Dans ce film, pas de pietà, pas de Mère Courage, mais une description minutieuse d’une relation entre une mère de la grande bourgeoisie de Bucarest et son fils de 34 ans, qu’elle entretient et tente de manipuler. Il y a dans ce film des dialogues brillants, une absence de pathos et une maîtrise de l’image qui confinent à la maestria, si bien qu’on en sort ébranlé. En effet, le réalisateur n’a nullement l’intention de nous émouvoir, ni même de nous apitoyer sur le sort de cette mère qui, finalement, souffre dans cet amour maladroit qu’elle éprouve pour un fils ingrat, si bien qu’elle se sent plus proche de sa belle-fille qu’elle méprise par ailleurs. Comment aimer sans avoir l’envie de manipuler les êtres ? Telle est la question que se pose in petto Calin Peter Netzer qui confie, dans le dossier de presse, s’être inspiré de ses propres relations avec sa mère, de même pour le scénariste, Razvan Radulescu. Tout le monde a ou a eu une mère, c’est même la chose la plus naturelle du monde, mais il fallait une certaine dose de courage ou de folie pour mettre en scène une relation aussi tendue et frontale sans tomber ni dans le ridicule, le pathétique ou le burlesque (on pense bien sûr au film de Guillaume Gallienne qui cartonne au box-office). C’est même plutôt un anti Les garçons et Guillaume, à table ! qu’on nous propose ici. Bien sûr, il ne s’agit nullement du même thème. Et pourtant, dans les deux films, les relations mère/fils sont détaillées, Gallienne allant même jusqu’à interpréter lui-même le rôle de sa mère comme l’avait fait (et tellement mieux) Philippe Caubère avant lui.
Le film fonctionne en fait comme un documentaire. Avec un budget serré, deux caméras numériques seulement, il a demandé un grand travail en amont du tournage sur le découpage à proprement parler, avec un chef opérateur talentueux, Andrei Butica. Et ce film très écrit, qui nécessite beaucoup de dialogues, de la proxémie et du recueillement repose évidemment sur des acteurs prodigieux, à commencer par Luminita Gheorghiu, grande actrice roumaine qui incarne Cornelia la mère, et qui a failli lâcher le rôle car c’est bien sûr un sujet qui fait peur. Comment montrer une relation mère/fils sans trop mettre de sa propre histoire, tout en tentant de rester d’une neutralité bienveillante? Et le film repose sur ce lent travail qui met en scène tantôt la mère (qui est du reste dans chaque plan), tantôt le fils (Bogdan Dumitrache, impressionnant lui aussi dans le rôle de Barbu, le fils), tantôt le père d’une médiocre lâcheté. Loin des Atrides ou de la tragédie grecque, Mère et fils déploie un univers qui nous est familier, entre amour et abjection, sans que l’on sache toujours très bien qui manipule qui. Mais ne serait-ce que pour les derniers plans qui amorcent une sorte de rédemption, de pardon ou de vraie filiation, le film est passionnant, surtout pour l’exploit de la scène champ-contrechamp filmée en partie dans le rétroviseur de la BM dans laquelle la mère, assise au volant, assiste, en larmes, à la poignée de main entre son fils et l’homme dont il a accidentellement tué l’enfant. Un vrai beau film sur la tragédie du quotidien.