Rencontre avec Anne Azoulay

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« Léa, elle crève sans les regards »

Pour son premier long-métrage, Bruno Rolland a choisi de co-écrire le scénario du film avec l’actrice Anne Azoulay qui incarne Léa. A la fois douce, sensible et touchante, elle arrive à dresser le portrait d’une jeune femme à mi-chemin entre ses études à Sciences-Po, être là pour une grand-mère malade et devenir une reine de la nuit et des barres de strip-tease.

 

Anne Azoulay, qui es-tu?

Quel chemin t’a mené à Léa, quel est ton parcours ?

Mon parcours est plutôt… classique, quoi que non (Rires)! Enfin il débute de façon classique, j’ai pris des cours à l’école de la rue Blanche à l’époque, maintenant c’est l’ENSATT à Lyon, avant c’était à Paris. Ce qui est un peu moins classique, c’est mon départ rapide de cette école, l’enseignement ne me plaisait pas et j’ai donc très vite travaillé, au théâtre, pour la télévision, le cinéma. Après, c’est une histoire de rencontres et une question de travail tout simplement.

Dans Léa, tu joues une jeune femme à mi-chemin entre Sciences-Po et un club de strip-tease, comment on t’a proposé le rôle ?

On m’a proposé le rôle alors qu’il n’existait pas encore puisque le réalisateur voulait travailler avec moi à l’origine sur un moyen-métrage que l’on devait écrire ensemble. Il voulait absolument me filmer et il lui ai venu un jour l’idée en rencontrant une strip-teaseuse, en discutant avec elle, de faire un vrai sujet. Comme j’avais travaillé sur l’écriture d’un long-métrage avec lui, on a écrit un moyen-métrage, mais tout le monde nous a dit que ce n’était pas un moyen mais un long-métrage donc on s’est attelés à la tâche ! Je savais dès le début donc que ce rôle m’était proposé.

Quelles scènes du film t’ont le plus marqué ?
Au moment de l’écriture, les scènes avec la grand-mère me touchaient particulièrement, il y avait quelque chose de très connu chez moi. Dans ma vie, ce n’était pas une grand-mère, mais une grande tante qui souffrait d’Alzheimer et dont j’étais très proche. En fait, j’ai hérité de cette grande tante à la mort de mon père, elle était seule et je me suis retrouvée assez jeune à m’occuper d’une femme malade, mais j’ai essentiellement de bons souvenirs. Le film lui est dédié d’ailleurs, à Louba. D’écrire ces scènes là, c’était très fort.

C’était un tournage assez facile parce que Léa joue beaucoup, le personnage s’invente beaucoup de choses, il y a un côté ludique. D’une façon générale, je me suis amusée à interpréter Léa, vraiment ! Même dans les scènes qui pourraient – c’est un film de violence, véritablement – n’ être que de la souffrance, pas du tout ! Les scènes avec Ginette Garcin (ndlr : qui joue la grand-mère de Léa) étaient formidables. On n’a pas l’impression quand on voit le film mais on a beaucoup rigolé entre les prises. Les scènes de strip-tease, comme il y a eu une grosse préparation avec une chorégraphe qui s’appelle Chris Gandois, les choses se passaient tranquillement. Sauf peut-être la scène à la barre, la première scène du film, était la plus difficile car je ne suis pas danseuse, et même si j’étais préparée, de me retrouver seule en piste avec tous ces hommes qui regardaient, c’était la grande difficulté. Donc un vrai trac. Une vraie peur. Mais c’était très bien, je savais que Bruno Rolland, le réalisateur, allait bien filmer et je n’étais pas face à un regard d’un artiste voyeur, il n’y avait pas de soucis de ce côté-là.

Léa, qui est-elle?

Justement, on voit que Léa est en quête de liberté, elle est vivante, caractérielle aussi, est-ce qu’il y a une part de toi dans ce rôle ?
Dans son côté révoltée, rebelle, certainement ! Son côté antipathique je n’espère pas… (Rires). Il y a une grosse différence entre nous par contre, Léa, elle rêve, elle fantasme sur ce qu’elle pourrait être mais elle ne sait pas que c’est un rêve, c’est pour cela qu’elle se perd. Moi, lorsque je rêve, je sais très bien que c’est irréel donc j’aime bien rêver ! Forcément lorsque l’on joue, on prend beaucoup de soi, même si dans l’écriture, j’ai rarement pensé à moi et de nombreuses choses n’auraient pas été écrites. Mais dans le jeu, certainement qu’il y a des choses personnelles, sinon j’aurais raté mon travail !

Tu parlais du regard des hommes, quelle image de la femme est véhiculée dans Léa ?
Je pense que c’est une image de femme qui peut véritablement déranger. C’est une femme qui prend en main, qui se joue de l’image qu’on s’exténue de donner à la femme, du cadre dans lequel on tente de l’enfermer. C’est une fille qui décide à un moment de dire : « ok, je vais tirer profit de ce côté femme argent, je vais faire de l’argent ». Je trouve ça vraiment intéressant et ça dérange beaucoup. Une femme forte, ça énerve j’ai l’impression, encore aujourd’hui ! Et c’est triste de s’apercevoir de ça. Il y a beaucoup de jugements très moralisateurs même si elle se perd dans quelque chose, évidemment jouer avec son corps… on ne peut pas être plus fort que la violence générée par l’argent, et du rapport des hommes aux femmes. C’est le portrait d’une fille très combative, très lucide envers la société dans laquelle elle vit, après elle n’a pas forcément les épaules pour choisir le bon chemin. Evidemment, pour réussir, il ne faut pas tomber dans le strip-tease et s’avouer vainqueur de ce chemin là. N’empêche que c’est une fille courageuse.

En même temps, elle est tiraillée entre son envie de faire ce qu’elle veut et ses obligations par rapport à sa grand-mère, l’argent…

En fait, on comprend que l’argent n’est plus un problème pour elle et elle continue. Léa, elle crève sans les regards. Ça elle ne le sait pas. Elle est ce besoin d’être regardée car si on fait une analyse très rapide, elle n’a plus de mère, plus de père et bientôt plus de grand-mère. Elle a beau savoir tout ça, n’empêche que si plus personne n’est là pour la regarder, elle tombe. Léa va jusqu’à se brûler, s’abîmer pour se réveiller. En ça, elle est forte, elle se réveille alors que d’autres pourraient vraiment s’oublier.

 

Anne Azoulay photographiée par Maxime Stange pour Il était une fois le cinéma.

 

Décryptage du tournage

 

Dans Léa, tu te donnes complètement, très peu de scènes où tu es maquillée, des scènes de nudité presque totale, est-ce que ce rôle a été difficile à jouer, ce personnage torturé qui se donne, qui s’abandonne ?
Non ce n’était pas difficile, c’était intéressant car je ne suis pas torturée moi-même. Cette fille, Léa, je l’aime tellement ! La nudité, je le savais, je me suis préparée pour que ça ne soit pas un problème, comme quoi on peut avoir des enfants et faire en sorte que ça ne soit pas un souci. J’ai beaucoup ri des paroles en l’air qui disaient : « Mais elle ne peut pas le faire, elle a un enfant… ». Je disais que je ne voyais pas le problème ! Lorsque l’on voit le film, je rigole…

… Ah, mais de quelle manière te prépares-tu pour jouer des scènes de nu ?
Je travaille, j’ai fait pendant 3 mois 5 heures de danse par jour. C’est un vrai travail ! C’est passionnant. Après, ce n’était pas une transformation totale mais cette transformation s’est faite toute seule, après tant de danse… le corps se métamorphose. Les complexités psychologiques de Léa nécessitaient que je sois totalement à la hauteur.

Quelle était l’ambiance de tournage ?
Très bonne, tournage court et donc dense. J’étais entourée de gens formidables, ma coach, ma maquilleuse, le chef opérateur, le réalisateur et tous les techniciens autour, il y avait une cohésion très forte.

A suivre

Quels sont tes projets ?

Au cinéma, L’Exercice de l’Etat de Pierre Shoeller va sortir à la rentrée, avec Olivier Gourmet, Michel Blanc, Zabou… Très bon film politique. J’ai un beau rôle, vous verrez… et puis du théâtre, je vais faire un texte, Nathan et le sage, classique mais avec pas mal d’échos, une jolie pièce à découvrir. Sinon, Bruno Rolland m’a parlé de deux projets d’écriture, à venir.


Propos receuillis par Stéphanie Chermont à Paris, en juin 2011.


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