Möbius

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Le fragile équilibre du film d’espionnage ne prend pas.

Comme souvent dans le genre de l’espionnage, le bien et le mal ne sont plus des repères valides. Pour se déplacer dans l’intrigue et faire face à la brume des enjeux moraux (par rapport à ceux d’un film d’action ou d’un policier par exemple), c’est souvent la focalisation sur un ou plusieurs personnages qui, à défaut de nous prendre par la main, nous aide au moins à choisir un camp.

La Taupe de Tomas Alfredson, quasi sibyllin dans ses enjeux scénaristiques — la recherche d’une taupe au sein de l’espionnage britannique avant la chute du Mur — travaillait la morosité d’une atmosphère, reconfigurant l’espionnage sous le tapis de sa bureaucratie et la cruauté de mouvements souterrains. Möbius, du français Eric Rochant, contient lui une profusion de matière, un excès de signes et de points de références maladroits qui brouillent le regard et complique l’adhésion à toute tentative de suspense.

Comme Eric Rochant l’expliquait, Möbius à deux points de départ : Les Enchainés d’Hitchcock, et sur les conseils de ses producteurs, la possibilité de refaire un ambitieux film d’espionnage comme Les Patriotes en 1994, grand succès critique de Rochant. C’est muni de ce double cahier des charges, en soi pas contradictoire, qu’il s’attèle au projet.

 

Il est question de la finance internationale, et d’une tradeuse américaine (la Belge Cécile de France) exilée à Monaco, interdite de territoire US, bossant en secret pour la CIA. Le FSB (ex-KGB), les services secrets russes, pour lesquels travaille un russe (le Français Jean Dujardin) qui est en fait à la botte d’un grand ponte de la mafia, s’intéressent à ses talents de blanchisseuse d’argent. Le grand ponte est interprété par le Britannique Tim Roth. Au-delà des remarques sur le  casting lui-même, la possibilité de croire, dans un film où les enjeux d’espionnage sont prétendument internationaux (et donc démultiplient les langues), en notre acteur « national », celui-là même qui fut OSS117 et qui est tout sauf polyglotte, toute qualité de jeu mis à part d’ailleurs, est minime. L’aura Jean Dujardin est trop prégnante, ce qu’elle charrie et convoque dans notre esprit bloque la croyance par la reconnaissance du « personnage Dujardin ». Il en est de même pour l’ensemble du casting : l’incongruité de la présence de Wendell Pierce (The Wire, Treme) dans deux scènes de bureau à l’américaine, complètement isolées du reste du film, à Emilie Dequenne, qui elle n’a droit qu’à des moments au sauna en petite tenue.

Les enjeux scénaristiques sont à l’avenant. La symbolique du ruban de Möbius, cette trajectoire sans origine ni fin, tournant sur elle-même avec absurdité correspond à la complexité d’enjeux trop vite présentés, jamais exploités, qu’on voudrait nous faire croire complexes et retors alors qu’ils ne sont qu’embrouillés. Le clinquant des décors, le milieu friqué monégasque et les plans aériens luxueux n’y changent rien : toujours le film semble progresser par à coups, sans fluidité ni scènes fortes, la photo léchée cachant mal la détresse d’un scénario distendu, dispersé.

Reste alors cette histoire d’amour entre les deux espions, qui les cueille violemment comme Ingrid Bergman et Cary Grant en leur temps. Dure comparaison, devant l’insistance un peu ringarde de la mise en scène de leurs ébats. Au-delà de l’absence évidente d’alchimie entre les deux acteurs, il y a surtout ces plans brouillés de chairs et le trouble sexuel auquel est soumis Cécile de France, tout en frissons orgasmiques, yeux révulsés et répliques tordantes : "tes bras sont tellement concrets !".

La déception est aussi grande que ne l’était l’attente, principalement parce que Rochant est l’auteur inoubliable des Patriotes, soumis à la comparaison de sa propre réussite passée.
 

Titre original : Möbius

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Durée : 103 mn


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