Mud – Sur les rives du Mississippi

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L´Arkansas, terre de mythologies.

Dur d’être le nouveau prodige du cinéma américain, porté aux nues après deux films assez remarquables, dont Take Shelter qui reçut la Caméra d’Or en 2011 à Cannes. S’il est souvent question de la difficulté du deuxième film dans la carrière d’un cinéaste, on évoque rarement celle du troisième film, celui de l’auteur maintenant attendu au tournant tant ses immenses qualités ne peuvent que toujours s’illustrer.

Jeff Nichols a déclaré que Mud est à l’origine un projet sur le Mississipi et les pêcheurs qui vivent le long de ce fleuve du sud des États-Unis. Il y installe une famille en crise, vivant dans un cabanon. Le fils, Ellis, accompagne son père dans ses activités de pêcheur, et passe le reste de son temps avec son meilleur ami, un orphelin élevé par son oncle (Michael Shannon). La première demi-heure du film est lumineuse, c’est un récit clair, celui d’un quotidien de familles fragilisées par les manquements des pères, et l’évasion des enfants dans une nature accueillante.

Débarque alors un élément perturbateur sous les traits de Matthew McConaughey, fugitif recherché pour meurtre. Les deux gamins découvrent que l’île désertique qu’ils ont élue comme refuge est aussi la planque du bonhomme, qui se cache dans un bateau qu’une crue a perché dans un arbre. Ces quelques scènes à elles seules sont la matrice du film : un lieu paradisiaque, un refuge sauvage que deux enfants sont contraints de partager avec un adulte. Qu’on l’ait lu ou non, on pense à Mark Twain, et aux Aventures de Huckleberry Finn (1884), auquel le cinéaste avoue faire plusieurs fois référence.

 

 
 
Matière à mythe, le sud des États-Unis n’en finit pas d’être le berceau de récits cinématographiques à part. En marge de la ville, toujours nostalgiques, ces films ancrés dans la terre américaine ("mud" signifie « boue ») partagent un goût pour le récit oral, une nature maitresse et supérieure prenant une place majeure dans le scénario et le déroulement du récit – récemment, Les Bêtes du sud sauvage (Benh Zeitlin, 2012), mais aussi Dans la brume électrique (2009) de Bertrand Tavernier, adapté de James Lee Burke, écrivain de la Louisiane par excellence, et bien sûr Minuit dans le jardin du bien et du mal (1997) de Clint Eastwood.

Ce marquage thématique se cristallise chez Nichols autour du personnage de Mud, bagnard responsable de sa propre mythologie. Portant les traces de son histoire sur un corps couvert de tatouages, il transmet aux enfants sa vision à la fois poétique et maudite de l’enfance. Sauvé par une femme lorsqu’il était enfant, il inscrit sur sa peau l’histoire de cette rencontre, et croit sceller sa destinée. L’homme est ainsi la matière orale de sa propre histoire, contant aux gamins avides combien chaque élément de son apparat prend sa place dans sa tragédie (sa chemise, son couteau, l’alcool). Le film fonctionne à merveille dans ce huis clos originel, où Mud trône comme machine à fantasmes, dents ébréchées et accent à couper au couteau. John Ford n’est jamais loin, dans ce récit d’apprentissage où les enfants s’éduquent des erreurs de leurs pères, notamment par le biais d’un parallèle, hélas bien insistant, entre le destin amoureux de Mud et celui d’Ellis.

Le film aurait gagné à ne pas s’extraire complètement de cet îlot thématique. Une fois lancé dans la mécanique du thriller, le nombre de personnages circulaires dilue cette nonchalance solaire de la première partie du film dans une tension un peu triviale. La suite, consacrée à la vengeance d’un père mafieux déterminé à tuer Mud et culminant dans une scène finale de shotgun, semble un agrégat de Shotgun Stories (premier film de Jeff Nichols, 2008), une portion rapportée qui annexe maladroitement le récit principal.
 
 

 
 
La dernière heure du film se dédouble, comme si deux projets de films incompatibles tentaient une greffe. D’un côté le conte moral et l’apprentissage du petit garçon ; de l’autre l’exécution d’un thriller. L’accumulation de personnages, ceux de Sam Shepard et de Reese Witherspoon entre autres (elle n’a droit qu’à deux petites scènes plutôt faibles), sent les exigences de production, comme la nécessité pour Jeff Nichols de réaliser son grand film classique avec casting au beau fixe. La fille, le père de substitution et le clan mafieux s’incrustent, et par là étirent considérablement la durée du film, et son rythme.

On perçoit bien quelle partie travaille vraiment le cinéaste dans l’autre morceau de bravoure final. À l’épisode d’attaque des mafieux répond une explosion de tension bien plus réussie, lorsque Mud prend à bras-le-corps son propre destin. L’épisode originel de son enfance (une morsure de serpent) se répéte sur Ellis, risquant de le tuer. Comme pour boucler la boucle de l’héritage, le cinéaste fait de cette scène la délivrance tant attendue d’un héros qui peut cette fois-ci, en sauvant l’enfant, s’extraire de sa tragédie. L’énergie du sauvetage et son efficacité se doublent d’une intense émotion quand Mud apparaît pour la seule fois du film face à la civilisation, confronté au monde adulte. Sale et effrayé, lavé de ses splendides mensonges en prenant un risque, la légende redevient homme.

Ce moment scelle aussi pour l’enfant une sortie presque définitive de l’univers de la rivière. La loi des hommes a eu raison de la loi du fleuve, lui et sa famille partent vivre dans une résidence aux alentours de la ville. Ainsi, sa rencontre avec Mud, personnage qu’on pourrait presque imaginer être un fantasme d’Ellis, a permis au garçon d’accepter de grandir et de quitter les rivages de sa propre jeunesse. La beauté brute du film est là, hélas un peu diluée dans le geste du grand film tant attendu.

Titre original : Mud - Sur les rives du Mississippi

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Durée : 130 mn


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