N’aie pas peur

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Sur un sujet aussi grave que délicat, Montxo Armendariz signe un film humble, pudique et poignant.

Tout d’abord, accepter l’injonction du titre. Ne pas avoir peur de ce film au sujet grave, qui s’inscrit aux antipodes des films horrifiques dont le cinéma ibérique est friand – par exemple Les Yeux de Julia (Guillem Morales, 2010), où on retrouve en partie la même distribution qu’ici. N’aie pas peur se veut l’évocation d’une réalité guère abordée au cinéma, si ce n’est sous l’angle de la fantasmagorie ou de l’horreur : les viols d’enfants, commis le plus souvent par une personne proche. Autant de drames qui posent aussi la question de comment ces enfants, en grandissant, parviennent ou non à dépasser leur traumas, à vivre malgré tout. La noirceur d’un tel sujet peut mettre mal à l’aise, mais son traitement est ici d’une sobriété exemplaire, dépourvue du moindre voyeurisme et de toute complaisance dans le sordide. De même, le film évite les écueils de l’aseptisation et du sentimentalisme. Il faut savoir gré de cet équilibre délicat non seulement au réalisateur Montxo Armendariz, mais aussi aux interprètes, qui n’en font jamais trop et contribuent au frémissement douloureux de ce récit elliptique et puissant.
 
Les trente premières minutes sont peut-être les plus maîtrisées du film. Des images d’enfance défilent devant nous et des rires de joie retentissent au fil de plans-séquences lumineux. La caméra à la fois mobile et discrète est placée à hauteur d’enfant ; cette façon de coller en permanence au regard de la fillette, d’aborder le monde environnant en contre-plongée, révèle aussi bien un désir d’empathie que le refus de tout surplomb. Il s’agit pour le cinéaste de ne pas juger ses personnages, de seulement les saisir par le regard, les laisser vivre. Cette approche respectueuse, qui exclut toute manipulation facile, assure d’emblée au film sa respiration. Ces bases posées, le récit peut basculer. « N’aie pas peur » : la phrase-clef du film est proférée hors-champ par le père de Sylvia tandis qu’il s’apprête à commettre l’irréparable. La vie de la jeune fille ne sera plus jamais la même. À quinze ans, Sylvia nous apparaît mutique, renfermée, et à vingt-cinq ans plus dépressive encore, en quête désespérée d’un dialogue avec sa mère qui s’est toujours voilée la face devant le crime de son ex-mari, homme en apparence irréprochable.
 

Le nœud dramatique de N’aie pas peur, reposant sur l’ambiguïté de la relation de Sylvia avec son père, pourrait se résumer à cette question posée par la jeune femme à sa thérapeute : « Comment se fait-il que l’homme qui m’aime le plus soit également celui qui m’a fait le plus de mal » ? Contradiction en apparence irrésoluble, et que tente d’incarner le film dans une dernière partie toute en errances et en langueurs. L’interprétation sensible de Michelle Jenner suggère à quel point le biais de la fiction adopté par Montxo Armendariz s’avère plus évocateur que le recours au documentaire, qui certes aurait directement compilé des témoignages réels, mais n’aurait sans doute pas pu cerner avec une telle acuité le regard désemparé d’une victime percluse dans le non-dit, ni les allers-retours d’un corps dans son environnement, où il se perd, va et vient comme dans un labyrinthe – le tout sur fond de mutisme écrasant, de culpabilité, de honte, qui se lisent dans des échanges de regards pareils à des déflagrations.

Pudique, en définitive lumineux, N’aie pas peur présente l’audace de sacrifier la mélodramatisation et le spectaculaire à l’évocation fluide d’une trajectoire intérieure. Difficile devant tant de justesse de ne pas se sentir ému.

Titre original : No tengas miedo

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Durée : 90 mn


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