Petit retour sur la semaine du documentaire chilien au Latina

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Un petit tour d´horizon sur le Chili d´hier et d´aujourd´hui, voilà ce que nous ont présenté le cinéma Le Latina et Patricio Guzman durant une semaine.

« Donner une idée du Chili ». D’une simple phrase offerte en réponse à un spectateur, Patricio Guzman résume l’objectif de la Semaine du documentaire chilien à Paris, dont le titre était Documentaire, Dictature, Démocratie-Travail de mémoire. Du 19 au 26 février 2008, et ce pour la seconde fois, le cinéma Le Latina invitait les néophytes comme les passionnés à venir partager un « morceau d’Histoire » chilienne. Retour sur quelques films du festival…

Actores Secundarios

Mardi 19 février au soir, l’inauguration du festival fait salle comble, avec le long métrage de Pachi Bustos et Jorge Leiva, Actores secundarios. Réalisé en 2004, le documentaire revient sur les mouvements lycéens menés dans les années 80 afin de faire tomber le régime dictatorial du général Pinochet. Alternant témoignages et images d’archives, les réalisateurs lèvent le voile sur une expérience historique aujourd’hui tombée dans l’oubli. La parole est rendue aux anciens élèves, désolés de constater que leur rôle dans la libération du pays soit passé inaperçu dans les mémoires. Le film expose pourtant clairement la propagation du mouvement à une dizaine de lycées.

Monté dans un format télévisuel, le récit suit la musique rythmée (presque entraînante) et s’articule autour de transitions truffées d’effets spéciaux tape-à-l’œil. Si la réalisation surprend, elle n’est pourtant pas incompréhensible. Patricio Guzman, qui a opéré la sélection des films, rappelle ce qu’il explique dans son éditorial. La production documentaire au Chili est confrontée à un obstacle de taille : elle n’a « jamais été soutenue par la télévision locale » dont les programmateurs semblent faire preuve d’une véritable indifférence pour ce genre cinématographique. L’objectif (réalisé) de Pachi Bustos et Jorge Leiva, consistait donc à traiter d’un sujet qui leur semblait essentiel pour l’Histoire et l’identité chilienne, dans une forme assez séduisante pour que le film obtienne ses entrées à la télévision.

Perspecplejia

Titre difficilement prononçable dès la première tentative, Perspecplejia contient les mots « personne », « perspective », et « paraplégie ». Jeune documentariste, David Albala est devenu paraplégique suite à un accident de la route. Alors qu’il pense sa vie détruite, il décide de se mettre en « perspective » en exerçant son métier : raconter, comprendre, partager par le film. A la fois auteur et acteur du documentaire, David Albala se fait en quelque sorte l’interprète entre deux univers, celui des handicapés et celui des valides. Avec une sincérité parfois brutale mais jamais voyeuriste, il engouffre sa caméra dans le plus intime des quotidiens d’autres personnes paraplégiques qu’il rencontre.

La liberté de parole des interviewés surgit de l’honnêteté, du désir d’échanger, d’apprendre et surtout d’écouter de l’auteur. Dans sa quête personnelle, David Albala piétine les barrières de la retenue et cherche à créer l’empathie à tout prix. Les impressions de personnes valides sont recueillies alors après qu’il les ait invitées à se déplacer en fauteuil roulant ou à imaginer devoir uriner avec une sonde. La franchise de Perspecplejia ne peut que toucher. Mais du point de vue cinématographique, si de nouveau le style télévisuel se retrouve, la liberté de ton, de sujet et de traitement du film offre un bel exemple de l’évolution effective du documentaire chilien.

Arcana

Lorsque le titre du film apparaît à l’écran, une pointe d’hésitation survient. Les lettres s’allongent-elles, telles du sang, des lames ou des barreaux ? La bande-son inquiétante entretient le mystère, puis des images surviennent. Arcana est un documentaire sur la prison de Valparaìso au Chili. Cristobal Vicente a choisi de réaliser un film sans commentaires, sans musique. Le résultat est brut, pur et d’autant plus effrayant. Sa caméra explore la « vie » si l’on peut dire, des détenus. L’insalubrité, le vacarme incessant et la résignation des prisonniers frappent. Valparaìso, souvent qualifiée par ses résidents de prison ouverte, renferme des existences mécaniques. La solitude, le silence et la digestion forcée de toute douleur, rendent les êtres filmés fascinants. Cristobal Vicente est une figure emblématique de la situation du documentaire (et des documentaristes) au Chili. Il a travaillé seul, sans rémunération ni reconnaissance, huit années durant avant d’obtenir plusieurs récompenses dont 11 prix pour Arcana.

La mama de mi abuela le conto a mi abuela

Ce documentaire nous entraîne à Vila Alegre, petit village perdu dans les collines chiliennes, à 300km de Santiago. La mama de mi abuela le conto a mi abuela ("la mère de ma grand-mère l’a raconté à ma grand-mère")… le titre parle de lui-même. Le film traite de la mémoire, du travail réalisé pour la transmettre d’une génération à une autre. Pour cela, le réalisateur Ignacio Agüero s’est penché sur une troupe de théâtre, la Compagnie Camino, qui a pour projet de monter un spectacle avec les villageois comme auteurs et comédiens.

Chacun se met donc à fouiller au fin fond de sa mémoire. De nombreuses légendes refont surface dont celle du taureau aux cornes dorées et à la queue argentée qui vivait dans un nuage de brouillard. D’autres préfèrent s’attarder sur leurs conditions de travail au sein de grandes exploitations. Le mélange de toutes ces histoires donne un spectacle dans lequel chaque villageois s’est investi.  Malheureusement, le documentaire revêt parfois un style quelque peu brouillon rendant ainsi le film certes plus humain mais sa logique que plus difficile à suivre et à comprendre.

Le Cas Pinochet

Ce soir, l’ambiance est politique. Patricio Guzman est le réalisateur de ce documentaire coup de poing, fort et révoltant. Il revient sur le cas Pinochet, sur cette époque où un juge espagnol a tout mis en œuvre et a trouvé les moyens juridiques pour que les victimes de la dictature de Pinochet soient entendues et pour que ce dernier soit inquiété par la justice. Malheureusement, comme on le sait, Pinochet, au grand regret des Chiliens et de tous les défenseurs de la démocratie, ne fut seulement qu’inquiété et jamais condamné.

Patricio Guzman donne la parole. Il la donne aux victimes chiliennes, aux juges et avocats mais aussi aux amis et proches du Général Pinochet. Le documentaire cherche à être impartial même si l’on sent bien de quel côté préfère pencher son réalisateur. Le Cas Pinochet insiste aussi sur le travail de mémoire qui doit absolument être fait au Chili pour que ce dernier puisse avancer et se créer un futur. Le film fait également réfléchir sur l’état du monde et son extrême absurdité.

Le documentaire est admirablement bien mené et il est très difficile de sortir de la salle comme on y est entré. Le film secoue, pour le bien de tous.

Ningun Lugar en Ninguna Parte

Avec ce film, Valparaìso reparait sur le devant de l’écran. Tout comme dans Arcana, le réalisateur, José Luis Torres Leiva, a choisi de filmer cette ville sans parole ni témoignage. Il se concentre sur le quartier de La Matriz où tous types de personnes se mélangent. Il pose simplement sa caméra dans la rue, théâtre principal de son documentaire. Le résultat est surprenant. Durant les premières images, sans parole, le film déroute, étonne. Puis, peu à peu, le côté contemplatif nous emporte et on se laisse bercer, errant dans les rues colorées de Valparaìso. Certaines scènes sont plongées dans le silence, d’autres s’accompagnent des bruits du quotidien du quartier. D’autres encore semblent guidées par une mélodie jouée au violon. Ces quelques scènes musicales rendent par moments le film très cocasse, le réalisateur jouant avec ces quelques notes de musique comme le cinéma muet savait si bien en jouer.

L’approche de José Luis Torres Leiva est très personnelle. Son vœu de traiter l’image comme le faisaient les Frères Lumière est réalisé. Première œuvre de ce jeune réalisateur, Ningun Lugar en Ninguna Parte donne en substance de la poésie à la ville de Valparaìso. Ce réalisateur chilien a développé son propre univers et sa propre façon de voir les choses. Un autre de ses documentaires était aussi présenté au festival, Obreras saliendo de la fabrica. Son dernier long métrage de fiction, El cielo, la tierra y la lluvia, a été présenté au dernier festival de Rotterdam où il a obtenu le prix Fipresci. Réalisateur sur lequel il va donc falloir garder un œil…


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