle a conduit Xavier à adopter la neutralité du psychanalyste comme mode de vie, tandis que la carapace que s’est créée Alice par les costumes qui répondent aux fantasmes de ses clients (pas toujours aussi stéréotypés que l’affiche du film le laisse croire) ne la préservent en rien de la réalité physique d’une agression. Tout le film montre à quel point les remparts construits par les deux personnages ont produit un détachement de soi néfaste à leur vie. L’analyse ou le recours à la prostitution devient alors une tentative d’une réappropriation et d’une ré-identification.
Loin de la parabole verbeuse, Sans queue ni tête est aussi un film qui s’encre dans le corps de ses acteurs. La rencontre entre la massivité flegmatique de Bouli Lanners et l’apparence toujours changeante d’Isabelle Huppert agit comme un détonateur. Plus que dans la parole, c’est dans les situations que le film trouve son moteur. Il oscille entre la comédie (la présentation de ses talents par Alice, la timidité et la maladresse de Xavier face à son désir) et le drame. Plus que le seul rapprochement de deux activités que tout semblait opposer, ce qui est au cœur du film, c’est sans doute l’incroyable solitude des êtres dans une société où tout tend à se transformer en objet d’échange, que ce soient les êtres ou les relations. Chacun devient un objet pour l’autre : la prostituée n’est qu’un corps et le psychanalyste devient pour elle ce lustre qu’elle pourra s’offrir avec l’argent des passes. Malheureusement, le film s’alourdit de la métaphore de ce corps chosifié par une sculpture d’ange musicien qui passe de personnage en personnage. Jouant sur la symbolique messagère de l’ange, cet objet est un peu l’élément de trop de ce film dont la réussite tient beaucoup aux qualités de son actrice dont on ne lasse pas d’admirer les multiples incarnations sur nos écrans.

Titre original : Sans queue ni tête

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Durée : 95 mn


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