Rabah Ameur-Zaimèche, le chasseur de cinéma

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C´est l´histoire d´un mec qui aime vivre. Présentation banale pour un monde qui l´est de plus en plus. Toujours ce mec qui tente de se frayer un petit chemin dans cette société qui va trop vite. Rabah Ameur-Zaimèche, c´est son blaze, et la chasse au cinéma, son métier.

Le « communautarisme» , c’est un terme assez long pour désigner ou pointer du doigt des minorités agissant comme si elles avaient eu des élans majoritaires. Actuellement, les musulmans sont souvent cités. Point de tableau d’honneur, juste des faits divers qui tâchent une idéologie belle comme le jour, mais discrète comme une femme amoureuse. Certains artistes issus de l’immigration de l’après-guerre axent leurs créations autour de cette thématique, sans pour autant verser dans le didactisme ambiant, ou dans la politisation de l’outil en jeu. Au cinéma, les choses étant souvent omniprésentes, il serait futile de vouloir les manipuler. Procéder à une forme d’échange, donner du liant à une histoire et surtout laisser échapper des rêves, sont souvent des critères qui embellissent les propos du cinéaste. Un homme issu d’une communauté caresse toujours ses origines, frontalement ou implicitement. Ameur-Zaimèche, algérien de naissance et citoyen français, est un personnage bouleversant, léger, beau et simple. Son rêve, toucher la beauté d’une image, essayer de la penser, de la décortiquer, de l’illuminer, de la monter et de la cinématographier. Ses films, rares, comme ceux d’Abdelatif Kechiche (autre grand cinéaste issu de l’immigration), ne nous prennent pas pour des cons : au contraire, ils nous prennent par les bras, nous emmenant du côté des mélodrames boursouflés et des romans sociaux.

Sa filmo, une claque ! Un souffle, une œuvre qui respire, qui court…tout comme cette belle femme, cette belle femme de Bled Number One qui file du cadre pour ne plus jamais y revenir. Une œuvre sentimentale car empreinte d’une belle poésie, celle d’un quotidien tendre et dur qui raconte une histoire, la tienne, la mienne et la vôtre. Beaucoup de silence, de mots crus, de regards courtois, de gestes frémissants et de lèvres sensuelles. Les femmes sont tristement belles et les hommes, mélancoliques. On mange et cela s’entend. On se dispute et cela se voit. On pleure et on tente de caresser les joues fragiles de ces pauvres peines perdues. On danse et cela se caresse. Comme cette semoule dont on aimerait faire profiter les autres. Comme ces vagues qui vous extirpent des torpeurs de la nuit.

Trois films seulement. Pas de trilogie, ni de quadrilogie en vue. Juste quelques nouvelles qui vont prendre de l’ampleur et dessiner un corps bien défendu. Wesh Wesh (2002), c’est l’expérience, la première et périlleuse découverte du cinéma, de son arme, de ses valeurs. Bled Number One (2006), c’est le fameux "second film", celui qui confirme l’originalité de la première tentative. Essai réussi, tant la beauté tragique est omniprésente. Dernier maquis, titre concis, révolutionnaire, cri de révolte, est le troisième film. Radical, sombre et politisée, l’œuvre d’Ameur-Zaimèche a de quoi susciter une polémique, celle de ne jamais ressembler à ce qui se trame autour. Ce cinéaste chauve aime l’échange. Dans ses kilomètres de pellicule, toujours ce temps qui refuse de prendre la fuite. Toujours ce désir de regarder sans froncer les sourcils, de permettre à l’autre de se sentir apprécié (en cela, on se rapproche de Cantet/Begaudeau dans Entre les murs), de voir la vie en blanc, pureté magnifiée par les mots, par des silences assourdissants, et surtout par cette direction d’acteur qui frise le mutisme.

 

Dès que la caméra d’Ameur-Zaimèche se rapproche d’un visage, c’est une forme d’apprentissage de la vie qui s’active. Il interroge, surprend, s’énerve, reste en retrait, participe à ce microcosme et repart comme si de rien n’était. Ce mec a « simplement un besoin alarmant, voire désespérant, de vouloir s’exprimer librement et dégager des décombres une pensée merveilleuse ». N’hésitant pas à se mettre en scène dans ses propres films, Ameur-Zaimèche promène sa nonchalance et sa fausse timidité dans des allées bien familières mais ô combien dangereuses. Wesh Wesh, c’est la réinsertion sociale, c’est le retour dans un pays qui l’a vu grandir et c’est le désir d’oublier les quelques injustices sociales qui laminent ce corps titubant. Bled Number One reprend le même personnage, une temporalité différente (l’histoire a l’air de se situer bien avant Wesh Wesh), et surtout une liberté encore plus dévastatrice. Le cadre se disperse, l’écrit est légèrement présent et la caméra telle le navire d’Ulysse, qui tente de rejoindre le port d’Ithaque. Une quête qui prend des allures de cul-de-sac. Bled Number One, c’est le film d’un voyageur qui retourne vers ses origines, qui s’est fait happer par la folie de la perte d’identité et qui refuse ostensiblement de tirer un trait sur ce passé. Dernier maquis ressemble à une parenthèse, un souffle avant que le navire reprenne la mer. On le sait maintenant, cette histoire aurait dû être le second film. D’où une plus grande sécheresse dans l’analyse des visages, une plus grande radicalité dans le montage. L’intérêt du cinéaste réside non pas dans les présentations, mais plutôt dans la contemplation du discours. Tout doit passer par les mouvement des corps et les deux ou trois phrases qu’on pourrait entendre au coin d’une rue quelconque. Libre d’interpréter ce que l’on voit, ce que l’on perçoit, même si les bases sont montrées (ici, un patron manipulateur, une religion manipulée et des travailleurs amputés de leurs droits sociaux).
 
 

 
Le cinéma issu de l’immigration existe. C’est une géographie qui traite de problèmes qui touchent ceux qui aspirent à découvrir leur prochain. Le communautarisme, c’est une méthode d’approche qui parfois peut rebuter, tant l’échange est souvent réduit à des préceptes rigoristes. Le fait de réunir Kechiche, Dridi (auteur du très beau Khamsa), Salem (Mascarade, son premier film sortira en décembre) ou d’autres, ne doit surtout pas être perçu  comme une analyse facile et simpliste dont le fil conducteur serait centré autour de la nationalité. Ce groupe officieux brille surtout pour la polyvalence de lecture de leurs oeuvres. Cloisonner ces cinéastes en raison de leur statut "d’artistes maghrébins" serait une grave erreur, car ancrée dans une spirale fascisante. Il faudra donc un jour qu’une personne se penche sur ce groupe franco-maghrébin, car leur bouillonnement intérieur semble en voie d’explosion. La preuve, regardez Rabah Ameur-Zaimèche !


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