Rétrospective Musée d’Orsay : Regards sur la Suisse

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Le voyage que nous a offert le musée d´Orsay à travers ses Regards sur la Suisse, ces dix jours de janvier, fut délicieux, doux, parfois triste et grave, souvent troublant.

Le voyage que nous a offert le musée d’Orsay à travers ses Regards sur la Suisse, ces dix jours de janvier, fut délicieux, doux, parfois triste et grave, souvent troublant. Ferdinand Hodler, tout d’abord, de par ses peintures complexes et modernes, donne le ton. Il est probable que bon nombre de cinéastes suisses aient été influencés par les paysages, les cadres, les rythmes et les sensations d’Hodler. Une découverte étonnante, donc, que ce cinéma injustement méconnu, dont nous faisons un compte rendu des films vus.

Alors qu’Heinz Bütler, livre un passionnant documentaire sur Hodler, intitulé Le cœur est mon œil, Stefan Schwietert présente, à travers trois voix, le jodel, chant traditionnel des montagnards alpins. Les deux films, de formes classiques, oscillant entre interviews et images, gardent un profond respect pour leur sujet. Chacun met en effet en valeur ses interlocuteurs, ses personnages, les toiles ou les voix avec une distance tout à fait remarquable. Heimatklänge, comprenez « résonances ou échos du pays » met en exergue trois chanteurs, dont les influences et les raisons de s’exprimer ainsi diffèrent. Qu’ils pratiquent ce chant si particulier de manière classique ou plus expérimentale, les chanteurs entrent dans une transcendance vitale : il est un cri presque animal des montagnards, une résonance, allant au-delà des vallées et des montagnes pour atteindre les bergers et leurs troupeaux. Pour Christian Zehdner, c’est une façon d’exprimer ses douleurs conscientes et « inconscientes » depuis qu’une maladie altère régulièrement sa mémoire. Un chant sans parole, donc, mais dont on entend le son et le sens, son angoisse et son espoir, jusque dans les montagnes mongoles.

Dans le registre fictionnel, était présenté Jean Luc persécuté de Claude Goretta, plus connu pour avoir réalisé La dentellière avec Isabelle Huppert. Jean-Luc, personnage austère, sombre dans la dépression puis dans la folie alors que sa femme le trompe. Adapté d’un roman de Charles Ferdinand Ramuz, les avis sont partagés sur le film de Goretta. Freddy Buache soulève en effet la difficulté de l’adaptation, dans son livre consacré au cinéma Suisse* : « Le réalisateur et son adaptateur ont été comme paralysés par leur respect pour Ramuz. La vraie fidélité aurait consisté à lui être infidèle au niveau de la lettre pour en exprimer l’esprit par les moyens spécifiques offerts par la caméra. (…) Ils ont juxtaposé des instants et cette fragmentation prive le récit de sa fluidité narrative ; il n’en reste que des tableaux techniquement soignés, mais vidés d’élans de la vie : c’est de la télévision d’art comme on parlait du ‘film d’art’ en 1910 ». Si Freddy Buache est un peu dur quant au film de Goretta, en effet produit par la télévision suisse, nous retiendrons toutefois sa photogénie, le travail soigné du cadre et la subtilité du traitement du sujet, dont on aimerait retrouver la qualité dans les fictions télévisées actuelles. Le critique reconnaît cependant le travail de la mise en scène et le résume ainsi : « La nuque de Christine et sa fine chaîne d’or, les longs panoramiques sur les parois de la chambre pour décrire la veinure du bois, pour rendre la matière d’un objet, la composition picturale de certains plans, tout cela témoignait d’une remarquable intelligence plastique. »

La production suisse, au temps du muet, n’est pas en reste quant à cette intelligence plastique dont parle Freddy Buache. La vocation d’André Carel, de Jean Choux a ouvert le bal de manière majestueuse. Une histoire d’amour et de jalousie orchestrée, encore une fois, par les paysages ; cette fois le lac Léman, plus que la montagne, devient un personnage à part entière, à l’image de la Seine dans l’inoubliable film de Vigo l’Atalante, réalisé une dizaine d’années après La vocation. Il est difficile de savoir si Vigo a vu le film de Choux, cependant certains plans sont très similaires dans les deux œuvres. On retiendra notamment le cadre faisant face au bateau et à la péniche, les coupant presque en deux, donnant un effet presque surréaliste au sujet. De même, la scène, et là encore le cadre, des deux hommes s’affrontant sur le pont du bateau, rappellent sans conteste la scène de lutte du Père Jules, qui se bat contre lui-même, aussi sur le pont. Le Père Jules, rappelons-le, était prodigieusement interprété par Michel Simon. Dans La Vocation, ce dernier livre une de ses toutes premières compositions, étonnante et burlesque. Soulignons enfin le remarquable travail de restauration : les copies du film ont visiblement souffert, et « comme les scènes étaient rassemblées sur le négatif par couleur et non suivant la chronologie de la narration, il a fallu reconstituer l’action en se référant à la numérotation des plans et à l’internégatif de 1975** ».

Jacques Feyder, pour Visages d’enfants, ne prend pas le parti de « la couleur », mais signe un film rare dans un superbe noir et blanc sur les tourments de l’enfance. Jean, admirablement interprété par le jeune Jean Forest, est inconsolable à la mort de sa mère adorée. Son père se remarie, donnant à Jean une belle-mère, Jeanne et une sœur, Arlette, qu’il rejette. La haine que Jean voue à cette nouvelle famille n’est pas liée à la méchanceté de Jeanne et d’Arlette mais plutôt à la souffrance de Jean qui ne peut accepter la vie sans sa mère, c’est donc là toute l’originalité du sujet. L’analyse, minutieuse et exigeante, de Lenny Borger***, rend bien compte de la complexité du récit et met en avant les influences artistiques de Feyder. Il évoque notamment le travail du « grand Léonce-Henri Burel, chef opérateur attitré d’Abel Gance (…) qui exalte la beauté rude des paysages valaisans et en fait un des protagonistes du drame, à l’instar des grands films suédois de Sjöstrom et Stiller ». De même, la séquence finale rappelle le film de Griffith Way Down East (À travers l’orage) : les deux héros désespérés veulent mourir, ils se jettent dans des rivières déchaînées. Les deux séquences sont effectivement à rapprocher dans leur traitement esthétique, exaltant, encore une fois le décor naturel.

Ce cycle a donc mis l’accent sur la capacité du cinéma suisse a tirer parti de la richesse de ses paysages et de son histoire. La sensation qu’évoquent la plupart des films vus, se résume à une phrase, écrite par Robert Bresson dans ses Notes sur le cinématographe : « La beauté de ton film ne sera pas dans les images (cartepostalisme) mais dans l’ineffable qu’elles dégageront ».

Notes :

*Le cinéma suisse 1898/ 1998 Freddy Buache , L’âge d’homme

** www.cinematheque.ch (restauration)

***Lenny Borger, Notes sur visages d’enfants, 1895 (revue), Jacques Feyder, Hors-.Série, Oct. 1998, p. 67-72


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