Rencontre avec Emily Atef

Article écrit par

Emily Atef est franco-iranienne, mais vit à Berlin et n’a jamais mis les pieds en Iran. Pour la sortie de son dernier film, « Tue-moi », elle nous parle d’amour, de Haneke et de son cinéma idéal.

On dit plus souvent à quelqu’un « aime-moi » que « tue-moi ». Et pourtant, quelquefois, ça reviendrait presque au même. Que pensez-vous de ce raccourci ?

C’est une question très intéressante. Le désir d’Adèle de mourir est véritable, mais ce dont elle ne se rend pas compte, c’est que la vie pourtant n’est pas loin du tout, juste dans cet environnement familial où il n’y a place ni pour l’émotion, ni pour la parole, ni même pour le deuil. Il lui est impossible de ressentir cette vie-là. Le fait de faire ce voyage avec Timo, d’avoir quelqu’un qui, petit à petit, commence à s’ouvrir à elle, et même à lui prêter attention et à la protéger, est pour Adèle un énorme signe d’amour. C’est comme si « tue-moi » voulais en effet dire « aime-moi » pour que je puisse vivre à mon tour.

Votre personnage, Adèle, est interprétée par Maria Dragus, jeune actrice découverte par Michael Haneke. Le fait que vous l’ayez choisie à votre tour est-il le signe d’une filiation entre les deux films ?

Je n’aurais jamais eu la prétention de comparer Tue-moi au Ruban Blanc qui est, pour moi, un chef d’œuvre. Et, d’après moi, la jeune fille que Maria joue dans Le Ruban Blanc est très différente d’Adèle. Cependant, je l’ai découverte dans ce film où je l’ai trouvée incroyablement juste, effrayante et je me suis aperçue que, tout en étant dans la retenue, elle avait une présence énorme sur le grand écran. Mais j’avais peur qu’elle soit trop austère pour Adèle car il me fallait, d’un côté, une actrice qui nous fasse croire qu’elle voulait réellement mourir, c’est-à-dire qu’elle n’avait plus de vie en elle et ne faisait plus que fonctionner. D’un autre côté, il fallait aussi qu’on ressente petit à petit que la vie remonte dans tous ses pores. Il fallait en plus qu’elle nous touche. En voyant Maria Dragus à la télévision allemande recevoir un prix pour Le Ruban Blanc, en voyant son émotion, son énergie naturelle, j’ai tout de suite vu qu’elle pourrait jouer tous ces sentiments contradictoires.

Pourquoi avoir choisi Marseille comme terminus de votre film ?

Marseille est une ville qui m’a toujours inspirée visuellement et, pour Tue-moi, il fallait que ça se termine dans cette ville au bout de l’Europe. Là où commence presque l’Afrique, ça m’inspirait. En allant en Afrique, mes deux personnages ont peut-être une petite chance de s’en sortir, de s’échapper et, en plus, c’est comme partir pour un autre monde, là où il y a peut-être la vraie vie ?


Timo, interprété par Roeland Wiesnekker, est lui aussi fascinant. Symbolise-t-il l’image de l’homme enfant et perdu à vos yeux ?

Timo est un personnage qui nous à beaucoup touchées, Esther Bernstorff (ma co-scénariste) et moi-même. Abandonné par ses parents, adopté par une famille aisée dans laquelle il n’a jamais été accepté, puis physiquement traumatisé et humilié par son père, tout ceci fait que Timo est quelqu’un qui a appris à ne faire confiance à personne. Comme il n’a pas pu échapper à son trauma de l’enfance, c’est aussi quelqu’un qui ne peut pas se livrer aussi facilement. C’est Adèle, la premier personne qui ne le juge pas et qui reste à ses côtés quoi qu’il arrive, qui l’aime… et même si c’est difficile pour lui, elle lui permet de s’ouvrir enfin au monde qui l’entoure.


Vous êtes franco-iranienne et vous vivez à Berlin. Que reste-t-il de l’Iran dans votre imaginaire ?

Je n’ai malheureusement jamais été en Iran. Mon père a quitté l’Iran à l’âge de 25 ans au début des années 1960 pour Berlin où il a rencontré ma mère qui, à 25 ans, avait quitté son Jura natal. J’ai vraiment grande envie de découvrir l’Iran, de rencontrer ce pays et d’y rester un bon moment mais pas dans la situation politique qu’il connaît actuellement.


Vos deux précédents films, Molly’s Way, mais surtout L’Étranger en moi, sont des métaphores sur la solitude et surtout l’impossibilité finalement d’aimer ou de procréer. Il en va de même pour Tue-moi, mais la fin peut paraître plus « optimiste » ?

Esther (qui a co-écrit les deux autres films aussi) et moi-même avons en fait toutes les deux une vision assez optimiste de la vie en général. Dans les trois films dont vous parlez, il y a une grande mélancolie, une recherche du bonheur et de l’amour mais aussi à la fin un brin d’optimisme… Si vous vous souvenez de L’Étranger en moi, Rebecca et Julian (le père de l’enfant) se couchent et s’entrelacent pour la première fois depuis le début de sa dépression dans un lit comme pour dire… qu’ils vont arriver à s’aimer. En fait, c’est la même chose avec Tue-moi, on ne sait pas s’ils vont y arriver, mais une chose est certaine, c’est qu’ils partent ensemble.


Pourquoi filmez-vous (pour reprendre la célèbre question de Libération en 1988) ?

Car c’est le plus beau métier du monde et que j’ai une chance inouïe de pouvoir l’exercer. De raconter des histoires qui se trouvent au fin fond de mon être, ou de m’inspirer de l’humanité qui m’entoure et de faire partager cet amour à un public, parfois dans les coins les plus reculés de la terre en utilisant l’image, l’acteur, un son ou un mouvement. C’est tout simplement merveilleux !


Quel est le livre sur le cinéma que vous aimez le plus ?

Mon livre préféré, je ne sais pas, mais je viens de lire Jeune fille d’Anne Wiazemsky que j’ai adoré. Je me suis plongée dans le monde de Robert Bresson avec cette jeune fille ouverte, naïve mais si forte et déterminée à la fois. Quel plaisir !


Quels sont vos cinq films préférés (question rituelle tout comme la suivante) ?

Ah, c’est vraiment trop difficile. J’en ai tellement de films préférés ! Bon, je me force à n’en mettre que cinq :
Une Femme sous influence de John Cassavetes
Le Décalogue de Krzysztof Kieslowski
Crimson Gold de Jafar Panahi
Hunger de Steve McQueen
Melancholia de Lars von Trier
Last Days de Gus van Sant

Et donc, sur une île déserte, qu’emporteriez-vous de préférence ?

Ma fille Lou et une cinémathèque ambulante.

 

Propos recueillis par Jean-Max Méjean – Avril 2012

 


À lire : la critique de Tue-moi.


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi