Retour sur le Festival Seminci de Valladolid (22-29 octobre 2022).

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Valladolid, la ville de la Controverse et du (bon) cinéma

Semana Internacional de Cine

Dans une magnifique ville du Nord de l’Espagne, réputée pour ses oliviers et son bon vin, mais aussi pour ses austères cathédrales et monastères hérités de la royauté très catholique, siège de la célèbre Controverse qui devait discuter de l’existence de l’âme des Indiens des nouvelles colonies d’Amérique, se tient le célèbre festival Seminci de Valladolid. L’affiche du festival cette année représente un sobre profil sur fond blanc, à la fois étonné et semi-souriant qui utilise les chiffres 6 et 7 pour fêter sa soixante-septième année d’existence. A l’origine émanation de la critique chrétienne, ce festival créé en 1956 s’est hissé parmi les plus grands festivals d’Europe et même du monde par la qualité de son accueil et des films sélectionnés. Pas moins de quelque 20 longs-métrages et 10 courts-métrages pour la sélection officielle, avec la particularité que chaque film en compétition est projeté accompagné d’un court-métrage, ce qui évite le cloisonnement et permet aux spectateurs de les voir tous.

Des hommages et des images

C’est bien sûr sans compter sur les hommages, tout d’abord au cinéma espagnol, mais aussi à Jean-Luc Godard, à Christian Mungiu, à l’Irlande puisque la présidente du jury principal est l’actrice Kate O’Toole. Mais la bonne chère, la Région Castilla y Leon, la jeunesse, l’écologie, Pier Paolo Pasolini et Juan Antonio Bardem Muñoz (deux magnifiques ouvrages sont d’ailleurs édités par le festival sur ces deux derniers ainsi qu’au film qu’on n’a pas oublié de Bigas Luna, Jamón, jamón, avec la belle Pénélope Cruz qui prête sa beauté au dernier film d’Emmanuelle Crialese, L’immensità, qui n’est hélas que la pâle répétition de son célèbre Respiro de 2002.

Le ciné dans des théâtres

Bien que le siège principal du festival soit le magnifique théâtre Calderón, le festival se tient dans plusieurs salles de la ville dont notamment le théâtre Cervantès et le théâtre Zorrilla sur la sublime Plaza Mayor. Un jury composé de professionnels décide d’un palmarès composé par les Espigas d’or et d’argent, le prix « Pilar Miró » au meilleur nouveau réalisateur et les prix au meilleur acteur, à la meilleure actrice et au meilleur directeur de la photographie dans la section officielle des longs-métrages. La section des courts-métrages est quant à elle récompensée par les Espigas d’or et d’argent, ainsi que par le prix UIP Valladolid au meilleur court-métrage européen. À l’occasion du festival, sont également octroyés d’autres prix non officiels comme celui de la presse internationale (Fipresci), celui du public et celui de la jeunesse.

Un festival où l’on ne se sent ni étrange ni étranger

C’est l’occasion d’une bonne immersion dans l’actualité brûlante du cinéma même si certains d’entre nous ont déjà pu voir les films à Cannes ou à Berlin, mais ne boudons pas notre plaisir d’autant que le festival est très accueillant et magnifiquement bien organisé, sans prise de tête informatique comme à Cannes ou San Sebastian, ni soirées interminables avec after bruyantes et musique techno. J’avais déjà vu Les Passagers de la nuit déjà sorti depuis quelques semaines à Paris, mais le voyage d’arrivée en compagnie de son réalisateur, Mikhaël Hers, m’a donné envie de le redécouvrir et il le mérite amplement. Il obtiendra d’ailleurs ici le prix du scénario. Puis le lendemain, toujours en compétition, c’est le coup de coeur pour ce film loupé à Cannes, Le otto montagne qui, même s’il est vraiment un peu trop long, mérite vraiment le détour. Il obtiendra ici le prix de la meilleure photo pour son chef opérateur, Rubens Impens et le prix Blogos de Oro. Découverte aussi d’un film espagnol, No mires a Los Ojos de Felix Viscarret, sorte d’hommage à Polanski pour son Deux hommes et une armoire (1958), et aussi bien sûr à Hitchcock et Buñuel. Il obtiendra le prix de l’association Periodistas Iberoamericanos De Cine, ce qui est déjà assez prometteur. Alma viva de Cristèle Alves Meiramaintenant est déjà sorti sur les écrans français, on l’avait découvert à Cannes lors de la Semaine de la Critique. Film bouleversant sur la mort, avec une image sublime et dont on retiendra cette réplique qui résonne encore à nos oreilles : « Les vivants ferment les yeux des morts, mais les morts ouvrent les yeux des vivants ». Il obtient à Valladolid le prix du Meilleur nouveau réalisateur. Nothing de Trine Pill et Seamus McNally repartira bredouille, difficile d’ailleurs d’en garder une image en tête.

Décoiffés

Le lendemain, on est décoiffé par Pamfir, film ukrainien de Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk, sorti en France et dont on ne dira jamais assez de bien de sa maîtrise, de sa photo et de son interprétation. Il n’aura pas de prix, mais il était bien dans l’esprit des trois membres du jury Fipresci qui a longuement hésité avant d’en choisir un autre. Falcon Lake de Charlotte Le Bon brille par la maîtrise du sujet, l’interprétation et la photo mais le thème de l’enfance est trop souvent rebattu, et le jurés lui en préféreront un autre. Vasil, film d’Avelina Prat, est très drôle surtout au niveau d’une situation qui met en présence un SDF bulgare champion mondial d’échecs et un vieil homme un peu bourru. Les deux acteurs, Ivan Barnev et Karra Elejalde, recevront tous les deux ici le prix du Meilleur acteur. Before, now and then, film indonésien de Kamila Andini, n’est hélas qu’une pâle imitation (image et musique) du cultissime film de Wong Kar-wai de 2000, In the mood for love. C’est dommage car il tente de donner une image de la femme en Indonésie. Mercredi, jour tranquille à Valladolid. On découvre un film qui a presque tout piqué à Jacques Tati et Amélie Poulain, Clementina, film argentin de Constanza Feldman et Agustín Mendilaharzu, sans aucune finesse ni psychologie, d’un ennui tellement mortel qu’on se demande ce qu’il vient faire dans cette sélection. Beautiful beings, très remarqué à la Berlinade dans la section Panorama, arrive à Valladolid avec sa violence et son désespoir. Il obtiendra le prix de la Jeunesse, ce qui n’est pas étonnant puisque c’est hélas la vie qu’on leur impose maintenant de voir, sinon de vivre (pour certains). Après ça, on passe sans transition comme on dit à la télé au nouveau film de Jafar Panahi, No bears. Très décevant, hélas, et vraiment trop narcissique même s’il est bien sûr condamnable que le réalisateur soit embastillé par le pouvoir iranien. Il repartira d’ailleurs bredouille du festival mais plaira sans doute aux Cahiers du cinéma et aux Inrockuptibles.

 

Fatigués

Les derniers jours du festival, on commence un peu à saturer même (et surtout) si la sélection est excellente. Le bleu du caftan, film marocain de Mariam Touzani, déjà sorti en France, est un film d’une grande sensibilité, mené avec douceur et fermeté pour décrire la vie des homosexuels au Maroc et d’un couple qui consacre sa vie au travail bien fait. Lubna Azabal recevra le prix très justifié de Meilleure actrice. Boy from heaven, sorti en France avec le titre La conspiration du Caire, de Tarik Saleh, prix du scénario à Cannes cette année, est un superbe film à l’image et à la lumière de Pierre Aïm parfaites, qui nous fait entrer de plain-pied dans les complots et les mystères de la grande mosquée du Caire et aurait pu s’appeler Habemus Imam. On passera sous silence Decision to leave de Park Chan-Wook et Eo de Jerzy Skolimowski, largement honorés à Cannes et ailleurs. Ils obtiendront ici respectivement le prix du meilleur montage et celui du Meilleur réalisateur.

Emerveillés

Je garde pour la bonne bouche Return to dust, film chinois de Li Ruijun, qui obtiendra ici la récompense suprême, l’Espiga de Oro et qui est vraiment sublime, sorte d’hommage conscient ou inconscient à La Strada de Federico Fellini. Et enfin, notre choix du jury Fipresci, The quiet girl de Colm Bairéad, qui obtiendra ici deux autres prix, celui du public et l’Espiga de Plata du grand jury. Un bijou de film, maîtrisé et sobre, sur la grande solitude de l’enfance et le manque d’amour.

Sur la route avec Tarik Saleh…

Tout à fait hors compétition, on se doit quand même de dire deux mots sur cinq films présentés cette année. D’abord, on pouvait revoir l’un des plus beaux Godard dans l’hommage qui lui était rendu, Vivre sa vie. Mais aussi découvrir un petit film français sur l’enfance abandonnée, Astrakan de David Depesseville, entre le Pialat de L’enfance nue et le Bruno Dumont de Flandre, prometteur mais sans souffle. Puis le film espagnol 100 dias con la tata dans lequel le réalisateur Miguel Ángel Muñoz raconte son confinement devant la télé, drôle et percutant, on peut le voir aussi sur Netflix. Master Gardener est le nouveau Paul Schrader, avec deux acteurs sublimes, Joel Edgerton et Sigourney Weaver. Beaucoup moins vénéneux que Hardcore en 1979 ou, plus récemment, The Canyons en 2013, il propose quand même un autre portrait d’une certaine Amérique entre violence et passion. Enfin, il faudra découvrir quand il sortira, cette merveille inclassable de Martin McDonagh, The Banshees of Inisherin, étrange film, sorte de parabole sur l’Irlande et ses mystères. Un film qui ne s’oublie pas, présenté hors compétition.

Pour finir, le jour du départ pour l’aéroport de Madrid, situé à 200 km de Valladolid, j’ai l’agréable surprise de faire le trajet avec Tarik Saleh, homme simple et délicieux avec qui j’ai parlé de son dernier film, de cinéma, du féminisme et de la religion. J’ai découvert que son maître est le même que le mien, Federico Fellini. De quoi me donner envie de revoir sa Conspiration du Caire, sans oublier son précédent, Le Caire confidentiel, qui avait reçu pas moins de trois prix à Valladolid en 2017 : l’espiga d’or de la 62e édition de la Semaine de Valladolid, ainsi que les prix du meilleur réalisateur et du meilleur scénario.

https://www.seminci.es/

Palmarès :

Epi d’or du meilleur film : Return to Dust de Li Ruijun [trailer]
Epi d’argent du meilleur film : The Quiet Girl de Colm Bairéad
Prix Ribera del Duero du meilleur réalisateur : Jerzy Skolimowsk pour EO (trailer]
Prix Pilar Miró du meilleur nouveau réalisateur : Cristèle Alves Meira pour Alma Viva [trailer]
Prix de la Meilleure actrice : Lubna Azabal pour Le Bleu du Caftan de Maryam Touzani
Prix du Meilleur acteur : Ivan Barnev et Karra Elejalde pour Vasil de Avelina Prat
Prix de la Meilleure photographie : Rubens Impens pour Le otto montagne de Felix Van Groeningen y Charlotte Vandermeersch [trailer]
Prix Miguel Delibes du meilleur scénario : Mikhaël Hers, Maud Ameline et Mariette Désert pour Les passagers de la nuit de Mikhaël Hers [trailer]
Prix José Salcedo du meilleur montage : Kim Sang-bum pour Decision to Leave de Park Chan-wook [trailer]

Epi d’or du Meilleur court-métrage : Arquitectura emocional 1959 de León Siminiani [reseña]
Epi d’argent du Meilleur court-métrage : Ice Merchants de João Gonzalez [trailer]

Prix de la  FIPRESCI : The Quiet Girl de Colm Bairéad

Prix des jeunes du Meilleur film : Berdreymi (Beautiful Beings) de Guðmundur Arnar Guðmundsson [trailer]

Prix du public : The Quiet Girl de Colm Bairéad

Section : Punto de Encuentro

Meilleur long-métrage : Syk Pike (Sick of Myself) de Kristoffer Borgli [trailer] ex-aequo War Pony de Gina Gammell y Riley Keough

Meilleur film jury jeune : Palm Trees and Power Lines de Jamie Dack
Mention spéciale : Syk Pike (Sick of Myself) de Kristoffer Borghi

Prix du public : Joyland de Saim Sadiq ex-aequo The Sparrow de Michael Kinirons

Prix du meilleur court-métrage étranger : O Homem do Lixo de Laura Gonçalves
Mention spéciale : Happy New Year, Jim, de Andrea Gatopoulos
Prix La Noche del Corto Español: El porvenir de Santiago Rafales

Section : Tiempo de Historia

Premier prix du meilleur documentaire : All that Breathes de Shaunak Sen [trailer]
Deuxième prix du meilleur documentaire : Rojek de Zaynê Akyol

Prix du public : Afghan Dreamers de David Greenwald

Meilleur court-métrage documentaire : La Mécanique des fluides, de Gala Hernández López

Section : Doc. España

Meilleur documentaire espagnol : Hafreiat de Alex Sardà

Autres prix

Prix  Castilla y León court-métrage  Plein Air de Raúl Herrera

Prix Espiga Arcoíris du meilleur court-métrage : Warsha de Dania Bdeir

Prix Espiga Verde : Delikado de Karl Malakunas
Mention spéciale : Ice Merchants de João Gonzalez

Prix  FUNDOS : All that Breathes de Shaunak Sen

Prix Blogos de Oro: Le otto montagne de Felix Van Groeningen y Charlotte Vandermeersch

Prix Asociación Periodistas Iberoamericanos De Cine (PIC) : No mires a los ojos de Félix Viscarret

Prix Seminci jeunes : El universo de Óliver de Alexis Morante

Tarik Saleh et Jean-Max Méjean


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