Portrait Ray Harryhausen

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La sortie cette semaine du remake du << Choc des Titans >> est l´occasion de revenir sur la carrière d´un des plus grands illusionnistes de l´histoire du cinéma.

Peter Jackson, Steven Spielberg, Joe Dante, la liste est longue lorsqu’il s’agit d’énumérer les vocations nées des démons et merveilles issus de l’imagination de Ray Harryhausen. Le destin du maître lui-même fut d’ailleurs scellé par un autre magicien de la pellicule après la vision à treize ans du mythique King Kong original. Déjà passionné par la mythologie et ses créatures, ce sont en effet les extraordinaires trucages du grand Willis O’ Brien et le bestiaire fantastique déployé lors des séquences sur l’île qui ont fait naître la curiosité de Ray Harryhausen pour les effets spéciaux.

Ray Harryhausen passe son adolescence à s’initier à la sculpture de monstres préhistoriques et mythologiques en pâte à modeler puis réalise un premier rêve en montrant son travail à Willis O’ Brien. Ce dernier le félicite et lui recommande de suivre les cours d’anatomie du Los Angeles City College. C’est là que Harryhausen apprend à donner une touche réaliste dans les proportions et la morphologie à ses créations les plus extravagantes, ce qui le démarque des autres adeptes de la stop motion aux effets plus grossiers. Cette technique, basée sur l’animation d’objet image par image intégrée aux prises de vues réelles sera poussée par Harryhausen à un degré de maîtrise et de poésie inégalé. Remarqué par le spécialiste des effets spéciaux George Pal (futur réalisateur de classiques SF des années 50 tels que La Guerre des Mondes), il est engagé par celui-ci sur la série Puppettoons. Plus tard, il officie sur un programme de contes de fées destiné au milieu éducatif. Ces longues années d’apprentissage lui permettent de perfectionner son art et de se constituer une belle carte de visite. C’est d’ailleurs une première consécration et marque de reconnaissance en 1947 lorsque son idole Willis O’Brien l’engage comme assistant sur Mighty Joe Young, trépidante variation enfantine de King Kong. La santé fragile d’O’Brien l’amène à déléguer largement son travail et Harryhausen assure notamment l’essentiel de l’animation du gorille.

Après cet essai réussi, Harryhausen est prêt à voler de ses propres ailes et quitter le giron d’un O’Brien sur le déclin qui ne parvient plus à financer ses projets. Il est notamment sollicité pour les effets spéciaux du Monstre des temps perdus d’Eugene Lourie en 1953 où il perfectionne à nouveau sa technique d’animation image par image. Le moment déterminant de sa carrière reste la rencontre avec le jeune producteur Charles H. Schneer avec qui il s’associera durant vingt-cinq ans. Leur collaboration est idéale, Schneer laissant toute latitude artistique à Harryhausen sur le choix des projets, tout en le plaçant dans les meilleures conditions en termes de production. Le duo se conforme tout d’abord aux modes en cours durant les années 50 avec Le Monstre vient de la mer et Les Soucoupes volantes attaquent, respectivement « monster’s movie » et film de SF. Des productions pas forcément réussies (notamment Les Soucoupes volantes, vu le peu d’attrait de Harryhausen pour la SF trop sérieuse et réaliste) mais qui permettent à Harryhausen d’affiner sa technique.

Les choses sérieuses peuvent enfin commencer lorsque les deux hommes s’installent à Londres, leur association devenant un véritable label du cinéma fantastique et d’aventure patronné par la Columbia. Leur patte est immédiatement identifiable, inspirés tous deux par la mythologie, la préhistoire, Les Mille et Une Nuits mais aussi les romans d’anticipation du XIXe de Jules Verne, H. G. Wells ou encore Jonathan Swift. Leur première vraie réussite intervient en 1957 avec A des millions de kilomètres de la Terre. Récit des dégâts dus à l’arrivée sur Terre d’un être extraterrestre aux proportions de plus en plus gigantesques, le film offre son lot de péripéties spectaculaires. On trouve une certaine forme d’humanisme naïf entre la nature finalement peu belliqueuse de la bête dont le métabolisme est perturbé par l’atmosphère terrestre contrebalancé par les affrontements titanesques avec l’armée qui le pourchassent.
L’année suivante sort Le Septième Voyage de Sinbad, un de leurs chef-d’œuvres. Pas forcément aussi sombre et cruel que le récit des Mille et Une Nuits qu’il adapte, le film développe un envoûtant et luxuriant monde oriental de conte. Parfois bien mal servi par les réalisateurs devant mettre en images ses créations, Harryhausen trouve sur ce film un collaborateur de choix avec l’excellent et efficace Nathan Juran qui officiera sur ses œuvres les plus réussies. La preuve éclatante étant la mythique séquence où le héros affronte un squelette animé en stop motion avec une fluidité époustouflante. L’exploit sera démultiplié quelques années plus tard dans Jason et les Argonautes où le clou du film les voit affronter cette fois toute une armée de squelettes. Le Septième Voyage de Sinbad fut un immense succès au box-office et lance définitivement les productions Harryhausen/Schneer. Pour l’anecdote, le film a engendré un quasi clone trois ans plus tard avec Jack le tueur de géant. Le producteur Edward Small (qui rata le coche en refusant de produire Sinbad) tente de reproduire la formule à succès avec ce film et engage pour cela le même réalisateur, le même héros (Kerwin Mathews) et le même méchant joué par Thorin Thatcher de nouveau dans un rôle de sorcier. Ne manque que Harryhausen aux effets spéciaux mais cet avatar est également une belle réussite.
Pour Harryhausen et Schneer, c’est désormais l’exploitation d’un nouvel univers dépaysant à chaque film qui a cours avec les excellents Le Voyage de Gulliver et L’Île mystérieuse adaptés de Swift et Jules Verne. En 1963, Harryhausen délivre son œuvre la plus populaire avec le fabuleux Jason et les Argonautes (réalisé par Don Chaffey). Monument du péplum et du film d’aventure, le cadre mythologique (avec un récit original respecté à quelques détails près, ce qui ne fut pas le cas de toutes les adaptations) offre un écrin idéal à Harryhausen qui déploie un festival de morceaux de bravoures inoubliables. L’arrivée du géant de bronze Talos, Poséidon surgissant des mers, le combat avec l’hydre à sept têtes, sont autant de séquences mémorables qui marquent durablement le jeune public de l’époque. Sans parler du fameux combat contre les squelettes rondement mené, à tel point qu’il vient conclure le film alors que Jason n’a pourtant pas achevé sa quête et reconquis son royaume !
Le succès colossal de Jason enhardit le duo qui ose le récit « steam punk » (terme définissant la SF rétro souvent située dans l’Angleterre Victorienne imprégnée de la Révolution industrielle) avec Les Premiers hommes dans la lune adapté de H. G. Wells. Très fidèle (hormis un prologue contemporain) au livre, c’est sans aucun doute la plus belle réussite de Harryhausen. Le scénario respecte parfaitement les préoccupations humanistes de Wells tandis que les images déploient des paysages lunaires réalistes et extravagants à la fois, qui ont sans doute influencé Kubrick pour son 2001 tant les similitudes pullulent. Echec retentissant, le film signe pour un temps la fin de leur collaboration. Harryhausen commettra en effet une infidélité envers son partenaire en supervisant l’amusant Un million d’années avant J.C. où son défilé de créatures préhistoriques a fort à faire avec l’autre effet spécial du film, Raquel Welch en peau de bête.
Schneer et Harryhausen se retrouvent en 1969 pour La Vallée de Gwangi, mais il semble que le succès les ait quittés. Ils passent les années 70 à tenter de retrouver la formule magique de leurs premières productions, mais ne réussissent qu’à ressasser le passé en moins bien avec deux nouveaux Sinbad, Le Voyage fantastique de Sinbad et Sinbad et l’œil du tigre sortis en 74 et 77. Il faut dire qu’à l’époque, le public s’est trouvé de nouveaux dieux de l’entertainement plus jeunes et modernes avec Lucas et Spielberg. A côté de la fougue juvénile et l’inventivité d’un Star Wars ou Indiana Jones, la naïveté d’un Harryhausen semble bien désuète. Un constat qui se confirme avec le chant du cygne que constitue Le Choc des Titans en 1981. Si les créations de Harryhausen sont toujours aussi flamboyantes (Pégase, la Méduse, le Kraken), la réalisation gériatrique de Desmond Davis, les tentatives de modernités embarrassantes (la chouette mécanique faisant écho à R2D2) et l’interprétation transparente (Harry Hamlin fait un bien piètre héros) rendent le film difficilement regardable aujourd’hui. Avec un peu de soin, le remake n’aura pas de grandes difficultés à faire mieux.

Depuis, malgré de nombreux projets non aboutis, Harryhausen s’est retiré et se contente de recevoir les distinctions diverses qui lui sont dues tel cet Oscar pour son œuvre en 1991. L’avènement des effets numériques au début des années 90 signe définitivement le glas d’un retour aux affaires. Cependant, la stop motion qu’il porta à son plus haut degré d’expression survit aujourd’hui à travers notamment les œuvres du Studio Aardman (Wallace et Gromit, Chiken Run) ou les film d’Henry Selick (Coraline, L’Etrange Noël de Monsieur Jack). Influences majeures des grands créateurs d’effets spéciaux récents comme Phil Tippett (Starship Troopers), c’est sans doute chez Peter Jackson ou Guillermo del Toro que Harryhausen trouve ses plus dignes successeurs aujourd’hui. Ces deux-là auront su tout comme lui mêler la légère touche d’imperfection, de poésie et de rêve censée définir le trucage cinéma.


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