À sa jeunesse, à la période passée avec son mari Malte en Suisse, où ils étaient bien, où Gretel était militante socialo-marxiste dans les années 1960 et trimballait les gamins dans les manifestations, ce qui lui avait valu d’être placée sous surveillance par les autorités helvètes ; aux arrangements avec les conventions amoureuses que le couple avait su prendre, prenant le plaisir là où il était, en en faisant même une philosophie de vie ; à la mère qu’elle a été, aimante mais pas forcément chaleureuse. Avec, à chaque fois, le recul nécessaire : David Sieveking fouille les origines, mais laisse leur place juste à ses parents, sans jugements, sans même chercher à développer. Ce sont eux qui parlent, eux qui racontent ce qui a précédé la maladie – Gretel avec les mots qui lui restent, lors de brefs moments de lucidité, Malte avec la rigueur qui est toujours allée de pair avec son métier de mathématicien, qu’il continue aujourd’hui à pratiquer pour le plaisir, content de voir que « ça marche encore un petit peu ».
Des choses remontent par vagues, dans le creux des souvenirs qui s’effacent et qu’il faut réactiver. Gretel raconte à son fils comment le libertinage a été le ciment de son couple – un jour, le père se décide à parcourir le journal intime de son épouse, et y apprend qu’elle a beaucoup souffert d’une de ses relations extra-conjugales. Le présent est là aussi, il est douloureux mais émaillé d’instants joyeux : une sortie au jardin est une petite victoire, celle de trouver une aide à domicile aussi. Sieveking n’élude pas les difficultés, ni les cas de conscience, ni les interrogations. Alors que la famille hésite sur le bien-fondé de placer Gretel en institution, Malte rend visite à sa mère, presque centenaire. Avec sagesse, elle explique que la place de sa bru est là-bas, plus à la maison où la situation va bientôt devenir ingérable, et quand son fils exprime son sentiment de culpabilité, s’emporte presque : « Et tu vas vivre quand » ? Alzheimer est une maladie héréditaire, c’est elle qui, déjà, avait emporté la mère de Gretel. Laquelle laissait des post-it sur le réfrigérateur pour ne pas tout oublier. Comme le film de son petit-fils, ils privilégiaient le positif. L’un deux disait : « J’ai quatre-vingt-quatre ans, et c’est déjà pas mal ».