Rencontre avec Mike Magidson, réalisateur du « Voyage d’Inuk »

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Mike Magidson me reçoit, accompagné de la monteuse du film, Cécile Coolen, dans la salle de montage où le film est en train de naître. Après m’avoir montré quelques extraits du futur long métrage « Le voyage d’Inuk », ils répondent avec gentillesse et passion à mes questions.

Pourrais-tu me raconter ta rencontre avec Jean-Michel Huctin et comment vous en êtes arrivés à ce projet?

Mike Magidson : En fait c’était une rencontre plutôt technique. Jean-Michel est revenu du Groenland, où il a vécu pendant des années, avec cette idée de film documentaire. Il a rencontré une productrice avec qui j’avais travaillé. Elle m’a contacté et cela a tout de suite marché entre Jean-Michel et moi, on avait un super bon contact. Et c’est assez drôle : la première fois que l’on s’est rencontré on avait rendez-vous Porte Maillot, et Jean-Michel est arrivé avec une voiture enfumée de cigarettes… et trois Inuit. Ils avaient plein de matériel parce que ce sont des nomades. Partout où ils vont, ils ont plein de choses au cas où… Je suis monté dans la voiture et nous sommes allés dans un restau. Et là le contact avec les Inuit s’est super bien passé. On a senti qu’il y avait un truc à faire ensemble.
Jean-Michel a eu l’idée du film, à la base c’est lui. On a fait deux documentaires ensemble sur ce sujet. Comme l’a dit Kieslowski un jour, le documentaire peut aller jusqu’à un certain point mais si on veut tout raconter, il faut savoir aller dans la fiction. Surtout dans des sujets sociaux, ou bien lorsqu’il y a de la violence, on va pas être racoleur en espérant que le beau-père tape le jeune homme… il vaut mieux le faire dans une fiction!

 

Quel a été ton rôle aux côtés de Jean-Michel lorsque vous étiez là-bas?

Mike Magidson
: On a totalement co-écrit le film ensemble. Par contre la réalisation c’est mon domaine. Il y a des moments où il était comme un conseiller scientifique, par rapport à la manière dont les Inuit communiquent, c’est pas du tout comme en Europe ou en Amérique où on a besoin de paroles pour expliquer les choses. Chez les Inuits beaucoup de choses passent par les expressions et le regard. Il fallait que j’apprenne cela et Jean-Michel m’a fait des raccourcis ! C’était une vraie collaboration, on échangeait des idées constamment. Même à la réalisation il a un peu participé parce qu’il y a la dramaturgie qui rentre en jeu mais il y a aussi l’authenticité, et c’est ce que l’on voulait privilégier parce que c’est une force énorme. Romancer des choses, cela fait rêver, mais dans cette histoire en particulier, l’authenticité prime.

Quelle a été la part d’improvisation dans la fabrication du film?

Mike Magidson : C’est énorme en fait. Parce qu’ on avait beau avoir un scénario écrit du début à la fin, il y des scènes où il fallait laisser les gens improviser, en fait ils vivaient leur propre vie et des situations qu’ils connaissaient déjà. C’était beaucoup plus facile de les laisser vivre cette situation et de la filmer que d’essayer d’imposer des choses qu’ils ne sentaient pas naturellement. Il y avait des scènes où on donnait des dialogues et ils s’appropriaient ces dialogues, improvisaient, ajustaient… même sans nous le dire, et cela donnait des choses plus authentiques et avec plus de force.

Cécile Coolen (monteuse du film)
: Il y a même dans les scènes très écrites des moments où eux changeaient les choses inconsciemment. Par exemple, le jeune dans sa scène de fugue à la fin, il est seul et perdu sur la banquise, il devait se lever et perdre ses chiens. Et au montage on s’aperçoit qu’il ne perd pas ses chiens accidentellement mais qu’il les lâche, c’est à dire qu’il a joué comme s’il les lâchait de façon suicidaire. Alors qu’ils n’auraient jamais osé lui demander de faire cela. Il a réinterprété la scène qui est juste trois fois plus forte maintenant, montée comme cela. Et d’après dans le scénario, il doit brûler son traîneau pour se réchauffer, et quand on regarde les rushs, on s’aperçoit qu’il le brûle comme pour s’en débarrasser : il a une façon de se tenir devant et de le regarder brûler, comme pour aller plus loin dans l’isolement et dans sa démarche suicidaire. Il donne un autre sens et s’approprie les scènes certainement inconsciemment.

Mike Magidson
: Et c’est cette authenticité qui a primé. La réalité est plus forte que ce que l’on pouvait écrire. Cela aurait demandé beaucoup de temps et d’argent de former un acteur afin qu’il joue un chasseur Inuit… Pour moi en tant que spectateur cela ne donne rien. Alors quand tu as un vrai chasseur Inuit entre les mains, le mieux c’est d’exploiter ses vrais talents. Donc on lui a laissé improviser l’histoire du premier phoque, ce qui est très important là-bas pour le passage à la vie d’adulte, et le chasseur a raconté sa propre histoire, ce qui est bien plus fort que tout ce que j’aurais pu écrire moi-même. Je n’aurais jamais pu inventer des choses aussi fortes. Et ce genre de scènes, il y en a plusieurs dans le film, il fallait laisser la réalité s’exprimer.

Cécile Coolen : Et ce qui est étonnant dans cette scène du récit, c’est que les jeunes dans le scénario devaient être étonnés et commencer à s’intéresser au chasseur, et ils ont les yeux grand ouverts, ce sont de vraies réactions qui sont captées parce que eux, ils entendent ce récit pour la première fois. Finalement c’est assez bizarre, c’est comme si tout se mettait en place pour de vrai : cette rencontre a vraiment lieu à ce moment-là, pour le coup ici c’est du documentaire.


Il y a donc des moments où la réalité et la fiction se mélangent. Et d’ailleurs, par rapport au personnage d’Inuk, la fiction rejoint-elle ce qu’il est dans la vraie vie?

Mike Magidson : En fait Jean-Michel travaillait dans un vrai foyer d’enfants là-bas. Il a côtoyé des jeunes en difficulté au Groenland, et à vécu aux côtés de vrais chasseurs pendant des années. Et nous notre idée, c’était de prendre ces jeunes et ces chasseurs et de leur faire jouer des rôles que l’on a écrit pendant un tournage de film. L’idée c’était de faire un film mais aussi un travail thérapeutique : on était entouré par des psychologues, afin qu’on ne leur fasse pas faire des choses qui pourraient les blesser parce qu’ils sont fragiles. Et en l’occurrence le jeune qui joue le rôle principal (qui s’appelle Gabba), on s’est aperçu au fil du tournage que certaines scènes que l’on avait écrites, alors qu’on ne connaissait pas (et aussi qu’on ne voulait pas savoir…) son passé, ressemblaient à ce qu’il avait vécu. La réalité et la fiction se sont rencontrées. Cela lui a permis d’analyser sa propre vie et de voir que là, des gens s’intéressaient à lui. Et parfois cela donnait des difficultés. Il ne pouvait pas aller aussi loin que nous dans le scénario car cela était trop proche de ce qu’il avait vécu, cela le freinait, même si cela ne freinait pas l’émotion qu’il transmettait. Dans une scène par exemple, il devait dire « Bonjour, maman » à sa mère qui était allongée sur le canapé. Et lui, disait simplement « Bonjour ». On avait beau répéter, il disait toujours « Bonjour ». Donc on l’a fait en off. Avec Jean-Michel, c’est comme si on avait recréé une sorte de réalité par hasard.

Il y a par ailleurs la confrontation de deux mondes : le monde moderne et les chasseurs.

Mike Magidson : C’est le premier film, à ma connaissance, sur le Groenland moderne. En tous les cas sur les esquimaux modernes du Groenland, parce qu’il y a déjà eu des films au Canada. Et ce monde-là, comme beaucoup de sociétés indigènes, est confronté à de gros problèmes de modernisation. L’ancien est bien présent, et pas dans un livre d’histoire mais juste devant tes yeux : tu vois des vrais chasseurs Inuit sur la banquise avec des peaux de phoques et des peaux d’ours. Ils vont aller chasser des ours polaires, des baleines… eux vivent de cela depuis des siècles, ils les tuent pour vivre, juste ce qu’ils ont besoin et pas des centaines. Aujourd’hui ils sont confrontés à une nouvelle réalité. L’alcool par exemple, est arrivé très récemment au Groenland (en 1952 je crois, mais cela reste à confirmer). Nous, Occidentaux, on a eu des milliers d’années pour s’adapter à cette drogue. Eux cela ne fait que cinquante ou soixante ans, alors forcément cela crée des énormes problèmes. Cela combiné avec les lois qui viennent de l’Occident et qui touchent leur manière de travailler (limiter la chasse des phoques alors qu’ils ne chassent que pour leur propre consommation)… tout cela c’est une grande confrontation. Et c’est ce que l’on voulait exprimer dans le film, on voulait parler du monde moderne et des soucis qu’ils ont aujourd’hui : comme Ken Loach veut parler de l’Angleterre, nous on voulait parler du Groenland.

 

 

Y-a-t-il une démarche écolo dans votre film?

Mike Magidson : Non, il y a une pure démarche de parler de la réalité et de ce qui est là. Et dans ce qui est là il y a effectivement des problèmes écologiques. C’est présent dans le film mais il n’y a pas de démarche pour chercher cela ni pour parler de cela, cela fait partie des éléments de la réalité de cet endroit. Le réchauffement climatique qui touche ces chasseurs, cela devient un point de dramaturgie dans le film : ils n’arrivent plus à boucler les fins de mois, donc ils sont recrutés pour amener les jeunes sur une campagne de chasse, c’est une manière pour eux de gagner un peu plus d’argent. Et pour le film, c’est une manière de dire qu’aujourd’hui au Groenland la réalité ce sont les problèmes avec les climats… quelque chose que nous créons, et eux sont sur la ligne de front.

Alors, comment le lien se crée lorsque vous allez filmer là-bas?


Mike Magidson
: Je pense que c’est une question de feeling. Il y a des gens qui vont là-bas et cela ne va pas passer. J’ai des origines finlandaises, je ne sais pas si cela a joué. Mais dans notre culture on ne parle pas beaucoup (même si là je parle beaucoup ! ), alors cela ne me gêne pas de rester dans une tente et de ne pas parler. On se regarde. Cela peut être perturbant parce que même pour dire « bonjour » ils ne parlent pas mais lèvent les yeux. Pour moi cela s’est bien passé.

 

Allez-vous montrer le film là-bas?

Mike Magidson : Oui. Notre premier public c’est eux. S’ils sont contents alors nous aussi. On se met un peu la pression car on veut leur rendre hommage. Un hommage à un peuple qui a survécu depuis des siècles sur la terre qui est la plus hostile qui soit, et qui aujourd’hui est confronté à des bêtises comme l’alcool, ou encore le pétrole que l’on peut découvrir là-bas. Ce sont des bêtises que nous amenons. Alors on veut rendre hommage à ce qui est beau en montrant aussi ce qui est mauvais.

 

Allez-vous faire venir les personnages quand il y aura la promo du film?

Mike Magidson : Oui, bien sûr. Alors mon rêve depuis des années (aussi avec Jean-Michel…), qui est peut-être naïf et ambitieux, peut-être est-ce prétentieux, ou peut-être est-ce le rêve de l’américain que je suis… mais mon rêve c’est de voir ces Inuit sur les marches de Cannes. Je rêve de cette image. À Cannes 2009. Et si cela ne se concrétise pas grâce au Festival, de toutes façons je vais amener ces Inuit sur ces marches. En plus ils ont vraiment des gueules de cinéma : je pense qu’ils seraient contents de le faire parce qu’ils sont très fiers. Et ils ont de quoi être fiers. Ils vivent par – 40°C tous les jours.

Cécile Coolen : Et puis ce sont des acteurs incroyables, parce qu’ils expriment beaucoup de choses avec leur regard.

Mike Magidson
: Oui, ce sont des acteurs-nés… et en plus ils n’ont pas les tics que certains acteurs peuvent avoir. En fait ils rejouent la vie. Moi qui adore la comédie et les acteurs (j’ai commencé par le théâtre),  je peux dire que de travailler avec eux, c’était bluffant. J’espère que les spectateurs seront aussi surpris que moi!

Un merci très chaleureux à Cécile Coolen et Mike Magidson.


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