Quentin Tarantino : Cinéaste spectateur

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« I steal from every movie ever made. » (Quentin Tarantino)

Dans ses deux premiers films, le réalisateur Quentin Tarantino, qui, enfant, rêvait d’être acteur, se met en scène. Son jeu révèle en partie son style de cinéaste, tantôt bavard, il multiplie les digressions, tantôt directif, il indique et met en scène. Mais ce qui marque surtout, quand on voit consécutivement ses performances dans Reservoir Dogs et Pulp Fiction, c’est la jubilation qu’il affiche sur son visage. Le bonheur pour lui de voir d’aussi près des figures de cinéma, Steve Buscemi et Lawrence Tierney qui disent ses dialogues, John Travolta et Samuel L. Jackson qui s’exposent au jet d’eau d’Harvey Keitel, pendant que lui, muet, admire. Un bonheur de spectateur donc. Celui d’un véritable cinéphage, qui a tout vu, et qui découvre qu’il peut à son tour modeler des idoles.

Parce qu’avant tout spectateur gavé d’images, Tarantino se présente en cinéaste spectateur, cinéaste qui s’exprime dans le langage du cinéma, ou plutôt le langage des cinémas. Issu de la première génération à avoir grandi avec la télévision et les vidéos, Tarantino a une conscience aiguë du bouleversement de la relation entre le cinéma et le spectateur.

La surabondance des images semble avoir créé une distance énorme entre les deux. Or, quand le processus d’identification est empêché par cette distance, Tarantino comprend que, pour arriver aux mêmes fins, il faut réinstaurer l’apparence d’une interactivité entre le spectateur et le film, introduire le spectateur à l’intérieur du film, pas dans la peau d’un personnage particulier, mais dans la posture mobile de celui qui observe, de celui à qui l’on raconte une histoire. Ainsi, dans la réalisation de ses films, Tarantino tient compte de son propre regard de spectateur, dissipé et zappeur, il n’est pas l’un des personnages, mais vit le film avec les personnages. Les points de vue sont multiples, parfois Tarantino nous montre ce qu’aucun personnage ne peut voir, parfois il nous cache ce qu’ils voient tous.

Pour mieux comprendre l’œuvre de ce cinéaste résolument contemporain, nous analyserons chacun de ses films et tenterons de situer son travail dans l’histoire du cinéma.

Pour mener une telle étude, l’essentiel a donc été de voir des films. Les films de Tarantino bien sûr — vus, revus et décortiqués — mais aussi les films qu’il cite directement ou indirectement, ceux qu’il aime, ceux qui l’ont inspiré, ceux qu’il a inspirés. Il a fallu encore prolonger cette expérience du cinéma dans les lectures : les critiques et analyses qui se rapportaient directement au sujet, mais également des textes plus généraux.

Partie 1 : Présentation générale

Chapitre 1 : Biographie

Quentin Jerome Tarantino naît le 27 mars 1963 à Knoxville, Tennessee. Sa mère, Connie McHugh, n’a que quatorze ans et choisit son prénom en référence à Quint le personnage de Burt Reynolds dans la série télévisée Gunsmoke. Elle quitte le père, Tony Tarantino, quelques mois avant la naissance de Quentin. Quelques années plus tard, Connie et son fils s’installent dans la banlieue Sud de Los Angeles, elle y rencontre Curt Zastoupil qu’elle épouse et qui l’aidera un temps à élever son fils. Ils finiront cependant par divorcer au début des années 1970 ce qui affectera beaucoup le jeune Quentin.

Il abandonne le lycée à 16 ans pour poursuivre des études d’art dramatique. Il ne pense pas à l’époque au métier de cinéaste et souhaite devenir acteur comme son idole de jeunesse John Travolta qui triomphait dans les années 1970 (Carrie puis Saturday Night Fever et Grease) et dont il relancera la carrière en 1994 en lui offrant le rôle de Vincent Vega dans Pulp Fiction.

À partir de 1980 et grâce à l’arrivée du magnétoscope, il passe son temps à visionner des films, des cassettes vidéos qu’il loue dans un vidéo club de Los Angeles dans lequel il sera vendeur à partir de 1984. De 1984 à 1987, il tourne le week-end et en amateur son premier film My best friend’s birthday à partir d’un script de son ami Craig Hamann. N’ayant pas les moyens de faire développer les rushs au fur et à mesure, il est finalement assez déçu du résultat, mais considère avoir beaucoup appris au cours de ce premier tournage. En 1987 il commence l’écriture de True Romance, qui reprend quelques éléments de My best friend’s birthday et vend le scénario 50 000 $ en 1990. Le film sera réalisé en 1993 par Tony Scott. Il écrit l’année suivante Tueurs nés, film finalement tourné par Oliver Stone qui a largement remanié le scénario.

Si l’écriture l’intéresse, il est cependant frustré de ne pas pouvoir mettre en scène ses films et prend définitivement conscience de sa volonté de devenir réalisateur. Il est alors employé par CineTel, une petite compagnie de production hollywoodienne, où il rencontre Lawrence Bender. C’est grâce à Bender, futur producteur de tous ses films, qu’il rencontre Harvey Keitel. L’acteur, enthousiasmé par le scénario de Reservoir Dogs, accepte de financer en partie le film et d’y jouer le rôle de Mr. White.

La rencontre de Keitel est un véritable tournant, elle permet de rallier au projet un casting exceptionnel pour un film avec si peu de moyens (Tim Roth, Chris Penn, Michael Madsen, Steve Buscemi). Le film est présenté en 1991 au festival de Sundance où, malgré des premières projections rocambolesques (panne de courant, salle inadaptée au format Cinémascope, pellicule qui prend feu au cours du film), il reçoit un excellent accueil. Tarantino va ensuite présenter son film à Cannes hors compétition. Là encore il doit faire face à quelques péripéties (il doit en venir en main avec un vigile qui refuse de le laisser entrer dans le palais des festivals parce qu’il a oublié à l’hôtel son laissez-passer).

En 1993, Tarantino et Bender créent leur propre société A Band Apart (en référence au film Bande à part de Jean-Luc Godard). Celle-ci participera à la production de tous les films de Tarantino en collaboration avec Miramax, mais aussi de publicités et de films d’autres réalisateurs : John Woo, Tim Burton, mais aussi Gus Van Sant pour Will Hunting. Alors qu’il fait partout dans le monde la promotion de Reservoir Dogs, il commence l’écriture de Pulp Fiction. Le script de son second film est l’objet d’une polémique avec l’un de ses meilleurs amis d’alors : Roger Avary. En effet, Avary est l’auteur d’un scénario intitulé Pandemonium Reigned, jamais tourné mais vendu 25 000 dollars à Tarantino, et correspondant à la section du boxeur et de la montre en or de Pulp Fiction.

Tandis qu’Avary s’est estimé lésé et souhaitait voir figurer son nom au générique en tant que coscénariste au générique, Tarantino a toujours prétendu avoir travaillé seul sur l’adaptation de Pandemonium Reigned et ne s’en être servi que très partiellement. Au générique du film on peut lire « Film écrit et réalisé par Quentin Tarantino » puis seulement « Histoire par Quentin Tarantino et Roger Avary ». Ils ont toutefois été tous les deux récompensés par une statuette pour le meilleur scénario à la cérémonie des Oscar de 1995.

De retour à Cannes, cette fois-ci en compétition, c’est la consécration pour Tarantino qui reçoit la Palme d’Or des mains de Clint Eastwood, président du Jury 1994. Alors qu’il rejoint la scène pour recevoir le trophée on entend dans l’assistance les cris d’une femme qui hurle : « Pulp Fiction is shit ! Kieslowski ! Kieslowski ! » (Le réalisateur polonais Krzysztof Kieslowski présentait à Cannes la même année le 3ème volet de sa trilogie Bleu, Blanc, Rouge ;Trois couleurs: Rouge). Cet épisode sans conséquence montre à quel point, déjà, le cinéma de Tarantino divise la population « cinéphile ». Le casting de Pulp Fiction (John Travolta, Samuel L. Jackson, Uma Thurman, Bruce Willis, Patricia Arquette) témoigne de l’engouement suscité par Tarantino auprès des acteurs — tout le monde à Hollywood veut travailler avec lui— mais aussi d’un aspect caractéristique de son style : raviver les gloires passées (ici avec Travolta, plus tard avec Robert Forster, Pam Grier, David Caradine ou Sonny Chiba).

Produit par Miramax, la société des frères Weinstein, le film connaîtra un énorme succès avec plus de 100 millions de dollars de recette aux Etats-Unis (score jamais réalisé à l’époque par un film indépendant), et 105 millions de dollars supplémentaires à l’étranger, pour un budget d’à peine 8,5 millions de dollars.

Devenu en seulement deux ans la coqueluche du « nouvel Hollywood », Tarantino prend son temps pour son film suivant. Il travaille à la production de quelques projets (Killing Zoe, Four Rooms, Une nuit en enfer), réalise un épisode de la série télévisé Urgences, tourne un segment du film collectif Four Rooms, et écrit, pour son ami Robert Rodriguez, le film Une nuit en enfer dans lequel il joue aux côtés de George Clooney. En 1997 il revient à la réalisation avec Jackie Brown, une adaptation dans le style de la « Blaxploitation » de Rum Punch, un roman d’Elmore Leonard. Connu dans les années 1970 pour ses westerns (Valdez is Coming, Mr. Majestyk), Elmore Leonard s’est ensuite spécialisé dans les polars au style léger (Get Shorty, Be Cool) souvent adaptés au cinéma. En 1997 deux de ses romans on été adaptés : Rum Punch donc, et Out of Sight (film de Steven Soderbergh qui a conservé le même titre). Ces deux romans avaient en commun un personnage (Ray Nicolette) qui, fait rare voire unique, a été joué dans deux films par le même acteur (Michael Keaton) la même année. Il se retire un moment après la sortie de Jackie Brown pour écrire et voir des films. En 2001 il fait plusieurs apparitions en tant qu’acteur dans la série télévisée Alias.

En 2002, sollicité par le magazine britannique Sight & Sound, qui effectue tous les dix ans, un « Top 10 des meilleurs films de tous les temps » , Tarantino effectue le classement de douze films qui donne une idée de ses sources d’inspiration :

Les meilleurs films selon Tarantino

1. The Good, the Bad and the Ugly (Leone)
2. Rio Bravo (Hawks)
3. Taxi Driver (Scorsese)
4. His Girl Friday (Hawks)
5. Rolling Thunder (Flynn)
6. They All Laughed (Bogdanovich)
7. The Great Escape (J. Sturges)
8. Carrie (De Palma)
9. Coffy (Hill)
10. Dazed and Confused (Linklater)
11. Five Fingers of Death (Chang)
12. Hi Diddle Diddle (Stone)

Les meilleurs films selon l’ensemble des réalisateurs interrogés :

1. Citizen Kane (Welles)
2. The Godfather and The Godfather part II (Coppola)
3. 8 1/2 (Fellini)
4. Lawrence of Arabia (Lean)
5. Dr. Strangelove (Kubrick)
6. Bicycle Thieves (De Sica) / Raging Bull (Scorsese) / Vertigo (Hitchcock)
7. Rashomon (Kurosawa) / La Règle du jeu (Renoir) / Seven Samurai (Kurosawa)

On remarque ainsi que ses références diffèrent largement de celles partagées par la majorité des autres réalisateurs interrogés parmi lesquels on trouve entre autres Olivier Assayas, Cameron Crowe, Milos Forman, Ken Loach ou encore Jim Jarmusch.

A l’époque, Tarantino dit travailler sur Inglorious Bastards, qu’il présente comme une sorte de Le Bon, la Brute et le Truand transposé en France pendant la Seconde Guerre mondiale. Ayant des difficultés à extraire un véritable scénario des quelque 200 pages de notes déjà écrites, il décide finalement de se consacrer à Kill Bill, un autre projet de longue date, né de conversations avec Uma Thurman sur le tournage de Pulp Fiction.

Le film, qui s’inspire en partie de La mariée était en noir de Truffaut (film lui-même adapté d’un roman de William Irish), d’abord jugé trop long par la production sort finalement en deux « volumes » en 2003 et 2004. La sortie de Kill Bill : Vol. 2 s’effectue en avant-première à Cannes où Tarantino, 10 ans après la Palme d’Or de Pulp Fiction, est président du jury. C’est ainsi avec beaucoup d’enthousiasme qu’il lance la compétition : « J’aime le cinéma et c’est un honneur pour moi d’être le Président de ce magnifique festival. Vive le cinéma ! ». Robert Rodriguez, auteur de la musique de Kill Bill : Vol. 2, l’invite peu après sur le tournage de Sin City, film dans lequel il réalise une scène. En 2005, il tourne deux épisodes pour la série télévisée Les Experts, et annonce un moment le tournage d’Inglorious Bastards mais repousse de nouveau le projet pour co-réaliser, encore une fois avec Robert Rodriguez, Grind House, un film d’horreur en deux parties de 75 minutes. La sortie du film est prévue pour fin 2006.

Chapitre 2 : Analyse détaillée des films

Section 1 : Reservoir Dogs, Digressions intérieures

Déroutant huis clos, Reservoir Dogs fait le point sur un braquage qui a mal tourné. Braquage dont on ne saura finalement rien à part ce qui nous est donné par les récits des malfaiteurs qui y ont participé. Rapidement la paranoïa s’installe et permet de développer l’histoire. Il s’agit de savoir pourquoi tout ne s’est pas passé comme prévu, il s’agit de découvrir qui est le traître.

Faisant de la suspicion son « moteur narratif », Tarantino réinvente les règles du récit cinématographique. En effet, s’il opère d’abord par flash-back classiques, souvenirs des personnages qui cherchent, en se repassant les faits, les réponses à leurs questions, il poursuit avec des retours en arrière artificiels, sans justification dans le présent mais motivés par une dynamique de narration. Enfin, point culminant du film en matière de construction, il introduit un flash-back complètement factice, illustration visuelle d’une histoire inventée, raconté à l’intérieur même d’un véritable retour en arrière par Mr Orange (Tim Roth).

Dans un article pour Esquire écrit en 1969, François Truffaut s’interrogeait sur la possibilité pour un cinéaste de faire des progrès au cours de son œuvre, il répondait par la négative considérant que : « … tout Buñuel est dans Un chien andalou, tout Welles dans Citizen Kane, tout Godard dans A bout de souffle, tout Hitchcock dans The Lodger » (D’après François Truffaut, extrait du recueil Le plaisir des yeux, p. 274). Peut-on dire, suivant ce raisonnement que tout Tarantino est dans Reservoir Dogs ? Certainement. Mieux, on peut aller plus loin en affirmant que tout Tarantino est dans la première scène de Reservoir Dogs. Une série de courts travellings circulaires nous présente les personnages du film assis autour d’une table dans un café anodin.

Jamais la caméra ne se fixe véritablement sur l’un d’eux, le point de vue est extérieur. Le cinéma de Tarantino n’est pas un cinéma d’identification, mais de pure narration, il s’agit seulement de raconter une histoire. Raconter, c’est justement ce que fait Tarantino lui-même (Mr Brown dans le film) dans cette première scène. Avec sa verve habituelle, il expose son interprétation de la chanson de Madonna : Like a Virgin. Son propos est plein de digressions, d’égarements aussi ; interrompu par les autres personnages il finit par perdre le fil : « What the f*** was I talking about ! ».

Finalement il obtient leur attention et termine son histoire. La caméra continue son mouvement autour de la table, captant chacune des expressions de ceux qui, spectateurs, écoutent, jusqu’à un dernier plan sur le visage de Tarantino qui jubile et conclut son récit le sourire aux lèvres. Le cinéma de Tarantino s’assimile donc à ses procédés oratoires. Il construit ses films comme il s’exprime oralement délaissant la chronologie au profit d’une dynamique visant à maintenir constante l’attention du spectateur.

La longue scène d’introduction (7 minutes) se poursuit dans le café. Progressivement on en apprend un peu plus sur les personnages et les rapports de force qui existent entre eux, mais on ne sait rien de ce qui les rassemble, absolument rien n’indique qu’ils s’apprêtent à braquer une bijouterie. Ces dialogues sont « d’une durée et d’une teneur totalement incongrues pour un polar, ces conversations ne s’inscrivent pas directement dans l’histoire. Elles ne la sous-entendent pas non plus comme peut le faire un dialogue allusif à la Melville ou un dialogue au second degré à la Hawks. Elles sont en réalité à côté de l’histoire. » explique Claire Vassé (D’après Claire Vassé , Le dialogue, du texte écrit à la voix mise en scène, Editions des Cahiers du cinéma, p. 60). Il ne s’agit aucunement de faire avancer l’histoire ou d’apporter des informations concernant la psychologie des personnages, mais bien davantage d’accumuler des petits détails sans réelle importance qui contribuent à rendre le récit plus vivant. Ces dialogues participent à un certain état d’esprit, élément essentiel dans les films de Tarantino.

On retrouve tout de suite cette idée dans le générique ultra stylisé montrant, sur fond de rock des années 70, les personnages découverts dans le café filmés au ralenti et traversant un parking.

Une fois l’ambiance installée, l’histoire peut réellement commencer. Avant même la fin du générique, sur le fond noir des derniers cartons de présentation, se font entendre des cris de douleur. On retrouve deux des personnages vus dans le café, mais dont on ne sait pour le moment pas grand chose, dans une voiture en marche. L’un d’eux (Tim Roth), le plus jeune, est étendu sur la banquette arrière et hurle à la mort tandis que l’autre (Harvey Keitel), qui conduit la voiture, tente de le rassurer.

De rapides panotages, d’un visage à l’autre, accentuent l’urgence de la scène. On apprend alors qu’ils se dirigent vers un mystérieux rendez-vous. Tout ce mystère permet de renforcer la tension dramatique, le spectateur est d’autant plus choqué par les images (la voiture est pleine de sang) et par le son (les hurlements de Tim Roth) qu’il ne connaît pas les raisons de la situation qu’il est entrain de voir.

Le lieu du rendez-vous évoqué par la discussion entre les deux personnages, un grand hangar, sera le décor principal du film. Mr Pink (Steve Buscemi) est le premier à rejoindre les deux hommes. C’est le début d’un long dialogue entre lui et Mr White (Harvey Keitel) qui nous donne les premières réponses à nos interrogations. Le braquage auquel ils ont participé a mal tourné et, s’ils ont pu échapper à la police, d’autres n’ont pas eu la même chance.

On découvre que les personnages eux aussi s’interrogent, et Mr Pink est persuadé qu’il y a un traître parmi eux. Comme pour se dédouaner d’une violence parfois excessive, Tarantino introduit dans ses dialogues un certain détachement qui indique que cela reste, quoi qu’il arrive, du cinéma. Ses personnages ne font que jouer aux gendarmes et aux voleurs, et à Mr Pink qui lui demande s’il a du tué des gens, Mr White répond « Pas de vrais gens, juste des flics ».

Commence alors une série de flash-back chaque fois précédés d’un carton titre indiquant le pseudonyme du personnage dont il va être question. De retour dans le hangar, nous découvrons Mr Blonde qui, selon Mr Pink, aurait agi en véritable psychopathe à l’intérieur de la bijouterie. Joué par Michael Madsen, le personnage a ramené avec lui une « surprise ». Il s’agit d’un policier qu’il a ligoté et enfermé dans son coffre.

Les trois hommes le traînent jusqu’à l’intérieur du hangar pour l’interroger et essayer de découvrir le traître, tandis que Mr Orange, toujours au sol, gémit dans sa mare de sang. Quand Mr White et Mr Pink partent pour récupérer les diamants cachés par ce dernier, c’est l’occasion pour le dangereux Mr Blonde de se livrer, après avoir pris soin de bâillonner sa victime, à un numéro de torture en musique. S’armant d’un rasoir, il effectue quelques pas de danse face au policier attaché à une chaise et complètement terrifié.

Puis, décidé, il s’avance et, dans un « pudique » hors champ, lui découpe l’oreille. On pourrait croire l’insoutenable carnage terminé lorsque Mr Blonde retire le bâillon du policier, mais le plan séquence qui accompagne, toujours en musique, le tortionnaire jusqu’à sa voiture semble nous indiquer le contraire. D’autant qu’il revient avec un bidon d’essence, asperge le policier, et sort son briquet. Alors Mr Orange, qui s’était fait oublier, intervient et crible Mr Blonde de balles. Ce retournement de situation inespéré est révélateur de l’attitude de Tarantino vis-à-vis des spectateurs. Mr Orange agit en fait comme un spectateur qui, excédé par l’accumulation de violence, décide de dire « Stop ! ». Le spectateur n’a plus à se prendre pour un personnage, ce sont les personnages qui s’identifient aux spectateurs.

Quoi qu’il en soit, la réaction de Mr Orange est l’occasion d’en apprendre un peu plus sur ce personnage. Un dialogue avec le policier à l’oreille coupé nous révèle que Mr Orange est en fait Freddy Newendyke, policier infiltré, et donc traître recherché par les autres. Suit alors un flash-back pas tout à fait classique, puisque le souvenir ne part pas du personnage lui-même, qui dans cette situation n’a aucune raison de faire appel à sa mémoire, mais plutôt du spectateur, à la recherche d’explications concernant ce qu’il vient de voir.

On voit donc Freddy, se préparer à sa première rencontre avec les organisateurs du braquage. Il apprend par coeur une histoire qu’il raconte comme sur scène devant son collègue policier jusqu’à la maîtriser parfaitement pour pouvoir être crédible aux yeux de la bande de malfrats qu’il s’apprête à infiltrer. L’histoire se déploie sans interruption, au fil des progrès de Freddy s’improvisant comédien, de la première lecture du texte à sa récitation finale. Les mouvements de caméra soulignent ce cheminement. D’abord des plans fixes, en attente d’une parole qui se construit, puis des demi-cercles, centrés sur Freddy qui a pris confiance.

Enfin, quand le récit est parfaitement maîtrisé, il est mis en image, c’est le flash-back factice évoqué plus haut. Freddy est à l’intérieur de ce flash-back, mais, au lieu de laisser faire les images, il poursuit son récit, « … simultanément, les cercles complets que la caméra dessine autour de lui déclarent l’autonomie à présent pleinement acquise de sa récitation. » explique Emmanuel Burdeau dans une analyse de cette séquence (D’après Emmanuel Burdeau, Une lecture de Quentin Tarantino, Cahiers du cinéma N° 591 – Juin 2004, p. 75).

Son histoire ayant fonctionné, Freddy est finalement recruté. On assiste alors à une scène caractéristique de ce que l’on pourrait qualifier de détournement de films de genre. En effet, les films de genre ou de série B constituent pour Tarantino une source intarissable d’inspiration. Or, si Reservoir Dogs s’inspire des films de braquages, il n’est pas soumis aux règles fondamentales les définissant. Au contraire, feignant de suivre le schéma classique des films de genre, Tarantino exploitent ce schéma pour créer un décalage. C’est en ce sens, mais nous y reviendrons, qu’il est le plus influencé par la Nouvelle Vague, et la grande liberté prise par Truffaut (Tirez sur le pianiste, La sirène du Mississipi) ou Godard notamment (A bout de souffle, Pierrot le fou, Une bande à part), dans la réexploration des films de genres. Si la scène de la distribution des pseudonymes dans Reservoir Dogs constitue donc une parfaite illustration de cette idée, c’est justement parce qu’elle évoque une séquence classique des films de braquage, dans laquelle les personnages sont présentés un à un avec chacun leur spécialité.

Or, dans Reservoir Dogs, il ne s’agit pas de préciser la spécialité de chacun, ni de donner d’indication psychologique, mais, simplement, d’associer à chaque personnage une identité factice, un code pour le désigner. On ne saurait se satisfaire de l’explication scénaristique, selon laquelle les pseudonymes ne seraient là que pour éviter qu’un des braqueurs ne « balance » les autres s’il était arrêté. Là encore, Tarantino joue avec les normes, ses personnages sont des couleurs sur une palette, des morceaux de récit qu’il applique sur la toile de son film. A l’image des « Westerns spaghetti » qu’il affectionne particulièrement, Tarantino confère à ses personnages une psychologie très nuancée. Celle-ci n’est pas vraiment perceptible au travers des dialogues — qui, on l’a vu, sont à côté — mais s’inscrit au cœur de la narration. La complexité des personnages est ici au service de l’imprévisibilité du récit. C’est donc de manière quasi-invisible que Tarantino aborde les sentiments et les cas de conscience. D’un plan parfois il règle la question. Tim Roth est à terre bouche bée. Le flic embusqué, a tué une civile pour protéger sa vie, pour protéger sa mission. Il a agi en meurtrier ; cas de conscience expédié.

Reservoir Dogs, dont la virtuosité de construction et de mise en scène tranche avec la pauvreté des moyens mis en œuvre, se clôt sur une fusillade générale. Référence sans doute la plus marquée à L’Ultime Razzia de Stanley Kubrick, souvent cité en relation avec le film, tous les acteurs s’écroulent. Mr. White et Freddy ont survécu. Agonisant, et alors qu’on entend au loin les sirènes de la police, le premier prend dans ses mains la tête du second. Coupable, Freddy avoue sa trahison. Alors Mr. White, en larmes, braque son arme sur celui qu’il cajolait jusque-là. A ce moment la police entre dans le hangar et lui ordonne de se rendre. La caméra cependant s’élève et les derniers coups de feu sont hors champ : ultime opportunité laissée au spectateur de croire au triomphe, dans cet amas de violence, d’un improbable happy end, la survie du bon. Mais qui est le bon ?

Section 2 : Pulp Fiction, Tout en décalage

Comme dans Reservoir Dogs, on entre dans Pulp Fiction au milieu d’une conversation. Le décor est le même, un restaurant californien. Les personnages sont différents, il s’agit cette fois d’un couple, mais là encore on les identifie par des pseudonymes, tendres surnoms qu’ils se donnent ; Pumpkin et Honey Bunny se mettent d’accord pour arrêter de braquer les petits magasins et opter plutôt pour les restaurants comme celui dans lequel ils se trouvent, moins dangereux et plus lucratifs.

Comme toujours chez Tarantino, la parole précède l’acte, les deux personnages se lèvent, armes aux poings : début du braquage, début du film. Cette première scène affiche d’emblée le registre du film. Entre, le baiser échangé, complice à plus d’un titre, pour clore la conversation — « I love you, Honey Bunny » — et la violence de la sommation qui suit immédiatement : « Any of you fuckin’ pricks move and I’ll execute every one of you motherfuckers ! » , il y a tout le décalage de Pulp Fiction. Le décalage entre les actes et la parole, entre le son et l’image, entre le récit et le temps, est à la fois le moteur comique et narratif du film.

Alors que le générique défile encore au son épique de Misirlou et égrène les noms des stars qui composent le casting — John Travolta, Samuel L. Jackson, Uma Thurman, Harvey Keitel, Tim Roth, Ving Rhames, Eric Stoltz, Christopher Walken et Rosanna Arquette — on entend les grésillements d’une radio dont on change la station. Sorte de zapping brisant toute chronologie, Pulp Fiction, nous promène et nous perd au milieu des trois histoires racontées.

Trois histoires qui finissent par se croiser et dont la cohérence n’est parfaitement scellée qu’à la fin du film. Décalage encore, le générique se termine et l’on se trouve à nouveau au milieu d’une conversation. Elle se tient cette fois à l’intérieur une voiture. Jules (Samuel L. Jackson), au volant, interroge Vincent (John Travolta) sur son récent voyage en Europe. Celui-ci décrit les modalités de la loi néerlandaise sur le cannabis, puis souligne les petites différences qu’il a pu remarquer dans les noms des hamburgers ou la manière d’agrémenter les frites. Avec toujours autant de détachement, ils vont chercher leurs armes dans le coffre. On comprend alors que ces deux hommes sont des tueurs et que ceux qu’ils doivent tuer sont « trois ou quatre ». Ce doute, sur le moment anodin, est d’abord perçu comme un signe supplémentaire de leur édifiante désinvolture, la suite en fera un élément essentiel du récit. La parole — pourtant « à côté de l’histoire » — est à tous les degrés du film. Toujours elle annonce ce qui, indirectement, va suivre, renforçant ainsi le caractère imprévisible du film.

Les dialogues préparent à une action, qui, parce qu’elle n’a pas lieu tout de suite, surprend. « Avec ce film, Tarantino nous entraîne sur des montagnes russes sans que nous puissions jamais anticiper les rebondissements ; nous devenons pareils à des gamins perdus dans le noir, reliés au seul "cordon ombilical" de l’écran. » (D’après Jerome Charyn, Quentin le Fou, Cahiers du cinéma N° 556 – Avril 2001, p. 64).

La construction du film contribue également beaucoup à cet effet de surprise permanent et renforce ainsi le dynamisme du récit. « Comme Citizen Kane, Pulp Fiction est construit si peu linéairement que vous pourrez voir le film une douzaine de fois et ne jamais être en mesure de vous souvenir de ce qui va suivre. » (D’après Roger Ebert, article du 14 Octobre 1994 pour le Chicago Sun-Times).

Mais revenons aux personnages de Vincent et Jules qui, après être entrés dans l’immeuble en débattant du degré d’intimité qu’impliquait un massage des pieds, se présentent face à la porte de l’appartement qu’ils doivent « visiter ». Décalage toujours, ils sont en avance ! Ils s’écartent donc un peu dans le couloir et, toujours aussi sereinement, reprennent leur conversation. On apprend que Vincent a rendez-vous avec Mia (Uma Thurman), la femme de leur patron Marsellus Wallace, puis ils finissent par entrer. A l’intérieur de l’appartement, Vincent et Jules, toujours aussi calmes, s’emparent d’une mallette au mystérieux contenu qu’ils étaient venu chercher. Puis, preuve encore une fois que la parole, chez Tarantino, doit précéder l’action, Jules récite un verset de la Bible avant d’ouvrir le feu.

Changement de décor. Par un carton titre « Vincent Vega & Marsellus Wallace’s wife », Tarantino nous rappelle que ce qu’il avait déjà annoncé dans un précédent dialogue ne devrait pas tarder à arriver. Pas encore, cependant. On découvre le boxeur Butch (Bruce Willis) plein cadre, qui, dans l’ambiance tamisée d’un bar, écoute avec plus ou moins de conviction les recommandations d’une voix en off. Cette voix, c’est celle de Marsellus Wallace qui demande à Butch de « se coucher » volontairement dans son prochain combat. On voit finalement en bas à gauche de l’écran la main de Marsellus qui tend une enveloppe de billet et scelle ainsi le contrat. C’est à ce moment que Jules et Vincent entrent dans le bar. Détail curieux, mais sur le moment anodin, ils ont troqué leurs costumes noirs pour des vêtements de plage.

La scène est l’occasion d’une brève rencontre entre Vincent et Butch. Tarantino met en scène des rapports de force entre ses personnages, ses unités de narration, et les fait évoluer au cours de son film. Toute la première partie globalement dédiée au personnage de Vincent le mettra en position de force. Puis, l’histoire bifurque sur le personnage de Butch qui finit par tuer Vincent. Enfin, la dernière partie est plus largement consacrée à Jules qui, particulièrement dans la scène de l’intervention de Wolf, va dominer Vincent. Tous les autres personnages permettent de réguler ces relations.

La construction très particulière de Pulp Fiction, qui permet notamment de faire apparaître Vincent à l’écran aussi longtemps avant qu’après sa mort, est essentielle dans ce processus. Alors que la notion de flash-back était déjà largement remise en cause dans Reservoir Dogs, elle est ici totalement bouleversée. En effet, comme c’est très souvent le cas dans le cinéma américain depuis Citizen Kane, le film s’ouvre sur le début d’une scène reprise à la fin du film. Mais ce qui change tout dans Pulp Fiction, c’est ce qui se passe entre le début et la fin, car le film se termine sur ce qui, chronologiquement, correspond au milieu de l’histoire.

Après la scène dans le bar, on retrouve Vincent qui rend visite à son ami dealer pour se procurer de l’héroïne. Encore une fois, une réplique anodine annonce une catastrophe à venir. Comme le doute sur le nombre de cibles à tuer au début du film, l’indifférence entre ballon et sachet pour contenir la dose d’héroïne sera déterminante. C’est en trouvant dans la poche de Vincent un sachet de ce qu’elle prend pour de la cocaïne que Mia fera son overdose. Le décalage entre le caractère dramatique des situations de crise et celui apparemment quelconque des scènes qui les précède est en fait totalement factice. C’est dans la banalité du quotidien qu’est à chaque fois contenue la cause des catastrophes.

C’est donc avec une dose d’héroïne dans le sang et par conséquent dans un état second que Vincent passe chercher Mia. Elle a laissé un mot sur la porte en lui demandant de patienter un moment, ce qui lui permet d’observer sa démarche incertaine via les caméras de surveillance et de se « poudrer le nez » avant de le rejoindre. Suit une séquence de pop culture absolue. Installés dans l’une des Cadillac recyclées en table du Jack Rabit Slim’s Restaurant, véritable temple du culte kitch imaginé par Tarantino, Mia et Vincent parlent d’un milk-shake à 5 $, du pilote imaginaire dans lequel Mia a joué, de la différence entre Marylin Monroe et Mamie Van Doren… Et puis, comme une apothéose il fait revivre, le temps d’un concours de twist, le Travolta de La Fièvre du samedi soir.

Enivrés, ils rentrent avec le trophée et pendant que Vincent, face au miroir des toilettes, tente de se convaincre de rentrer chez lui sans histoire, Mia fait l’erreur de sniffer l’héroïne qu’il a malencontreusement laissé dans la poche de son imperméable. C’est l’overdose. Panique, Vincent fonce chez son ami dealer en espérant qu’il saura gérer la situation. Dans l’hystérie générale il finit par injecter d’un coup puissant une dose d’adrénaline qui réanime Mia. Cette scène est caractéristique de l’écrasement ou de l’étouffement de l’action par la parole. Le choc n’est pas réellement dû aux images — la scène se compose de quelques plans fixes — mais à la brusque tension véhiculée par les dialogues. Le plan sur la seringue est sans appel, c’est le spectateur qui reçoit l’adrénaline !

Alors que la première partie se termine sur une blague apprise par Mia sur le tournage de son pilote et qu’elle avait promis de raconter à Vincent, Tarantino ouvre un nouveau chapitre : « The golden watch ». On retrouve Butch enfant qui reçoit la visite de Christopher Walken en vétéran du Vietman lui rapportant la montre en or de son père décédé et détaillant l’insolite parcours de l’objet de métal jusqu’aux mains du jeune garçon. Comme pour la scène dans le bar avec Marsellus Wallace, Butch ne fait qu’écouter, mais cette fois, c’est celui qui parle qui occupe le champ. Par ce subtil changement de point de vue, Tarantino nous indique que cette deuxième partie sera consacrée au personnage de Butch. L’histoire se termine par le réveil en sursaut de Butch adulte qui s’apprête à disputer son match.

L’instant d’après, on voit Butch sauter dans une ruelle où l’attend un taxi. On apprend par la radio la mort de son adversaire mis KO, mais Butch ne le saura que quelques minutes plus tard de la bouche d’Esmeralda Villalobos qui conduit le taxi. Comme dans Reservoir Dogs où l’examen moral de Freddy était expédié en un plan, Butch se contente d’un hochement de tête et lâche : « Sorry about that Wilson ! ». Il se rend à un motel où il passe la nuit avec sa femme Fabienne. Le lendemain matin, il s’aperçoit que Fabienne a oublié de prendre la montre en or de son père.

Fou de rage, il décide finalement d’aller la chercher dans leur appartement, conscient qu’il risque de tomber nez à nez avec l’un des sbires de Marsellus. Méfiant, il se gare à distance, et se rend jusqu’à la porte de l’appartement, accompagné par un long plan-séquence. Arrivé à l’exact milieu du film, on assiste à deux événements qui échappent à la loi du décalage de Pulp Fiction. Pour la première fois, tout se passe à l’heure.

Etonnante coïncidence des unités narratives, Butch rentre chez lui précisément au moment où Vincent, sensé surveillé les lieux, s’est enfermé aux toilettes. Mieux, alors qu’il a repris sa voiture, Butch s’arrête à un feu exactement au moment où Marsellus traverse la rue. Dans les deux cas la mise en scène est la même. D’abord tout s’arrête, les personnages n’en croient pas leurs yeux, même la parole, qui s’insinuait dans les décalages de temps pour installer des décalages de fond, est ici éteinte. Alors, soudainement, l’action reprend le dessus, Butch abat Vincent puis, face à Marsellus, il accélère et le renverse.

Nouvelle coïncidence, de lieu cette fois, Butch, et Marsellus à sa poursuite, échouent dans une boutique plutôt louche où ils seront séquestrés par deux sadomasochistes. Retour au décalage, Zed, l’un des deux hommes, choisit qui sera sa première victime en récitant une comptine. Pendant que Marsellus est violé dans la pièce voisine, Butch réussit, dans un beau plan au ralenti, à défaire ses liens. Il est sur le point de s’enfuir mais décide finalement d’aller à la rescousse de Marsellus. Le choix de son arme est l’occasion de quelques clins d’oeils.

Tenté un moment par la tronçonneuse façon Scarface, il opte finalement pour le sabre traditionnel que l’on retrouvera dans Kill Bill. Marsellus, reconnaissant, lui pardonne sa trahison et Butch peut s’en aller, sur le chopper de Zed, avec sa femme Fabienne serrée contre lui, et le gain des paris grâce à la flambée de sa côte avant le match. Ce pourrait être la fin d’un western, c’est d’ailleurs chronologiquement la fin du film, mais il reste à Pulp Fiction un troisième et dernier chapitre : « The Bonnie situation ».

Cette troisième et dernière partie est plus largement consacrée au personnage de Jules. On le retrouve en effet dans la scène où il récitait un verset de la Bible, mais cette fois du point de vue d’un nouveau personnage, caché dans les toilettes. Le jeune homme, terrorisé, finit par sortir en hurlant et vide son chargeur sur Jules et Vincent.

Mais, miracle, aucune balle ne les touche. Nouvelle coïncidence qui donne lieu à la même mise en scène que pour Butch, un temps de flottement dû à la surprise, puis une réponse par l’action, la riposte des deux tueurs. Butch et Vincent emmènent avec eux le quatrième personnage de l’appartement, plus ou moins complice mais totalement traumatisé par la scène à laquelle il vient d’assister.

Alors qu’ils roulent en plein jour dans les rues de Los Angeles, Vincent tire par accident dans la tête du jeune homme assis à l’arrière. Le temps de faire face la situation, les deux hommes vont donc cacher la voiture maculée de sang dans le garage d’un ami de Jules, Jimmie (Quentin Tarantino). Parce que Bonnie, la femme de Jimmie, doit rentrer d’un moment à l’autre, il faut agir très vite. Jules appelle donc Marsellus qui lui envoie un expert à la rescousse : Wolf (Harvey Keitel). Bel exemple de décalage, « That’s thirty minutes away. I’ll be there in ten. » précise Wolf au téléphone.

La situation réglée, le film, dans le prolongement de cette troisième partie, reprend en épilogue la séquence pré-générique. Jules et Vincent, qui ont dû troquer leurs costumes noirs tachés de sang pour les vêtements de plage de Jimmie, entrent dans le restaurant du début du film. Jules explique à Vincent que, touché par le miracle qu’ils ont vécu pendant le règlement de compte, il a décidé de se retirer des affaires — ce qu’il fait probablement puisqu’on ne le voit pas dans le segment centré sur Butch.

Alors que Vincent s’est absenté aux toilettes, Pumpkin et Honey Bunny commencent leur numéro. Avec un calme en total décalage avec l’hystérie des deux jeunes braqueurs, Jules obtempère comme les autres clients mais refuse de donner la mystérieuse mallette qu’il a récupérée ce matin avec Vincent. Son attitude, assez surprenante si on la rapporte à la scène où il tue sans ciller dans l’appartement au début du film, est une nouvelle démonstration de l’évolution du statut des personnages au cours du récit.

La notion de décalage est au cœur du dispositif de surprise mis en place par Tarantino. D’abord les décalages de fond ou de forme — entre les diverses unités narratives, entre les dialogues et les situations — choquent ou font rire, puis, à plusieurs reprises, c’est justement l’absence de décalage, la coïncidence qui surprend.

Section 3 : Jackie Brown, Le temps de la négociation

Trois ans après Pulp Fiction, Tarantino prend à contre-pied le phénomène auquel il a été rapidement associé. Avec moins de violence et une construction plus classique, il fait de Jackie Brown, adaptation d’un roman d’Elmore Leonard, un film de personnages sur fond d’hommage à la « Blaxploitation ».

Au cœur du film, une réflexion sur le temps et la vieillesse, réflexion que l’on retrouve jusque dans le casting de Pam Grier pour Jackie Brown et Robert Forster pour Max Cherry. « Ce film imparfait, mais d’une incomparable beauté, a été éreinté par les gens qui s’attendaient à ce que Tarantino creuse un peu plus le sillon de Pulp Fiction. Comme s’il avait pu faire par inadvertance un film de 2h30, presque entièrement composé de conversations entre des gens d’âge mûr et fatigués ! » (D’après Kent Jones, Eloge de l’acteur vieillissant, Cahiers du cinéma N° 523, p.30).

Le film s’ouvre sur la chanson Across 110th Street — bande originale du film de Blaxploitation du même nom, on voit Pam Grier, cadrée de profil, elle porte une veste bleue et un chemisier blanc qui ne laissent aucun doute, elle est hôtesse, la scène se situe dans un aéroport. Immobile à droite de l’écran, elle se laisse porter par le tapis roulant tandis que le générique défile à gauche. Le sourire aux lèvres, elle passe sans encombre à côté des contrôles de sécurité. Elle poursuit sa marche sereinement puis, imperceptiblement, accélère le pas. De plus en plus crispée elle se pince les lèvres, accélère encore et finit par courir.

Qu’est-ce qui a motivé ce soudain emballement ? Rien. Frappés par les incessantes ruptures entre l’action promise et l’action ayant effectivement lieu, Emmanuel Burdeau et Thierry Lounas ont parlé de « film déceptif » : « moins par rapport au précédent qu’à l’intérieur de lui-même, ce qui arrive étant systématiquement moindre que ce qui est annoncé, prenant, au lieu de l’apparence escomptée de l’événement, les traits effacés de l’imperceptible. » (D’après Emmanuel Burdeau et Thierry Lounas, Trois figures de la réalisation, Cahiers du cinéma N° 525, p. 53).

Le générique passé, nous découvrons trois personnages entrain de discuter en regardant une vidéo dans laquelle des jeunes femmes en maillot vantent les mérites d’armes en tout genre. Ordell (Samuel L. Jackson), vendeur d’armes étale sa science à Louis (Robert De Niro) tandis que Melanie (Bridget Fonda), surfeuse défoncée et désoeuvrée suit la scène avec indifférence. A deux reprises le téléphone sonne. Ordell souhaitant faire valoir son autorité doit à chaque fois négocier pour que Melanie se lève et aille décrocher. On note ici les premiers signes d’un mouvement fondamental de Jackie Brown. Toujours, et l’on rejoint ici l’idée de « film déceptif », l’action la plus insignifiante est désamorcée par une longue négociation.

Le deuxième appel provenait d’un certain Beaumont. Employé d’Ordell, il a été arrêté. Ordell va donc à la rencontre de Max Cherry, prêteur de caution, pour le faire libérer. Bien entendu il faut négocier.

Ce qui suit est certainement la plus belle représentation du mouvement d’action/négociation répété au cours du film. Ordell se rend la nuit chez Beaumont. Première négociation, il lui demande de le suivre pour l’aider dans une situation difficile. Arrivés à la voiture, les deux hommes négocient de nouveau. Ordell insiste pour que Beaumont monte dans le coffre pour surprendre d’improbables acheteurs. Il réussit finalement à le convaincre en lui promettant de l’inviter au restaurant juste après. Ordell prend le volant, enfile des gants, pousse une cassette dans l’autoradio et démarre. La caméra saisit le départ de la voiture, puis, d’un plan de grue suit son trajet, elle tourne tout de suite jusqu’à s’arrêter dans un terrain vague juste derrière. Ordell sort, ouvre le coffre tire et tue Beaumont. Promesse non tenue — toujours cette idée de « film déceptif » — pas de restaurant.

On retrouve ensuite l’hôtesse Jackie Brown, arrêtée par la police avec, sur elle, une enveloppe contenant 50 000 $. Employée par Ordell pour faire passer de l’argent depuis le Mexique, elle a été dénoncée par Beaumont. Parce qu’elle sait qu’elle est surveillée par Ordell, Jackie décide de ne pas négocier avec la police. La parole étant le vecteur de la négociation, elle se tait.

Du coup, Ordell lui, négocie, mais avec Max, pour transférer l’argent de la caution de Beaumont et faire libérer Jackie. Max va la chercher en prison et l’invite à prendre un verre avant de la ramener chez elle. Jackie, après s’être informée auprès de Max, comprend qu’il faudra jouer serré pour ne pas connaître le même sort que Beaumont. En effet, Ordell débarque chez elle en pleine nuit et c’est grâce à l’arme qu’elle a emprunté — à son insu — à Max qu’elle parvient à le raisonner.

Alors que le film s’engage dans un mécanisme « d’arnaque » assez complexe à la première vision, les personnages s’étoffent. Tarantino a déclaré considérer Jackie Brown comme son Rio Bravo. Un film centré sur des personnages avec lesquels on apprend à passer du temps. Des personnages dont on découvre un peu plus la complexité à chaque nouvelle vision, une fois, en tous cas, la nécessité de se concentrer sur l’intrigue évacuée. Le plan de Jackie est de négocier avec la police pour coincer Ordell, et de négocier avec Ordell pour faire d’un coup le transfert des 500 000 $ d’économies qu’il garde au Mexique. Mettant au point toute une mise en scène à l’intérieur du centre commercial, elle va réussir, grâce à l’aide de Max, à subtiliser l’argent à l’insu de tout le monde.

En dehors de la grande séquence de l’échange de l’argent dans le centre commercial, Tarantino adopte une construction assez classique et linéaire. Il n’emploie que quelques tout petits flash-back et flash-forward quand Max explique pourquoi il pense arrêter son métier ou de temps en temps pour apporter des précisions sur l’action.

Dans la zone des restaurants du centre commercial, Jackie fait une dernière mise au point avec Ordell. Le marché est conclu et il s’en va. On voit alors Max sortir d’une salle de cinéma. Il marche tranquillement, les mains dans les poches, vers les restaurants et fait mine de chercher quelque chose. Quand Jackie, qui l’aperçoit, l’appelle, il met un peu de temps à se retourner, puis avec un grand sourire, il fait semblant d’être surpris. Pourquoi semblant ? Parce que, et même si un plan de coupe sur Ordell, qui les observe, nous empêche d’entendre sa réponse quand Jackie lui demande ce qu’il est allé voir au cinéma, la musique entendue à sa sortie de la salle ne laisse aucun doute, il a vu Jackie Brown !

On assiste alors à l’échange, déjà décrit par la parole dans les détails, avec dans un premier temps un coup d’essai — signalé par le carton titre « Money exchange, Trial run » — pour que la police, comme Ordell, s’assure que tout peut fonctionner comme prévu. A l’arrivée de Jackie à l’aéroport, le policier Ray Nicolette enregistre sur un dictaphone tous les détails. Une nouvelle scène de négociation, très drôle, porte cette fois sur la couleur du sac dans lequel vont être échangés les billets.

Mise en scène simple et claire du propos du film, la négociation fait perdre du temps. Le temps, les personnages vieillissant de Jackie Brown n’en ont pas à revendre et ils devront, pour s’en sortir, décider à un moment ou à un autre de prendre les devants et de passer outre la négociation. Le coup d’essai a lieu et Jackie peut mettre en place la suite de son plan. Elle fait croire à Ordell qu’il vaut mieux réaliser l’échange dans les cabines d’essayage du rayon mode, et à la police que Ordell a décidé de changer le montant du transfert en le rabaissant à 50 000 $.

Le titre « Money exchange, For real this time » annonce le début d’une partie du film plus proche de ce que Tarantino avait montré dans Pulp Fiction, c’est-à-dire archi-rythmée et dont on ne peut comprendre tous les détails qu’à la fin. Début du film dans le film, au moment où Jackie rentre dans le centre commercial, Tarantino la cadre de la même manière que pour le générique.

Oubliées un instant, les considérations sur le temps et ses effets sont ici mises de côté un moment. Mais un champ contrechamp montrant Jackie perturbée par son reflet dans le miroir nous rappelle le sujet essentiel du film. Le transfert est montré trois fois, depuis les trois points de vue de Jackie, Louis et Max. La séquence de Louis nous montre une situation dans la-quelle la négociation n’est plus possible. A partir du moment où le vecteur parole n’aboutit à rien, quand il est vidé de son contenu, plus rien n’est négociable, le dialogue devient insupportable. Ainsi, c’est parce qu’elle a dit un mot de trop que Louis tue Mélanie sur le parking.

Grâce à une nouvelle ruse, Jackie réussit à faire en sorte qu’Ordell soit abattu par la police. Tout finit donc bien pour elle, et, avant de partir en Espagne, elle passe dire au revoir à Max. Face à face ils s’embrassent, mais leur baiser est interrompu par la sonnerie du téléphone. Il finit par décrocher et la regarde s’en aller, en continuant de parler. Tandis que Jackie monte dans sa voiture, il demande à son interlocuteur de rappeler dans une demi-heure. Jackie Brown fait état du temps qui passe. On peut le faire défiler indéfiniment et de tous les points de vue, il fuit. On peut demander un délais, mais à quoi bon ? Max pourrait lui courir après, mais il sait qu’il est trop tard. Il a laissé passé sa chance, alors il se retire dans son bureau. Sa chance, Jackie elle l’a saisit. Car revenons à la question posée au début de l’analyse. Qu’est-ce qui justifie la course du générique ? Rien ? Non, le temps. Jackie court pour être à l’heure, comme il lui a fallu prendre un risque pour arriver à ses fins quand il était encore temps. Jackie Brown, « Film déceptif » ? Sans doute. Comme l’est la vie si l’on se contente de la négocier.

Section 4 : Kill Bill, Le double d’un film

Le titre dit déjà l’essentiel. Kill Bill raconte un laborieux périple dont la destination ne fait aucun doute, le meurtre d’un dénommé Bill. Mais qui veut tuer Bill ? Pourquoi ? Comment ? Et d’abord qui est Bill ? Voilà autant de questions dont Tarantino distille avec parcimonie les réponses au cours des deux volumes d’un film, à l’origine prévu pour n’être qu’un mais le double et sa symbolique recèlent quelques intérêts cinématographiques que Tarantino emploie largement.

Kill Bill : Vol 1 s’ouvre sur un meurtre. Une jeune femme, jouée par Uma Thurman, et dont on voit en noir et blanc le visage tuméfié, est abattue d’une balle dans la tête par Bill dont on n’entend que la voix en off. Le générique, toujours en noir et blanc, semble montrer, d’un plan fixe très contrasté la même femme étendue dans son cercueil le jour de son enterrement. Retour cependant à la couleur dans la scène qui suit.

On voit Uma Thurman sonner à la porte d’une paisible villa. S’agit-il d’un flash-back ou d’un flash-forward ? La réponse nous est immédiatement donnée : à la vue de l’autre jeune femme venue ouvrir la porte, l’image rougit et une alarme retentit, un micro flash-back en surimpression nous montre que la jeune femme en question — Vernita Green — était parmi les tortionnaires de Uma. Tout de suite donc, le film s’engage dans le processus de vengeance qu’il suivra jusqu’à la fin, et le combat commence. Celui-ci extrêmement violent sera interrompu par l’arrivée dans la villa de la fille de la maîtresse de maison.

Entre l’enfant et sa mère a alors lieu un dialogue à deux niveaux. L’un oral et mensonger, l’autre, plus intéressant, par le regard. Les yeux de la fille interrogent, ceux de la mère supplient puis menacent. On croit à ce moment pouvoir connaître l’identité du personnage joué par Uma Thurman, mais, au moment où elle le prononce, son nom est bipé. Il faudra donc patienter un peu et continuer en attendant à l’appeler Uma. L’enfant partie dans sa chambre, les deux femmes conviennent d’une trêve et se rendent dans la cuisine afin de fixer un rendez-vous pour reprendre leur combat. Plus en lien avec l’histoire que dans ses précédents films, chaque dialogue de Kill Bill apporte de nouvelles informations.

Uma avait été laissée pour morte il y a quatre ans et a entrepris de se venger. Tandis qu’elles poursuivent leur conversation, Vernita plonge sa main dans un paquet de céréales, se retourne brusquement et tire sur Uma avec une arme cachée à l’intérieur. Comme dans Pulp Fiction, l’attaque par surprise est inefficace, et la balle échoue dans le mur sans toucher Uma. Riposte immédiate, elle tue Vernita d’un jet de couteau, sous le regard accusateur de la fille qui, alertée par le bruit, était venue jusqu’à la cuisine.

Uma sort de la villa et se rend jusqu’à sa voiture. Elle sort une liste de cinq noms dans laquelle elle raye celui de Vernita. On remarque que le premier nom est déjà barré. Pour maintenir constant l’intérêt du spectateur, Tarantino ajoute de nouvelles interrogations à chaque fois qu’il en lève une. Mystère supplémentaire, quand Uma démarre, on découvre qu’elle conduit un gros 4×4 jaune sur lequel on peut lire en lettres rose « Pussy Wagon ».

Comme à son habitude, Tarantino prend soin de chapitrer son film. Le titre du second chapitre nous donne enfin une manière de qualifier le personnage d’Uma : « La Mariée ». On assiste alors à une brève inspection de police ayant eu lieu il y a quatre ans. Cette scène nous révèle ce qui est arrivé à La Mariée. En pleine cérémonie, un groupe de tueur est entré dans l’église et a abattu les neuf personnes de l’assemblée. Mais, quand le sheriff se penche sur le corps de la mariée, il s’aperçoit qu’elle n’est pas morte, mais plongée dans un profond coma. Un coma dont elle ne sortira que quatre ans plus tard.

Réveillée par une piqûre de moustique, La Mariée s’échappe de la chambre d’hôpital dans laquelle un homme, dont elle hérite le « Pussy Wagon », avait pris l’habitude d’abuser d’elle. Avant de pouvoir quitter définitivement le parking de l’hôpital, elle doit réussir à reprendre le contrôle de ses ankylosées. Tarantino profite de ce délai pour anticiper l’action qui va suivre et laisse le soin à La Mariée de nous décrire sa première cible : O-Ren Ishii (Lucy Liu). Maîtrise des formes, c’est par une séquence d’animation que le film retrace les grands traits de sa biographie, de l’enfance au fameux jour du mariage. La parenthèse du Manga refermée, La Mariée réussit à bouger un orteil. Un carton titre « 13 heures » plus tard elle est en mesure de marcher et prend le volant de la voiture.

Après un détour par Okinawa pour s’y faire forger un sabre, La Mariée se rend à Tokyo pour y affronter ORen Ishii. Elle devra avant cela faire face à une garde entière de samouraïs, les Crasy 88’s et à une lycéenne tueuse Gogo Yubari. La confrontation a lieu dans un grand restaurant. Avant le début de la « bataille rangée », on assiste à un très beau plan-séquence. D’un seul plan, La Mariée descend les escaliers et traverse le couloir jusqu’aux toilettes.

On la voit en transparence se changer dans une cabine, puis toujours dans le même plan on suit des clients dans le couloir qui croisent les gérants du restaurant qu’on voit monter l’escalier. Un léger travelling permet, toujours dans le même plan, de cadrer le visage de la chanteuse du groupe puis de suivre au second plan Sophie Fatal — l’assistante de ORen Ishii — qui descend les escaliers et marche jusqu’aux toilettes. On retrouve La Mariée toujours par transparence dans sa cabine et simultanément la chanson du groupe se termine et la sonnerie caractéristique du téléphone de Sophie Fatal sonne. Cette scène est révélatrice de la recherche esthétique effectuée dans Kill Bill : Vol 1 qui vise à rassembler le mouvement des corps et de la caméra dans le temps toujours rythmé de la musique.

C’est immédiatement à la fin de ce plan-séquence que La Mariée, en tranchant un bras de Sophie Fatale, lance les hostilités, la longue scène de combats chorégraphiés de Kill Bill : Vol 1. Au cours de celle-ci, fait notable, l’image passe, un temps, en noir et blanc. A chaque fois c’est l’œil — du cinéaste ou du spectateur ? — qui active et désactive le noir et blanc. En effet, les couleurs disparaissent au moment où la mariée arrache l’œil d’une de ses victimes et réapparaissent sur le plan serré d’un clignement de ses yeux bleus.

Changement de décor, le combat final face à O-Ren Ishii a lieu dans un jardin enneigé à l’abris du monde.

On retrouve, après un combat très stylisé sur fond de salsa, La Mariée victorieuse, penchée sur le coffre d’une voiture. Ce plan — typique chez Tarantino — est cadré depuis l’intérieur du coffre. La mariée menace Sophie Fatale, couchée à l’intérieur du coffre, de lui couper d’autres membres si elle n’obtempère pas. En même temps qu’elle se déroule, la scène est retranscrite et commentée en flash-forward par un dialogue entre Sophie et Bill. Ce type de montage, qu’on trouve déjà dans Jackie Brown, redouble la scène dans le temps et permet de saisir d’un seul mouvement sa portée sur les différents personnages. Ultime révélation pour, à l’instar des feuilletons télévisés, stimuler la curiosité du spectateur, la dernière réplique de Bill nous apprend que la fille de la mariée est encore en vie.

Kill Bill : Vol 2 reprend globalement le schéma narratif du premier volume. La Mariée doit, à plusieurs reprises, combattre pour accéder à la confrontation finale, cette fois avec Bill. Comme dans Kill Bill : Vol 1 où le temps de concentration nécessaire pour réactiver les membres ankylosés était comblé par la présentation de O-Ren Ishii, le temps précédant la sortie du cercueil est utilisé pour montrer l’apprentissage des techniques de combat sous la tutelle du maître Pai mei. Dans les deux cas, ces scènes préfigurent les confrontations finales. Seule différence, dans le premier cas, l’identification de la cible motive l’action, dans le second, la mémoire donne les moyens de l’action.

Plus loin dans le film, La Mariée, dont on connaît enfin le nom — Beatrix Kiddo — découvre, en arrivant chez Bill, que sa fille est vivante et qu’elle a été élevée par son père Bill. Hérédité du meurtre, l’enfant, avec un jouet, fait semblant de tirer sur sa mère. Beatrix qui, il faut l’avouer, a de l’expérience en la matière, fait semblant de mourir. Plus tard, forcée par son père, elle avouera avoir tué volontairement son poisson rouge. C’est enfin l’argumentation de Bill, imagée par le personnage de Superman, qui dit qu’on ne peut pas échapper à sa vocation.

Le thème de la vocation étant régulièrement mis en question par ses personnages qui parlent ou décident de se « retirer des affaires » (La Mariée dans Kill Bill, Jules et Butch dans Pulp Fiction, Jackie dans Jackie Brown), il n’est pas impossible de penser qu’il préoccupe Tarantino lui-même. Etre ou ne pas être cinéaste ? Question centrale pour Quentin qui répète, à longueur d’interview, qu’à la fois il n’en revient pas de pouvoir faire des films et qu’en même temps il ne concevait pas sa vie autrement.

Avant l’affrontement final, Beatrix explique à Bill pourquoi elle avait, il y a un peu plus de quatre ans, disparu du jour au lendemain. Un flash-back la montre dans la salle de bain d’un hôtel un test de grossesse à la main. Parfait exemple du détournement de cliché , cette scène s’inspire d’un schéma éculé : la relation de deux femmes autour du résultat d’un test de grossesse, et le bouleverse totalement. En effet, alors qu’elle vient de constater qu’elle était enceinte, quelqu’un frappe à la porte. Une tueuse entre en trombe dans la chambre et tire un coup de fusil à pompe. Beatrix a juste le temps de ramasser son arme et de se réfugier derrière le lit. La tension classique accompagnant le résultat du test est donc prolongée dans la tension créée par l’action et les coups de feu.

A ce moment, Beatrix implore la compassion de son adversaire au nom de la solidarité maternelle (comme le fait Vernita Green au début de Kill Bill : Vol 1) Alors, la scène devient drôle, presque burlesque, quand la tueuse, gardant Beatrix en joue, montre toutes les difficultés à ramasser le bâton test puis à lire le résultat. Retour au cliché, la scène se termine par une réplique normalement ordinaire, mais dans cette situation insolite :« Félicitation ! ». Parti d’une scène classique du cinéma et de la télévision, Tarantino créé un objet filmique à part qui cristallise, via l’évocation, toute l’importance de la maternité et qui détourne les formes pour coller à la cohérence esthétique de son film.

On assiste alors enfin au combat entre Bill et Beatrix. « L’affrontement final, que Tarantino avait à l’origine écrit comme un duel physique sur une plage, se transforme en rixe verbale, le cinéaste concluant la scène par une mort rituelle et symbolique pratiquée dans les règles de l’art cinématographique. » (D’après Yannick Dahan, Kill Bill : Vol. 2. Prisonnière du désert, Positif N° 520, p. 30). Le caractère largement rhétorique de ce dernier duel s’explique par le rôle dominant donné à la parole dans le second volume, mais il trahit surtout l’amour encore présent entre les deux personnages. Beatrix aime encore Bill, et c’est probablement à lui que sont dédiées les larmes versées à l’extrême fin du film, mais cet amour ne peut rien face au mécanisme enclenché : « You and I have unfinished business ».

Si ce n’est la scène du visage ensanglanté, scène importante car justificatrice, qui débute Kill Bill : Vol 2 comme elle avait débuté le premier volume, aucune référence directe n’est faite au premier épisode. Pas de redite donc, mais quelques allusions (les « Crasy 88’s » ou le « Pussy Wagon »), et surtout des réponses ! Des réponses aux questions, aux mystères qui hantent le premier volume, et parfois des précisions ou des corrections. On apprend par exemple que le massacre dans l’église d’El Paso n’a pas eu lieu le jour du mariage, mais lors d’une répétition. En tous les cas, et c’est l’intérêt finalement révélé de cette construction en deux volumes, Kill Bill : Vol 2 complète Kill Bill : Vol 1 dans tous les secteurs sans surenchère.

Certes les deux films pourraient être autonomes, et se valent l’un sans l’autre, mais c’est le rapprochement des deux parties qui permet de saisir la richesse de Kill Bill en termes de cinéma. Ainsi, les liens qu’entretiennent les deux longs-métrages ne sont pas ceux d’une suite classique puisque, même chronologiquement, les deux récits se superposent. Kill Bill : Vol 2 n’est pas une simple suite, mais un reflet. Le reflet de la première intrigue dans la marre de sang qu’elle a versé. Tout va dans ce sens, la musique — subtil écho de celle du premier volume —, les personnages — plus doux et plus nuancés —, la narration — moins incisive et plus dissipée —, les scènes jumelles — le café avec Vernita dans le 1 et le test de grossesse avec Karen dans le 2, ou la scène de l’orteil du 1 et celle du cercueil du 2.

De deux films parfaitement autonomes naît donc un troisième, conjugué des deux. Parce que le second volume n’est pas une simple suite chronologique, mais assurément une deuxième couche : le vernis d’une œuvre, Kill Bill n’est ni plus ni moins que le double d’un film.

Partie 2 : Un cinéma « tarantinesque » ?

Très rapidement, comme cela avait été le cas pour Hitchcock en son temps, le nom de Tarantino s’est trouvé associé à un genre. Des films reprenant certains aspects de son cinéma ont ainsi étés répertoriés comme « tarantinesques ». On parle en anglais de « Tarantinoism ». Le concept employé peut-être encore plus négativement qu’en français désigne lui aussi une vision assez caricaturale du travail de Tarantino. On retrouve le terme très régulièrement dans la presse, employé positivement ou négativement, pour désigner toutes sortes de films. Ce qualificatif, qui ne rend compte que très partiellement, et de manière assez caricaturale, des spécificités du travail de Tarantino, reste assez flou et semble ne correspondre parfaitement à aucun film, pas même à ses propres réalisations. Examinons donc ce concept pour repositionner l’œuvre de Tarantino et les films qui lui sont apparentés dans l’imaginaire collectif.

Chapitre 1 : Les personnages

Le premier critère spécifique du genre « tarantinesque », et celui auquel les propres films de Tarantino semblent répondre le mieux, est relatif aux personnages. En effet toujours pour le moins atypique, les personnages de Tarantino sont tout droit issus de la littérature pulp et des films de genre qu’il affectionne particulièrement.

A partir d’archétypes — la surfeuse, le dealer, le trafiquant d’arme, le policier — il construit des personnages assez complexes et dont le statut, relatif à celui des autres personnages — phénomène particulièrement perceptible dans Pulp Fiction — évolue au cours du film. Sans être totalement à contre-emploi, les personnages de Tarantino sont toujours en décalage.

Fondés sur ce schéma, les personnages « tarantinesques » ont aussi la particularité d’être nombreux. Mettant rarement en avant un héros ou une héroïne — à part dans Kill Bill —, Tarantino privilégie les personnages secondaires qui ont tour à tour leur « quart d’heure de gloire » au cours du film.

On retrouve cette gestion des personnages par exemple dans Sin City, adaptation par Robert Rodriguez de la bande dessinée de Frank Miller.

Chapitre 2 : La violence

Elément immédiatement associé au style de Tarantino, la violence est au cœur de chacun de ses films, la plupart du temps traitée avec détachement et légèreté. Cette manière de l’aborder divise les spectateurs, elle fait rire certains et choque les autres. Ainsi, longtemps ses détracteurs ont reproché à Tarantino de faire l’apologie de la violence. Sans nier le caractère effectivement violent de ses films, il revendique une certaine distanciation et se réfère au personnage de Week-end de Jean-Luc Godard qui, ensanglanté, déclare « c’est pas du sang, c’est du rouge ». Car, en montrant la violence avec autant de recul, Tarantino rappelle qu’il s’agit de cinéma et qu’aimer la violence dans les films n’a rien à voir avec aimer la violence dans la vie.

Cette distance est due à la conjugaison de l’extrême nonchalance des personnages et à une certaine exagération des effets. En montrant volontairement le gore — le scalp de Lucy Liu dans Kill Bill : Vol. 1, l’œil de Daryl Hannah dans Kill Bill : Vol. 2 —, Tarantino désamorce la tension et présente ainsi une violence cynique. Ses films ne répondent donc pas totalement au critère de pure violence souvent associé à l’adjectif « tarantinesque ». Quand, en revanche, elle n’est pas tournée en dérision, et qu’elle recèle une certaine tension, la mise en scène de la violence relève toujours d’une certaine pudeur. C’est hors champ que Michael Madsen découpe l’oreille du policier dans Reservoir Dogs, c’est en noir et blanc qu’il cadre le visage ensanglanté d’Uma Thurman au début de Kill Bill.

Enfin, exploitée comme un élément de narration, la violence, chez Tarantino, est très stylisée, même chorégraphiée parfois. Elle participe à l’esthétique générale du film.

Les films dans lesquels la violence est la plus directement traitée à l’écran sont en fait ceux qu’il n’a pas réalisés, mais dont il a écrit le scénario. En effet, tournées par d’autres cinéastes, les scènes écrites par Tarantino paraissent curieusement beaucoup plus brutales. La scène d’ouverture de Tueurs Nés, ou la scène de True Romance où Alabama est passée à tabac dans la chambre d’hôtel en sont de parfaits exemples. La conception de la violence est ici tout à fait différente, elle n’est pas mise en scène pour de potentielles vertus esthétiques, mais pour le choc sensoriel qu’elle suscite.

En conséquence, les propres films de Tarantino échappent un peu à cette définition qui qualifie de « tarantinesques » les films ultra-violents. On pensera davantage à des films asiatiques comme ceux réalisés à Hong-Kong par John Woo dans les années 1970 et 1980 (The Killer notamment), ou plus récemment la série des films du Coréen Park Chan-wook sur la vengeance (Sympathy for Mr. Vengeance, Old Boy et Sympathy for Lady Vengeance).

Enfin, et on pourrait avoir tendance à l’oublier, c’est la violence verbale qui est la plus forte chez Tarantino. Pas uniquement par leur contenu, mais surtout à cause de la frénésie avec laquelle les acteurs les disent, les dialogues des scènes les plus intenses sont éminemment violents. Souvent d’ailleurs, ils amplifient la portée de l’acte qui suit. Des scènes comme l’injection de l’adrénaline à Uma Thurman dans Pulp Fiction ou la fusillade finale de Reservoir Dogs ne feraient certainement pas autant d’effet sans les quelques répliques qui les ont précédés.

Chapitre 3 : Les dialogues

On a pu le voir au cours de l’analyse détaillée des différents films, les dialogues ont un rôle de tout premier ordre dans le cinéma de Tarantino. C’est donc assez naturellement qu’ils constituent une spécificité importante de l’adjectif « tarantinesque ».

Fruits d’une verve étonnante, les dialogues de Tarantino multiplient les écarts et les digressions et ne sont que très rarement en phase avec l’action. C’est le comique dû à ce décalage qui les caractérise avant tout. Ils ont aussi un rythme particulier, signe d’une certaine musicalité qui explique entre autres que Tarantino ait été l’un des premiers à proposer des extraits de dialogues sur les disques des bandes originales de ses films. Quelques critiques ont d’ailleurs assimilé son écriture à celle des rappeurs américains. Le contenu des dialogues est également assez caractéristique.

La quantité de dialogue est aussi un élément important du qualificatif « tarantinesque ». Un film n’est considéré comme tel que s’il comporte davantage de parole que d’action. C’est pourquoi, bien que profondément ancré dans le style de Tarantino, Kill Bill : Vol. 1 n’est pas vraiment un film « tarantinesque ».

Ainsi, le terme ne reprend que très superficiellement la notion de dialogue chez Tarantino, la limitant à l’usage frénétique de répliques rendues hilarantes par le décalage entre la banalité des sujets traités et l’excentricité des personnages qui les disent. Définition qui, certes, convient à la majorité de ses dialogues, mais qui reste insuffisante pour en saisir la portée réelle, car on ne tient pas ici compte de l’essentiel, c’est-à-dire le lien parole/action qui est au cœur de sa mise en scène et sur lequel nous reviendrons.

L’adjectif « tarantinesque » fait toutefois référence à un autre aspect important, mais pas totalement systématique, concernant le contenu des dialogues écrits par Quentin Tarantino. Il s’agit des fréquentes références à la pop culture. Le monologue à propos de Like a Virgin au début de Reservoir Dogs, le discours de Bill sur les super-héros à la fin de Kill Bill : Vol. 2, ou l’allusion de Jules à Fonzie de la série Happy Days dans Pulp Fiction en sont de parfaits exemples. Si le dialogue « tarantinesque » désigne donc ce style rythmé, délirant et ultra référencé, tous les dialogues de Tarantino ne s’y conforment pas.

On citera par exemple la conversation entre Jackie et Max sur leur manière d’aborder la vieillesse dans Jackie Brown, ou la discussion sur l’acte de tuer entre Butch et Esmeralda dans le taxi de Pulp Fiction. Souvent cité en exemple , et essentiellement à cause des dialogues, de ce que pourrait désigner le genre « tarantinesque », Get shorty, de Barry Sonnenfeld, et adapté, comme Jackie Brown, d’un roman d’Elmore Leonard, comporte effectivement des dialogues (cf. extrait) correspondant bien au style susmentionné.

Bo Catlett: You broke into my house, and I have a witness to it.
Chili Palmer: What?
Bo Catlett: Only this time it ain’t no John Wayne and Dean Martin shooting bad guys in "El Dorado"
Chili Palmer: That was "Rio Bravo" Robert Mitchum played the drunk in "El Dorado" Dean Martin played the drunk in "Rio Bravo" Basically, it was the same part. Now John Wayne, he did the same in both. He played John Wayne.
Bo Catlett: Man, I can’t wait for you to be dead.

Dialogue « tarantinesque » extrait de Get Shorty

Chapitre 4 : Pop culture et quotidien

La dernière caractéristique du style « tarantinesque » consiste à placer des personnages insensés dans des situations les plus quotidiennes. Les fréquentes références à la pop culture — par définition populaire — contribuent largement à cet aspect puisque celle-ci fait partie, pour la majorité d’entre nous, de la vie quotidienne (télévision, cinéma, fast-food, chansons, publicité, bandes dessinées…).

C’est, si l’on excepte le cas particulier de Reservoir Dogs, loin des sous-sols enfumés et des parkings désaffectés, où l’on pourrait s’attendre à retrouver des personnages aussi insolites, que se situent les films de Tarantino. Au contraire, les lieux les plus quotidiens sont mis en avant : restaurants, centre commerciaux, voitures, cuisines… On retrouve même très régulièrement les personnages aux toilettes !

Autre aspect important de cette représentation du quotidien, les personnages « tarantinesques » entretiennent un rapport affectif avec les objets de consommation. Ainsi, et comme le processus d’identification est empêché par la multiplicité des points de vue, parfois même complètement extérieurs — nous y reviendrons —, il se crée un phénomène de reconnaissance lié non pas aux personnages mais aux objets. Le détournement de la publicité, branche majeure de la pop culture, à l’intérieur de ses films est caractéristique de l’association, assez révélatrice de notre époque, de la personnalité et de l’attitude aux habitudes de consommation.

On retrouve donc dans les films de Tarantino des marques inventées — les fast-foods Big Kahuna Burgers, les céréales Fruit brute ou les cigarettes Red Apple — des logos — « Cabo Air » dans Jackie Brown, le « Pussy Wagon » dans Kill Bill : Vol. 1 ou « Grace » sur le chopper de Zed dans Pulp Fiction — ou encore des produits existant réellement — les chaussures « Asics Onitsuka Tiger » de Uma Thurman dans Kill Bill : Vol. 1 ou les voitures souvent des Chevrolet ou des Cadillac utilisées dans les différents films.

Conscient de ce phénomène, Tarantino en montre les ficelles pour mieux s’en moquer au début de Jackie Brown. Ordell, trafiquant d’armes, explique à son ami Louis qu’il suffit de mettre un « flingue » dans un film pour que tous ses clients veulent le même.

L’acte d’achat est lui-même présent dans les films de Tarantino et avec l’exemple de Max Cherry achetant une cassette des Delfonics dans Jackie Brown, nous arrivons au dernier aspect essentiel de la pop culture « tarantinesque » : la musique. En effet, celle-ci, composée presque toujours de morceaux déjà existants et majoritairement issus des années 1970, donne toujours le ton des scènes qu’elle accompagne. A plusieurs reprises, on voit les personnages danser ou chanter au son de la musique comme Mia sur Girl, you’ll be a woman soon avant son overdose dans Pulp Fiction, ou Jackie sur Across 110th Street à la fin de Jackie Brown. On aura ainsi tendance à qualifier de « tarantinesque » une bande originale pleine de tubes oubliés des années 1970. Un cinéaste comme Cameron Crowe est un spécialiste du genre.

Le qualificatif « tarantinesque » se limite donc à reprendre les plus grosses ficelles du style de Tarantino. Comme le terme de « maître du suspense » est réducteur quand on parle d’Hitchcock, celui de « tarantinesque », trop caricatural, ne saisit que l’écume de son cinéma. Une vision grossière, qui reste importante et à analyser, car en partie vraie, mais qui ne permet pas, comme nous allons le faire par la suite, d’envisager l’œuvre de Tarantino comme celle d’un auteur important. Il faut donc aller au-delà des poncifs auxquels on le limite trop souvent pour percevoir l’intérêt réel de son cinéma. Finalement, plus que celui de Tarantino lui-même, les noms de Barry Sonnenfeld ou Robert Rodriguez, réalisateurs qui précisément semblent n’être rien de plus que « tarantinesques », semblent plus adaptés à l’adjectif.

Partie 3 : Un cinéma référencé

En déclarant piller tous les films existants, Tarantino dit deux choses. Il souligne d’abord la vigueur de sa cinéphagie, à laquelle rien n’échappe, mais il avoue aussi ce que beaucoup lui reprochent, c’est-à-dire copier. Ses films, en effet, regorgent de références, directes ou indirectes. Ses personnages parlent de cinéma, vont au cinéma, sont parfois même échappés du cinéma. Certains des plans, des mouvements de caméra, des objets, des lieux ou des sujets des films de Tarantino sont empruntés aux cinéastes et aux genres les plus divers. Observons ici quelques-unes de ces références et évaluons la portée d’un tel fonctionnement.

Chapitre 1 : Film noir

En particulier avec son premier film, Reservoir Dogs, on trouve dans le cinéma de Tarantino de multiples références au genre si particulier du Film noir. Apparu dans les années 1940 aux Etats-Unis, ce genre met en scènes des personnages archétypaux soumis à un code assez précis. La plupart des personnages de Tarantino sont effectivement issus de ce genre de films, mais parce qu’on les suit dans des situations complètement décalées, leur personnalité est beaucoup plus travaillée.

Les dialogues marqués et pleins de verve des films de Jean-Pierre Melville, maître français du Film noir, ont ainsi, Tarantino l’avoue, beaucoup influencé son travail.

Dans Pulp Fiction, on note une référence très claire à l’un des très grands films de cette catégorie : En quatrième vitesse (Kiss me deadly) de Robert Aldrich, d’où est extraite l’idée de la mallette au contenu mystérieux.

On trouve également de nombreux emprunts au cinéma de Bryan De Palma (auteur de plusieurs Films noir, comme Scarface ou Blow Out), dont Tarantino est fan, comme la séquence en split à l’hôpital dans Kill Bill : Vol. 1 en atteste.

Chapitre 2 : Blaxpoitation

Genre quasiment inédit en France, la Blaxploitation, contraction des mots « black » et « exploitation », était un genre qui, dans les années 1970, s’adressait presque exclusivement à la communauté noire en proposant des histoires jouées par des acteurs noirs et reprenant tous les stéréotypes du ghetto.

Jackie Brown est un hommage marqué à ce genre, à commencer par son personnage principal, interprété par Pam Grier, star de la Blaxploitation pour avoir joué entre autres dans Coffy, et dont le nom est directement issu du personnage de Foxy Brown, lui aussi interprété à l’époque par Pam Grier.

Chapitre 3 : Western

Grand amateur de Westerns, et en particulier ceux d’Howard Hawks et de Sergio Leone, Tarantino s’est souvent inspiré du genre, sans, pour le moment, le traiter concrètement. On a pu voir notamment que la manière de détourner les archétypes apparents pour produire des personnages psychologiquement complexes était issu des « Westerns spaghetti ».

Dans Kill Bill : Vol. 1, il filme le combat final entre La Mariée et O-Ren Ishii sur fond de salsa et donne ainsi à ce duel au sabre des airs de Western. Dans Kill Bill : Vol. 2, la mort de Bill, qui s’écroule après quelques pas est caractéristique de l’imagerie du Western.

Chapitre 4 : Cinéma asiatique

Si Jackie Brown était un hommage clair à la Blaxploitation, Kill Bill : Vol. 1 est lui plutôt dédié aux films de kung-fu asiatiques, et en particulier à la série des Street Fighter et son héros Sonny Chiba. L’acteur japonais joue même dans le film Hattori Hanzo, l’homme qui crée le sabre de La Mariée. C’est en référence à ces films qu’on voit au début de Kill Bill : Vol. 1, le logo de la Shaw Brothers, société de production des Street Fighter.

Kill Bill : Vol. 1 met également en lumière un autre aspect du cinéma asiatique : les mangas. Art majeur au Japon, c’est une séquence entière du film qui est réalisée en animation.

Mais Tarantino s’est aussi inspiré des films hongkongais, notamment ceux de John Woo, il cite directement The Killer dans un dialogue de Jackie Brown. On parle également d’un film de Ringo Lam, City on Fire, dont serait largement inspiré Reservoir Dogs.

Chapitre 5 : Nouvelle Vague

Enfin, Tarantino a intégré dans ses films beaucoup de références aux cinéastes français de la Nouvelle Vague. A l’instar de Jean-Luc Godard, il se donne une liberté absolue dans la manière d’aborder le cinéma, en bouleversant les structures de narration établies et en réalisant les plans les plus insolites. Il donne par ailleurs aux mouvements de la caméra un pouvoir autant plastique que narratif, et, par exemple, le long plan-séquence du restaurant dans Kill Bill : Vol.1 peut évoquer celui qui a lieu avant la fuite de l’appartement au début de Pierrot le Fou.

Au-delà de quelques clins d’oeils, comme le nom de sa société de production en référence au film Bande à part de Godard, ou le look Anna Karina du personnage de Mia Wallace dans Pulp Fiction, on peut trouver dans chez Tarantino de nombreuses similitudes avec certains films de Truffaut.

En effet, l’histoire de Kill Bill, par exemple, se rapproche beaucoup de celle de La mariée était en noir, dans les deux films il s’agit d’une femme dont le mari a été tué le jour de son mariage et qui décide de se venger en éliminant tous les responsables. Si l’idée de départ est la même, dans le cas de Truffaut le film est adapté d’un roman de Cornell Woolrich, les films restent assez différents. On peut cependant noter quelques similitudes qui indiquent sans trop de doute que Tarantino se soit inspiré du film de Truffaut. La ressemblance la plus frappante est l’idée de la liste des victimes à tuer rédigée par Uma Thurman dans Kill Bill : Vol. 1, présente également dans La mariée était en noir et dont chacun des cinq noms (comme dans Kill Bill) est rayé avec méthode par Jeanne Moreau.

La scène où Sonny Chiba écrit en silence le nom de « Bill » dans la buée de la fenêtre peut également rappeler un plan de L’Histoire d’Adele H. où Isabelle Adjani écrit les quatre lettres de « Hugo » dans la poussière d’un miroir.

On peut retrouver le même type de similitudes entre Pulp Fiction et Tirez sur le pianiste. On retrouve par exemple dans les deux films l’idée de mettre concrètement en scène une expression populaire imagée : « Hey daddyo, don’t be a square » chez Tarantino ou « Je le jure sur la tête de ma vieille mère » chez Truffaut.

En citant ou en imitant les films qu’il aime, Tarantino ne se les approprie pas. La référence au cœur même de son expression du cinéaste spectateur qu’il est, il met le public en lien avec sa cinéphilie. Comme ses personnages racontent ou donnent à raconter, il raconte le cinéma. « Le projet de Tarantino est de s’emparer des objets d’amour (cinéphiles d’abord), tout en les maintenant dans la distance propre à l’admiration. De là naît un art fade autant que survolté, anonyme et signé simultanément. Moins un cinéma de pastiche, de sample ou de remix, qu’un cinéma s’employant à placer en orbite des moments autonomes qui, dès lors n’appartiennent plus à quiconque, pas même à vous. » (D’après Emmanuel Burdeau, Article sur les suppléments de l’Edition collector du DVD de Pulp Fiction, Cahiers du cinéma – Décembre 2003, p. 107).

Partie 4 : Un cinéma neuf

Au-delà, mais aussi à travers du jeu des références, le cinéma de Tarantino est parmi les premiers à saisir l’indubitable bouleversement de la relation au spectateur dans une société maintenant totalement régie par l’image. Nous évaluerons les réponses apportées par les films de Tarantino à ce bouleversement et décrirons les enjeux des nouveautés proposées par son cinéma.

Chapitre 1 : La narration

Section 1 : Construction du récit

Dans chacun de ses films, Tarantino remet en cause la linéarité et la chronologie au profit d’une dynamique de narration. Cette pratique est relativement neuve dans le sens où elle pervertit les outils classiques du récit. Si cette déconstruction est possible, c’est aussi, semble-t-il, grâce à une évolution des spectateurs. Il apparaît aujourd’hui que les spectateurs ont une plus grande expérience de la vie par le cinéma et la télévision que par le vécu. Depuis la génération dont fait partie Tarantino, il est devenu de plus en plus rare pour chacun de vivre une situation dans la réalité avant d’en avoir vu une représentation « audiovisuelle ».

Le spectateur assimile donc beaucoup plus naturellement le langage cinématographique, distancié de la réalité, qu’auparavant. Ainsi, alors que pour faire un flash-back par exemple, il était nécessaire de préparer le spectateur en cadrant le visage du personnage dont on allait voir un souvenir ; tous ces dispositifs, et Tarantino l’a bien compris, sont devenus inutiles.

C’est donc avec la plus grande liberté, et sachant bien que le spectateur saura reconstituer sans problème le déroulement de l’intrigue à la fin du film, qu’il ordonne ses séquences. Cette méthode lui permet à la fois de développer un schéma sensoriel ou émotionnel indépendant de l’histoire (dans Pulp Fiction, il substitue à la fin « chronologique » épique une fin plus ambiguë et centrée sur l’évolution des personnages).

Section 2 : Points de vue

Dans sa logique de cinéaste spectateur, Tarantino multiplie les points de vue. Dans Pulp Fiction notamment, le changement de point de vue d’un chapitre à l’autre est très clair. Il utilise aussi certains plans caractéristiques qu’on pourrait qualifier de « plans impossibles » car ils ne peuvent correspondre au point de vue d’aucun personnage. En voici plusieurs exemples :

Le plan du coffre. Sans doute le plus célèbre de ces plans, car visible dans tous ses films, le plan du coffre cadre les personnages penchés sur le coffre d’une voiture. Souvent, il y a effectivement quelqu’un à l’intérieur du coffre (Reservoir Dogs, Jackie Brown et Kill Bill : Vol. 1), mais dans Pulp Fiction, le plan du coffre sur Jules et Vincent est purement extérieur. Un point de vue de spectateur.

Le plan du corps. Dans Kill Bill : Vol. 1 et Jackie Brown, on trouve des plans tournés du point de vue de corps allongés sur le sol. Si dans le premier cas La Mariée est bien vivante, dans Jackie Brown, Ordell est mort. Montrer le point de vue d’un corps mort est encore un signe de la position spécifique du spectateur.

Dans le même ordre d’idée on trouve assez régulièrement des scènes filmées depuis le sol ou du plafond. Dans Kill Bill : Vol. 2, on trouve même un plan de profil à l’intérieur d’un cercueil sous terre.

Section 3 : Le lien parole/action

Dans chacun de ses films, Tarantino redéfinit le lien, fondamental dans son cinéma, entre la parole et l’action. L’alternance ou la juxtaposition des deux éléments assurant le rythme du récit, c’est en redessinant pour chaque film un schéma différent qu’il en construit la véritable structure narrative.

Dans Reservoir Dogs, c’est l’échec de la parole qui donne lieu à l’action. A l’inverse, quand la parole fonctionne, l’action est reportée. Après une longue argumentation contre le principe du pourboire, Mr. Pink est sur le point de convaincre Mr. Orange. L’action de payer est reportée. Puis l’intervention de Joe met tout le monde d’accord, Mr. Pink paye aussi. Quand, dans le hangar, les supplications du policier torturé échouent, elles donnent lieu à l’action de Mr. Orange qui abat Mr. Blonde. C’est aussi l’échec du compromis par la parole qui donne lieu à la fusillade finale.

Dans Pulp Fiction, la parole précède toujours l’action, mais elle se prolonge en elle jusqu’à l’étouffer. On l’a vu, la scène de la piqûre d’adrénaline est caractéristique de ce phénomène. La parole entoure l’action et lui donne une densité apparente, alors qu’au fond, l’action véritable est réduite à presque rien. C’est particulièrement le cas aussi dans la dernière scène de Pulp Fiction, où Jules fait face aux braqueurs Pumpkin et Honey Bunny. En effet, alors que la scène apparaît comme extrêmement tendue, l’action est presque inexistante.

Dans Jackie Brown, la parole est là pour éviter l’action, ou, au moins, la retarder. C’est Ordell demandant à Mélanie de se lever pour aller décrocher, ce sont toutes les situations de négociations qui jalonnent le film. Dans ce schéma, c’est en agissant sans passer par la parole que les personnages s’affirment. Jackie par exemple, emprunte le revolver de Max sans rien dire, Mélanie prend également sans rien dire la décision de rentrer dans la cabine pour prendre l’argent.

Dans Kill Bill : Vol. 1, la parole, presque absente, commente l’action. Pour la première fois dans l’un de ses films Tarantino utilise un narrateur, et en l’occurrence une narratrice. La Mariée, narratrice de sa propre histoire, a donc tendance à commenter l’action. Ceci est par exemple particulièrement visible dans la scène où elle présente l’entourage de O-Ren Ishii.

Dans Kill Bill :Vol. 2 enfin, le commentaire se poursuit avec comme différence que cette fois-ci, la parole dépasse largement l’action en quantité. On notera par exemple la lecture que fait Elle de son descriptif du serpent Black Mamba tandis que Budd, mordu, agonise. Enfin, démonstration parfaite du lien entre parole et action dans le cinéma de Tarantino, la confrontation finale entre Bill et La Mariée. Duel rhétorique, les dernières paroles ne font que commenter la fatalité de l’action qui va suivre : « You and I have unfinished business ».

On comprend ainsi pourquoi même quand ils sont, par leur contenu, à côté de l’histoire, les dialogues de Tarantino contribuent au mouvement du film.

On notera enfin que le statut de la musique vis-à-vis du lien parole/action est lui aussi très particulier. Tantôt d’un côté ou de l’autre, la musique accompagne ou prolonge les mouvements du film. Elle peut être musique-action : Misirlou au début de Pulp Fiction qui prolonge dans l’action le mouvement lancé par la parole, ou musique-parole : la chanson des Delfonics dans Jackie Brown accompagne tout au long du film la parole dans la relation entre Max et Jackie.

Chapitre 2 : Un langage cinématographique

Section 1 : Références directes et indirectes

En faisant du cinéma sa source d’inspiration principale, Tarantino développe un langage propre au cinéma, dont le moindre enchaînement a un sens parce qu’il se réfère à un autre film dans lequel le signe était plus explicite. L’usage de la référence n’est cependant pas là pour pallier un déficit de créativité ou d’imagination, mais pour garantir la plus grande justesse à ce qui est dit. Car non seulement la référence est juste, mais en plus elle est riche, tout ce qui l’entoure est cristallisé en elle. Quand Jules demande dans Pulp Fiction d’être « cool » comme Fonzie, il n’y a aucune ambiguïté, les références culturelles sont intégrées au langage. C’est selon ce même principe que sont utilisées les références cinématographiques : rien de tel pour montrer un concours de danse que de faire venir Travolta sur la piste. L’utilisation d’une musique ou d’un mouvement de caméra pourra, en faisant référence à un film en particulier, ou se fondant sur la grammaire d’un genre, évoquer beaucoup de choses.

Par le jeu des références indirectes et du détournement des archétypes ou des situations clichées, Tarantino garantit le dynamisme et la saveur de son cinéma. Il crée des décalages comiques ou surprenant jouant sur les anticipations d’un spectateur déterminé par son expérience du cinéma.

Section 2 : Un cinéma « multilingue »

Cependant, si l’on conçoit un langage cinématographique fondé sur les références, il faut tenir compte du fait que selon les films connus par chacun, une même scène peut prendre des sens différents selon les publics.

Une anecdote racontée par Tarantino dans une interview télévisée disponible dans les suppléments du DVD de Jackie Brown décrit bien ce phénomène. Peu après la sortie du film, le cinéaste se rendait d’une projection à l’autre pour observer les réactions du public. Selon les salles de Los Angeles, l’assistance était majoritairement composée de blancs ou de noirs. Il avait donc la possibilité de comparer les réactions du public noir qui connaissait bien, comme Tarantino, les films de la Blaxploitation et celles du public blanc habitué à d’autres types de films.

Or une scène recevait des réactions très différentes, celle où Max rencontre pour la première fois Jackie quand il va la prendre à la sortie de prison. On voit au loin et derrière les grilles la silhouette de Jackie se dessiner peu à peu et alors que Max la regarde marcher, la musique commence. Dans l’esprit de Tarantino, l’objectif de cette scène était de faire une introduction mémorable du personnage de Jackie, c’est ce qui a vu le public noir. Dans les autres salles en revanche, les spectateurs y ont vu la mise en scène du coup de foudre immédiat de Max pour Jackie.

Confrontés à un langage fondé sur les références cinématographiques, les spectateurs voient donc leurs réactions déterminées par leurs propres références.

Conclusion

Dépassant largement la caricature à laquelle elle est trop souvent rabaissée, l’œuvre de Tarantino est fondée sur le cinéma et se construit autour du spectateur. Ce spectateur moderne qui, incapable d’entrer par identification dans la peau d’un quelconque personnage, est dans le cinéma de Tarantino un personnage à part entière. Personnage auquel on s’adresse, à l’image du monologue de La Mariée dans la voiture au début de Kill Bill : Vol. 2, personnage que parfois on agresse, la piqûre d’adrénaline pointée vers l’écran dans Pulp Fiction ou les morsures de serpent dans Kill Bill : Vol. 2., le spectateur vit au cœur du film et se laisse guider et manipuler par celui qui parle.

Celui qui parle, au sens propre comme au sens figuré, c’est évidemment Tarantino. Tarantino qui, à la fois cinéaste et spectateur, raconte ou laisse faire le cinéma. « Il faut imaginer le cinéaste ou l’homme Quentin comme un narrateur qui tantôt dialogue avec ses maîtres, tantôt pense tout haut et n’écoute que lui. » (D’après Emmanuel Burdeau, Une lecture de Quentin Tarantino, Cahiers du cinéma N° 591 – Juin 2004, p. 75).

Quel jugement porter sur Tarantino ? Auteur d’une œuvre qui à chaque nouveau film gagne en puissance et en cohérence, Tarantino est sans conteste la figure phare d’une nouvelle génération de « cinéastes spectateurs » pour lesquels le cinéma est en soit à tous les degrés de la création.

La comparaison à Hitchcock, cinéaste en son temps populaire, mais longtemps sous-estimé par les critiques — qui l’associaient à un genre considéré comme mineur —, peut aujourd’hui sembler exagérée ou flatteuse. Disons plutôt prématurée, et continuons, avec la même attention, à suivre sa carrière.

Bibliographie

1. Joël Magny, Vocabulaires du cinéma, Editions des Cahiers du cinéma, 2004
2. François Truffaut, Le plaisir des yeux, Flammarion, 1987
3. Claire Vassé, Le dialogue, du texte écrit à la voix mise en scène, Editions des Cahiers du cinéma, 2003
4. Sharon Waxman, Rebels on the backlot, HarperCollins, 2005
5. Paul A. Woods, Quentin Tarantino : The film geek files, London, Plexus, 2005


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