Michael Cera est un bien singulier garçon. A 22 ans, le voilà déjà producteur, musicien, scénariste et bien sûr glorieuse tête d’affiche d’une poignée de comédies romantiques hautement estimables. Archétype de l’adolescent maladroit, peu viril et parfois dangereusement raisonnable, le personnage favori de ce jeune acteur canadien est l’amoureux geek par excellence, autocentré et romantique, souvent musicien, toujours mélomane. Curieux mélange d’un physique quelconque (mais charmant), de cool attitude et d’une extrême sophistication, Michael Cera est le parfait réceptacle d’un fantasme spectatoriel plus prompt à s’incarner dans une normalité accessible que dans le premier Georges Clooney venu. L’ado lambda, et par extension n’importe quel jeune mâle, est ainsi susceptible de s’identifier intensément au personnage créé par Cera dans ses hésitations les plus douloureuses comme dans ses fulgurances salvatrices.
Cette figure adolescente à laquelle le public s’est attaché au gré de ses apparitions, naît pour la première fois dans la série comique Arrested Development en 2003. On découvre déjà, à travers un jeu d’acteur économique et néanmoins naturaliste, cette présence physique fuyante en la personne de George-Michael Bluth, personnage immédiatement attachant, traumatisé pour avoir confondu le magicien d’Oz avec la série carcérale du même nom. Cette fragilité à la fois tragique et hilarante devient alors le principal fer de lance du jeune acteur qui va décliner (peut-être malgré lui) ce rapport d’intimité très fort qui semble lier ses personnages au spectateur. D’autant que la révélation de Michael Cera concorde presque parfaitement avec la fin de l’ère du teen movie décadent à la American Pie qui a fini par se perdre dans une hypocrisie nonsensique, sorte de puritanisme pornographique quelque peu hermétique au plaisir du spectateur. Michael Cera incarne, lui, le retour des personnages doux-amers à la John Hugues, une vision réaliste et impertinente de l’adolescent, plus proche des attentes du public.
Au sortir de l’acide échec commercial d’Arrested Development (pourtant meilleure série comique des années 2000), Michael Cera est recruté par Judd Apatow, réalisateur doué et producteur de génie, pour intégrer le casting de Superbad, le teen movie killer de Greg Mottola, scénarisé par Evan Goldberg (Funny People) et l’acteur Seth Rogen. C’est donc le meilleur de l’écurie Apatow au service d’une comédie brillante qui vise à réinvestir intelligemment le réalisme et la pureté de l’univers de Hugues sans pour autant abandonner la vulgarité langagière (elle est ici assez inouïe) héritée de la vague American Pie. Cera, au milieu de toute cette effervescence, est brillant. Son personnage d’ado guindé et frustré est le parfait complément de Seth, son obsédé sexuel de meilleur ami. Très à l’aise dans l’humour gras comme dans le romantisme le plus pur, le charme de Michael Cera navigue intact entre ces deux registres et semble cette fois trouver son public, tout en retenant l’attention des critiques.
A cette même période, Cera s’investit dans l’écriture et la production d’une mini-série, invisible chez nous, appelée Clark and Michael, où deux amis scénaristes tentent de faire carrière à Hollywood. Paradoxalement, sa popularité explose avec Juno dans lequel il joue le rôle très remarqué de l’ex-petit ami de l’héroïne. Et si Juno est un piètre film, il met grandement en valeur la présence de Michael Cera qui impose, le temps de quelques séquences, son rythme lunaire, sa diction hésitante et son étrange physique qui tranchent singulièrement avec l’artificialité du métrage. Moins d’un an après, Cera est la tête d’affiche d’une vraie comédie romantique au classicisme envoûtant avec Une nuit à New York. Michael Cera y joue bien sûr les amoureux transis et contrariés mais son statut d’acteur principal change quelque peu la donne. Il apparaît en effet davantage comme le nouveau Tom Hanks qu’on aimerait voir en lui (ce qu’il n’est heureusement pas) en offrant un visage plus adulte, plus séducteur aussi. Etonnant de voir l’acteur, la même année, dans un film aussi ouvertement débile que L’An 1 dans lequel Cera accompagne Jack Black au milieu d’un univers préhistorique de carton-pâte. L’idée reste la même cependant : trouver de la femelle! Le concept séduisant ne méritait pourtant pas la caméra molle du vétéran Harold Ramis (Mafia Blues), mauvais casting qui plombe un peu le délire régressif et absurde du métrage. Encore une fois, les acteurs se sortent plutôt bien de l’aventure et la performance de Michael Cera apparaît délicieusement masochiste à un moment crucial de sa carrière.
Be Bad renforce encore ce besoin d’exploration approfondie de son personnage dont les limites évidentes se font dangereusement sentir. Pour ce faire, cette nouvelle comédie romantique fabrique à Cera une double personnalité, nécessaire pour séduire une jeune fille attirée par les mauvais garçons. Nick Twist peut ainsi devenir à volonté François Dilinger, un français sexy, moustachu et mauvais garçon en diable. Festival de n’importe quoi pour Cera, qui décidemment aime se travestir, Be Bad permet au spectateur de voir enfin, pendant une poignée de séquences, Michael Cera expérimenter son jeu grâce à une inversion totale de son personnage. Voir l’acteur fumer des clopes en pantalon moulant tout en débitant des insanités d’une voix méchamment suave est un vrai plaisir pour les habitués. Cette joyeuse autodérision prouve néanmoins que, même prisonnier de son physique, Michael Cera est un merveilleux acteur, précis, au service de ses personnages et au capital sympathie gigantesque.
Si on attend toujours (et sans doute un peu vainement) l’adaptation cinématographique d’Arrested Development, l’acteur canadien est désormais à l’affiche de son premier blockbuster avec Scott Pilgrim vs. The World où il devra affronter les 7 ex-petits amis maléfiques de sa nouvelle conquête. Geek surpuissant, egocentrique et bourreau des coeurs, Scott Pilgrim est en quelque sorte le fantasme absolu de tous les personnages incarnés par Cera jusqu’ici, c’est aussi le premier à être un peu agaçant, sans faille, un peu froid aussi. Pourtant l’acteur apparaît particulièrement investi, notamment dans les chorégraphies très techniques et dans la BO (travail qu’il avait déjà effectué pour Be Bad). Difficile cependant de pronostiquer sur la poursuite des aventures du jeune Michael Cera tant sa carrière paraît singulière et ses talents multiples. Il pourrait bien surgir là où on ne l’attend pas, derrière la caméra par exemple. Mais qu’il reste encore un peu devant, il nous manquerait.