Printemps précoce

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Ozu, cinéaste du Temps.

Printemps précoce est une œuvre complexe qui ne donne aucune chance au spectateur habitué à une atmosphère plus détendue. Ozu est vraisemblablement atterré par les méfaits de l’errance amoureuse, par les travers des sentiments, par le côté déglingué de l’amour et ne peut donc faire face au monde de l’adultère. Saisons du plaisir qui égratignent le quotidien des jeunes couples. Soit ils y perdent en amour, soit ils réussissent à garder le cap et à s’envoler vers des contrées paradisiaques. Printemps précoce chez Shoji et Masako car emblématique d’une situation que personne n’espère rencontrer dans sa vie de couple : la lassitude des jours passés.

Nostalgie d’une période, d’une idéologie qui consistait à renier les vérités absolues du comportement humain. Le cinéma en était friand et se gardait bien de les représenter comme tel. Plus de burlesque et moins de lenteur psychologique. Ozu traverse cette antichambre et place sa caméra dans une géographie des corps décomposés, retirant tout artefact qui pourrait nuire à son processus de création. Le résultat est époustouflant d’un point de vue psychologique mais discutable sur la finalité des choses. Printemps précoce est en quelque sorte le penchant bergmanien d’un cinéaste japonais qui fut bercé par la musicalité américaine d’un John Ford ou d’un Griffith. Lys brisé ou Cheval de fer, tout y est dans ce nouvel opus du cinéaste le plus « cool » de sa génération. Entre destruction passionnelle et tâche ardue, Ozu malmène ses protagonistes en leur insufflant quelques grammes de brusquerie au grand désespoir du spectateur lambda.

Plans fixes, caméra posée à même le sol, visages peints avec sobriété et lumières tamisées épurent une œuvre qui se démarque étrangement d’une filmographie placée sous le signe de l’apaisement. Dans Printemps précoce, Ozu se démène avec une conclusion qu’il sait conservatrice mais qui sera toujours dans la ligne directrice de ses valeurs familiales. Point de libertinage, plus de confiance. Laissons le temps au temps, semble dire le cinéaste, et essayons de garder coûte que coûte la foi en notre couple. Assurément, mais les périodes de guerre ont bouleversé un Japon qui refuse désormais de compter sur la féodalité et l’asservissement des lois traditionalistes.

Le final est une forme de renoncement, Ozu déclinant toute responsabilité. Le couple, après bien des mois de labeur, se retrouvera pour mieux s’apprécier. Intrigue inexistante tant la mise en scène d’Ozu convoque les petits riens de l’existence et les hisse au sommet d’une construction narrative austère. Le travail n’est plus la santé, les amis ne sont plus prioritaires, seule la famille perdure. Ozu est convaincu que cette notion doit rester entière, ne jamais l’exposer à des bouleversements qui pourraient détruite une pensée qui selon le cinéaste est la clé des champs. En cela, Printemps précoce reste étrangement ambigu dans l’œuvre d’Ozu.

Titre original : Soshun

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Durée : 144 mn


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