Retour aux sources
Réussissant à associer la dimension spectaculaire du cinéma d’horreur avec une réflexion politique drôle et non sentencieuse, séduisant un public nombreux tout en attirant l’attention, voire même les louanges d’une partie de la critique, Jordan Peele a, grâce à ses deux premiers films, Get Out (2017) et US (2019), indéniablement réveillé le cinéma mainstream de ces dernières années. Un résultat très appréciable en soi dans une industrie américaine inexorablement exsangue. Un teasing des plus intrigants, un titre mystérieux, Nope s’annonçait comme une nouvelle expérience ludique et trépidante ; chausse-trappes et nombreux twists au programme. Mais, ici, contrairement aux attentes, l’étonnement ne repose pas sur les artifices d’un scénario malicieusement troussé. Certes, sur un schéma on ne peut plus banal d’une présence extra-terrestre maléfique se greffent quelques rebondissements rondement menés, mais leurs effets s’en trouvent réduits quasiment à néant, dépassés, absorbés par une ambition cinématographique bien plus conséquente. Celle de revenir sur ce qui constitue la magie du divertissement dans son expression la plus pure.
Dans une époque où l’Entertainment s’essouffle à vouloir courir de plus en plus vite, se perd dans le multivers, où l’originalité n’est souvent rien d’autre qu’un argument vide de contenu, retourner à la simplicité originelle du Cinéma pourrait peut-être empêcher sa chute Dans cette perspective, l’évidente homonymie entre Nope et Rencontre du troisième type (Steven Spielberg, 1977) dépasse le cadre du simple hommage au réalisateur qui avait su rendre, à son époque, ses lettres de noblesse au cinéma grand spectacle. D’une façon plus large, pour retrouver la verve et l’imagination des pionniers du film de genre, Peele s’affranchit allégrement des habituels et souvent stériles « boosters » d’adrénaline. La vitesse tout d’abord : saccadé, lent, le tempo donne l’impression que le film ne va jamais décoller. Fort heureusement d’ailleurs, car au-delà du monstre qui les menace et qu’ils pourraient facilement fuir, les personnages sont dans un tournant de leur existence bien plus intéressant à suivre : prolonger l’héritage familial ou partir avec des rêves en projets. Les électrochocs, comme les jump scares (deux ou trois seulement) sont désamorcés à chaque fois par l’humour. Et surtout, le film est un pied de nez aux effets spéciaux, ils sont ici minimalistes, voire joliment naïfs, comme cette menace extra-terrestre, un ectoplasme cotonneux que Méliès aurait pu dessiner. La façon dont la créature est trompée dans un premier temps, avec un cheval en bois, et détruite au final, un bonhomme gonflable, finissent de désacraliser la toute-puissance présumée de la technologie.
Continuer d’y croire
Après la mort de leur père et la certitude qu’ils sont eux-mêmes en danger, O.J. Haywood (Daniel Kaluuya) et sa sœur, Emerald (Keke Palmer) décident de rester alors qu’ils n’ont pas grand-chose à espérer de leur profession de dresseurs de chevaux. Tels les héros de westerns crépusculaires, ils vont jeter leurs dernières forces dans la bataille pour éviter que « leur vieux monde » disparaisse. Pour cela, ils vont être épaulés par deux têtes brulées. Angel Torres (Brandon Perea), un employé de magasin d’électronique, installateur de caméra de sécurité, totalement déboussolé après avoir été largué par sa petite amie. Et surtout, Antlers Holst (Michael Wincott), un chef opérateur réputé qui offre gracieusement ses services car ses piges publicitaires sont suffisamment juteuses. Holst réussira à capter l’invisible avec une simple caméra électrique totalement artisanale. Nouvelle démonstration que le cinéma n’est pas qu’une affaire de « gros sous ». Doit-on y voir ici le chemin que veut emprunter Jordan Peele ; profiter de ses productions les plus lucratives pour se permettre des paris plus risqués ? Mais son propos est loin d’être naïf, revenir à la base, à la simplicité, pour reconquérir un public avide de sensations nouvelles est une gageure hautement risquée. Preuve en est, le parc d’attraction et le show de cow-boys gérés par Ricky (Steven Yeun) attirent peu de spectateurs et, de surcroit, finissent par être victimes de la créature.
Alors que la télévision avait déjà mis fin à son statut d’enfant-star, lorsque le singe de sa série massacra tous les autres comédiens sur le plateau de tournage, aujourd’hui, c’est une force beaucoup plus dévastatrice qui s’en prend aux formes séculaires de la culture et du divertissement. Mais, néanmoins, Peele veut toujours croire à la puissance mythologique du western, et par synecdoque du septième art. Espoir incarné par Le Cavalier noir, O.J. Haywood. Hiératique alors que sa sœur gesticule en permanence, pragmatique tandis que cette dernière se perd en conjectures, O.J incarne le héros fordien par excellence, un homme modeste qui va se révéler dans l’adversité. Une filiation soulignée à plusieurs reprises par de magnifiques surcadrages qui rappellent La prisonnière du désert (Johan Ford, 1956).Même si à l’image des deux précédents films de Peele, le héros n’oublie pas la façon dont lui et siens sont encore aujourd’hui dépréciés, ignorés par l’histoire (son aïeul serait le premier le jockey présent sur la série de photographies Animal Locomotion d’Eadweard Muybridge), O.J marche déterminé et serein vers sa destinée. La seule façon de pouvoir continuer à avancer.