N.W.A Straight Outta Compton

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Film plaisant et bien construit, N.W.A rend un bel hommage à un genre musical souvent décrié. A voir.

La révolte se fait souvent au son d’une musique. Du moins dans la mémoire collective. En effet, telle ou telle révolution, telles émeutes, barricades, sont indissociables d’une bande-son qui les accompagne, et qui à jamais leur donnent une identité et contribue à fabriquer les traces que ces événements laissent dans l’Histoire. Ainsi, par exemple, le morceau Street Fighting Man (1) des Rolling Stones est-il indissociable des manifestations contre la guerre du Vietnam. En 1992, à l’annonce de l’acquittement de quatre policiers du L.A.P.D qui ont tabassé un automobiliste noir, Rodney King, les rues de Los Angeles seront le théâtre d’un déchainement de violence qui fera 55 morts. Cette fois c’est le rap percutant du groupe hip-hop N.W.A (« Nigers With Attitude) qui est rattaché à ces événements.

C’est de ce groupe, référence incontournable du rap West Coast, que F.Gary Gray a choisi de raconter l’histoire, dans ce qu’il est convenu d’appeler un biopic musical mais qui, disons-le d’emblée, se hisse au dessus de la plupart des films du genre.

 

En effet N.W.A est particulièrement réussi si l’on songe à la difficulté à laquelle se confronte un réalisateur qui entreprend de raconter l’épopée d’un groupe de musique en prenant soin de ne pas sombrer dans le piège de l’hagiographie, en prenant soin aussi de s’attarder sur le destin de chacun, tout en restituant le contexte politique et social dans lequel émerge et vit le groupe. Le réalisateur du métrage, F.Gary Gray, évite donc un peu prés tous ces écueils pour nous livrer une biographie passionnante des célèbres Ice Cube, Dr. Dre, Eazy-E, DJ Yella et MC Ren, toute en nous replongeant dans l’époque pas si lointaine – mais déjà objet d’histoire -, des rues de Compton, ghetto du sud de Los Angeles, au milieu des années 80. A l’époque, Compton, ville natale de nos héros, est un véritable coupe-gorge. La scène inaugurale du film ou l’on verra le futur Eazy-E (campé par un Jason Mitchell excellent), pris au piège d’un gang ennemi dans un bouge et sauvé involontairement et in extremis d’une mort violente par l’intervention de la police défonçant le repaire de dealers à coup de bélier, résume un peu près l’ambiance. A Compton la guerre des gangs faisait rage et les règlements de compte à l’arme automatique étaient monnaie courante. A l ‘époque, c’est la cocaïne qui est le produit vedette à L.A. La situation est explosive aussi de par l’attitude raciste de la police envers la communauté noire, et du fait de la misère et de la désespérance de cette même communauté, dont beaucoup de membres sont les victimes innocentes de balles perdues. F.Gary Gray décrit parfaitement – sans en faire trop – cette toile de fond sociale et politique qui va déterminer le destin des jeunes fondateurs de N.W.A. Il ne fait pas œuvre de militant même si l’on imagine bien de quel côté il pencherait si on lui demandait son avis, mais simplement se contente de relater ici ou là, le quotidien de la jeunesse locale comme les contrôles de police au faciès, résumés dans une scène percutante dans laquelle les membres du groupe sont plaqués et menottés à même le trottoir sans raison, à la porte de leur studio d’enregistrement.

 

Sinon, le réalisateur s’est attaché à relater le parcours du groupe, non sans, parfois, le teinter d’humour comme dans cette séquence ou Eazy-E et ses camarades écoutent, interloqués, le rap de leur ex-ami Ice Cube les ridiculisant avec ses punchlines d’une efficacité redoutable et parfois hilarantes. Il y a aussi la chronique inévitable de la séparation du groupe, des brouilles, des carrières solos des uns et des autres, mais aussi de la vie débridée et luxueuse de ces musiciens qui fortune faite ont consommé sans modération filles et bagnoles. Une existence Sex&Drug&Rap donnant lieu à des tableaux magnifiques d’orgies peuplées de jeunes femmes en bikini se trémoussant autour de piscines. N’oublions pas aussi l’évocation du producteur-manager, interprété par un Paul Giamatti très bon, protecteur et fan, mais qui ne résistera pas à la tentation d’arnaquer ses poulains. Toute cette saga, habituelle pour un biopic musical, ne tombe pas pour autant dans les clichés et le film, dans l’ensemble, a du rythme. Est très bien racontée aussi, par exemple, au début du film, la décision des personnages d’échapper à la violence qui faisaient leur quotidien d’adolescents en exploitant leur talent de paroliers et de musiciens. Le film pour notre plus grand bonheur est rempli de chansons du groupe, que ce soit au cours de concerts que dans des scènes envoutantes de studio ou la rythmique si particulière des voix d’un O’Shea Jackson ou d’ Easy-E, est particulièrement impressionnante.

Mais là où le film de Gray est le plus convaincant, le plus puissant, c’est lorsqu’il montre la fusion de la musique et de la révolte, lorsque l’histoire et un tube se confondent, ne font plus qu’un. Ce fût le cas, à la sortie du morceau Fuck The Police, tiré de l’album Straight Outta Compton (2). Ce morceau dénonçait en autres les bavures policières dont les membres du groupe furent témoins. Censuré par le FBI, fait rare au pays du Premier amendement, le morceau Fuck The Police eut un retentissement mondial. Il dépassait alors dans son impact le strict cadre des ghettos de Los Angeles pour être le synonyme de la révolte contre les injustices et l’oppression des forces de l’ordre et allait trouver son épilogue sanglant lors des émeutes de 1992.
 

Dans le film, paradoxalement, on ressent cette musique provocante et provocatrice comme une joie. Comme une sorte de pharmacopée venant soulager la douleur d’une population ghettoïsée, humiliée, mais qui n’oublie pas de danser aux sons des puissantes basses sur lesquelles viennent se poser le flow d’une voix en colère – comme aussi la perpétuation en cette fin de XXème siècle du chant qu’entonnaient les esclaves dans les champs de coton.

(1) Beggars Banquet (1968)
(2) 1988

 

Titre original : Straight Outta Compton

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Durée : 147 mn


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