Paprika

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Œuvre radicale, « Paprika » déconstruit jusqu’à la notion même de plan cinématographique.

Dernier film de Satoshi Kon avant son décès prématuré, Paprika envahit un autre terrain d’expérimentations que Perfect Blue. Cette fois-ci, c’est la nature même de l’image qui se trouve en crise.

 

Descente dans la vallée de l’étrange

Il n’y a pas beaucoup de cinéaste qui sache autant provoquer l’inquiétante étrangeté que le regretté Satoshi Kon. Paprika fait partie de ces œuvres qui parviennent à susciter un malaise chez le spectateur. Plus que Perfect Blue, qui désorientait les repères spatio-temporels, Paprika provoque un sentiment de rejet viscéral devant des images toutes plus détonantes les unes que les autres.

L’une d’entre elles scande le film. Lorsque le professeur Shima, atteint d’une crise de folie, décrit un défilé de bric-à-brac où marchent côte-à-côte réfrigérateur, armures de samouraïs, poupées, chats… personne ne le croit. Et pourtant, l’image existe. C’est la représentation même de l’image impossible. Si improbable qu’elle nous laisse estomaqués.

Le cinéaste s’inspire bien entendu du roman homonyme du Japonais Yasutaka Tsutsui, paru en 1993, ainsi que de l’un de ses autres classiques, La Traversée du temps (1965), également adapté en 2006 – comme Paprika – par Mamoru Hosoda – film qui par ailleurs révèlera cet autre important réalisateur de l’animation japonaise contemporaine. La théorie de l’hyper-fictionnalité que développe Tsutsui, c’est-à-dire un méta-discours porté à son comble, nourrit fortement l’art cinématographique de Kon ; ses œuvres ne parlent pas tant du cinéma qu’elles ne le montrent, prenant conscience de lui-même, s’annihilant dans un magistral suicide logique.

Autre référence, quoique moins directe, qu’a certainement vue Satoshi Kon : Le Voyage de Chihiro. Les deux œuvres partagent bien des traits. Outre le motif du carnaval des monstres, on retrouve dans ces films un personnage féminin semblable : Paprika comme Chihiro sont jeunes, audacieuses et aventurières. En même temps qu’elles souffrent d’une altération de leur personnalité, victimes de dédoublement ; dédoublement qu’elles acceptent et qui fait leur force. Surtout, émerge une esth-éthique commune : Miyazaki et Kon traquent les expressions torturées, les faciès grimaçants, les personnages qui, en somme, nous entraînent dans la « vallée de l’étrange », pour reprendre la célèbre théorie du roboticien nippon Masahiro Mori. Dans Le Voyage de Chihiro, on compte le Sans-Visage, le dieu des rivières qui vient prendre son bain, le bébé géant… Et dans Paprika, les figures machiavéliques d’une poupée au visage d’albâtre et d’un directeur démesuré.

 

 

Ruptures du plan

Cependant, Paprika va plus loin que Chihiro, dans la mesure où l’inquiétante étrangeté contamine jusqu’à la nature même de l’image. Ce n’est pas tant le montage que les effets visuels qui distordent les plans. Exemple typique : Paprika, poursuivant le voleur des PT dans un parc d’attractions abandonné, heurte une barrière qui aussitôt ouvre une brèche dans le plan même, brèche qui l’amène à se jeter d’un immeuble. Un tel effet met en crise le statut du plan : son unicité spatio-temporelle s’effrite. S’immiscent alors des êtres cauchemardesques – d’un autre plan pourrait-on dire – qui déstructurent allègrement les frontières entre rêve et réalité. Le choix d’une barrière comme lieu de la brèche a valeur de programme : un lieu de séparation se mue en lieu de passage entre les mondes.

Ainsi va le cinéma de Satoshi Kon, toujours bousculant les frontières rationnelles et sensorielles : la barrière, qui marque physiquement et symboliquement l’espace, en est un archétype. Peut-être le caractère très hétéroclite de Paprika en dérangera plus d’un. Et c’est tant mieux. Car une expérience cinématographique s’éprouve en tant que telle : dans toute sa radicalité formelle.

 

 

Titre original : Papurika

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Durée : 90 mn


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