Mr. Nobody

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« Toutes les vies méritent d’être vécues », nous dit Jaco Van Dormael, dans ce film complexe, ambitieux mais hybride, qui interroge la notion de choix. D’une grande beauté formelle, on s’y perd puis s’y noie. Dommage !

S’il y a bien une chose que l’on ne peut reprocher au cinéaste Jaco Van Dormael, c’est une certaine porosité entre ses films et sa vie. Sa sincérité, en somme. Pour la manière, en revanche, pas sûr que son nouvel opus déclenche le même unanimisme que le précédent… ! Foin de bons sentiments : treize années se sont écoulées depuis "Le huitième jour", treize années de retraite dédiée à la vie de famille et à l’écriture. Et, comme par hasard, voilà qu’il nous revient avec ce drôle d’objet polymorphe qu’est "Mr Nobody". Un long métrage (2h20) assez exceptionnel de richesse visuelle, qui nous fait carrément entrer dans son univers mental, articulant son propos débridé autour d’un personnage omniprésent, dont le ressort essentiel est de ne jamais faire aucun choix ! Un film complexe sur la complexité : de la vie, ça oui, mais encore de cette belle mécanique, un peu trop belle peut-être, qu’est le cinéma.

Voyons voir, donc… Nemo Nobody (c’est lui), double probable du belge réalisateur, est le dernier humain mortel (et très vieux) d’une société futuriste où l’on est parvenu à stopper le vieillissement. Au gré d’un flash back à la géométrie à peu près aussi variable et aléatoire que sa mémoire, il se remémore non pas "sa" vie, mais "ses" multiples vies possibles : rêve ultime, en effet, de tout scénariste un tant soit peu imaginatif… Et qui aime prendre son temps ! Surtout lorsque, comme ici, il dispose d’un budget royal (30 millions d’euros). Aussi malicieux et foisonnant que son créateur démiurge, Nemo nous balade donc de lieux (Angleterre, Etats-Unis) en événements (ses parents divorcent quand il a 9 ans, il reste avec son père et/ou avec sa mère), de temporalités (enfances, adolescences, vies adultes) en genres cinématographiques (SF futuriste, drame familial, comédie romantique, etc). Le tout étant basé – entre hasard et nécessité – sur la rupture (de plan, de ton, de situation).

Patchwork


L’aimable Jaco ne prendra pas ombrage si l’on rappelle que d’augustes aînés l’ont précédé dans ces atermoiements métaphysiques et ludiques, d’autant plus spectaculaires qu’ils interrogent littéralement la grammaire du cinéma (le scénario patchwork, le montage à l’identique, qui a nécessité l’intervention de six professionnels pendant un an). On pense bien sûr à Alain Resnais et ses "Smoking", "No smoking", que Van Dormael cite d’ailleurs volontiers dans la partie scientifico-expérimentale du récit (clin d’œil à "Mon oncle d’Amérique"). On pense également à Michel Gondry et son adorable "Eternal sunshine of the spotless mind". Notamment pour l’aspect bricolo-virtuose de l’ensemble. Des auspices en rien fâcheux : Van Dormael est un cinéphile gourmand, un boulimique généreux et sympathique. Le soin tout à fait singulier porté à l’image, au cadre, à la lumière (nombre de plans impressionnent fugitivement la rétine, un peu comme dans l’esthétique publicitaire ou les clips) singularise quoi qu’il en soit son travail. Ambitieux, vraiment.

Le souci, c’est qu’à tenter de suivre ces vies multiples – racontées, c’est selon, par un vieux monsieur ou un enfant, et de toute façon dans le désordre… – l’on s’essouffle vite. Sans doute, renoncer à comprendre fait-il partie du jeu. Mais l’impression dominante reste, malgré tout, un semblant d’overdose. A la différence des deux Français pré-cités, qui parvenaient, en dépit de la profondeur de leur matière, à rester fluides et intelligibles pour leurs spectateurs, Jaco et ses héros (9 Nemo différents, par exemple !) finissent par ne plus ressembler qu’à des marionnettes. Assez vaines. Peut-être aussi que le jeu transformiste, un rien désincarné, de Jared Leto (le Nemo en question) y est pour quelque chose. Mais pas seulement. Le découpage effréné, l’impossibilité de se concentrer sur une situation plutôt qu’une autre nous tiennent systématiquement à distance. Exclus d’une mécanique spectaculaire mais finalement artificielle. Le fait est que la partie la plus réussie de cette œuvre hybride – inégale – est celle consacrée à l’amour fusionnel et frémissant du jeune couple adolescent, formé par les très justes Toby Regbo et Juno Temple. Or, comme par hasard, c’est un des chapitres sur lequel le réalisateur ose s’attarder et revenir, en boucles, adoptant joliment, pertinemment, cette forme de mélancolie sinueuse, obsessionnelle qu’est le souvenir. Ou le regret.

Mais peut-on vraiment parler de hasard ? Allez, "Mr Nobody" n’est-il pas, somme toute, avec ses maladresses, ses tours et détours inutilement compliqués, juste une charmante déclaration d’amour, à la vie comme au cinéma ?

Titre original : Mr. Nobody

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Durée : 137 mn


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