Sans identité

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On a beau changé le décor mais la recette du thriller demeure toujours la même, avec ses sempiternels ingrédients. Lassitude.

Le docteur Martin Harris semble avoir tout pour être heureux. L’homme est marié et possède un travail. Il est un brillant botaniste. Un jour, il est convié à un congrès de biotechnologie, en Allemagne. Mais sa vie bascule après un accident de voiture. A son réveil, le personnage découvre un monde dans lequel un autre a usurpé son identité. Il va alors tenter de prouver son existence, aidé de Gina, une clandestine bosniaque, au milieu des rues berlinoises, dans lesquelles se tapissent des tueurs prêts à les éliminer.

Comme Mark Romanek, Jaume Collet-Serra a fait ses débuts dans la réalisation de clips et de spots publicitaires. Puis il s’est aventuré dans l’univers des longs métrages (La Maison de Cire et Esther). Avec Sans identité, le réalisateur se colle à un thriller d’action où Liam Neeson se voit privé de ses papiers et se torture l’esprit pour retrouver son moi. Le film repose en grande partie sur l’interpration de son acteur principal, jeté dans un trouble identitaire, où le monde semble avoir perdu la tête et ne souvient pas de lui. Une couleur, pour décrire l’amnésie et son néant inquiétant : le blanc, évidemment. Il y a celui, classique, des murs de l’hôpital puis celui des rues de Berlin, personnage à part entière du film. La ville, autrefois scindée en deux, sonne comme un écho pertinent à l’étrange situation du Dr Harris et apporte une petite touche singulière au film. Le personnage cherche son identité dans un labyrinthe hivernal et hostile, où s’érige symboliquement la porte de Brandebourg.

Sans identité est un thriller bien fagoté, avec ses belles courses-poursuites dans la capitale allemande mais il respire le matériau classique à plein-nez. Martin Harris fait penser au personnage de Jason Bourne. Rien que le titre du thriller de Jaume Collet-Serra invite à faire un rapprochement avec l’espion amnésique. Sans identité rappellera également le film de Pierre Morel, Taken (2008) avec son héros analogue (Liam Neeson himself !) et un enjeu pas si éloigné puisqu’il est question, pour le personnage principal, de retrouver, non pas son identité mais sa fille. Sans identité ne reluit pas d’originalité parce qu’ il y a aussi ces éternelles blondes – January Jones et Diane Kruger – références et clins d’oeil au monde hitchcockien, comme si leur seule présence devenaient le garant d’une réussite. On pourrait se demander si cette allusion, venant d’un certain nombre de réalisateurs (dernier exemple en date : Jérôme Le Gris avec Requiem pour une tueuse), n’aurait pas plutôt tendance à se muer en cache-misère, au niveau de l’inspiration.

Outre cette absence d’originalité, Sans identité présente des faiblesses scénaristiques. D’abord très ancré dans la notion d’identité, mêlée à de la paranoïa, le film choisit finalement de mettre en avant la résolution d’une intrique basique. Le dernier tiers est la partie la moins aboutie du long métrage. Juste avant le dénouement, les séquences explicatives se multiplient. Les longueurs s’accumulent lors de chaque manifestation de Bruno Ganz, très convaincant à l’écran, mais enfermé dans un rôle d’ancien membre de la Stasi, pas vraiment primordial dans l’intrigue. Diane Kruger, elle, est plus présente dans cette partie du thriller tandis qu’elle apparaît très peu crédible dans son rôle de réfugiée bosniaque, chauffeur de taxi.

Sans identité n’est pas déplaisant à voir, grâce à ses paysages berlinois ainsi qu’aux larges épaules de Liam Neeson, clé de voûte du film. Mais le thriller, par son manque de touche personnelle, risque de sonner comme une ritournelle au son agaçant.

Titre original : Unknown

Réalisateur :

Acteurs : ,

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Durée : 110 mn


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