Manta Ray

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Dédié au peuple rohingya, le troisième long métrage de Phuttiphong Aroonpheng n’abandonne pas entièrement le cinéma expérimental de ses débuts.

Un hommage à la Thaïlande

Bien qu’il s’en défende, ce nouveau film thaïlandais évoque bien sûr par son atmosphère et son décor – puisqu’il se passe presque entièrement dans la forêt à la frontière avec la Malaisie, avec ses lianes, sa boue et ses cris d’oiseaux – le cinéma étrange et envoûtant d’Apichatpong Weerasethakul. Mais il propose cependant des pistes beaucoup plus sociales et beaucoup moins ésotérique, tout en demeurant très secret. L’exergue du film nous alerte déjà puisqu’il est dédié aux Rohingyas dont on parle de plus en plus, en Inde, mais pas seulement puisqu’ils demandent de plus en plus l’asile à la Thaïlande, ce qui ne manque pas d’y soulever bien des problèmes, un peu de la même nature que ceux que rencontrent les pays européens avec l’afflux de migrants par la mer et par la terre… Ici, la frontière entre Malaisie et Thaïlande est si poreuse que la vaseuse rivière Moei, qui sert de frontière, devient le linceul de corps rohingyas venus ici et disparus, carrément dévorés par la jungle et la nature sauvage et humide. C’est ici que le personnage principal du film, un pêcheur thaïlandais, va retrouver le corps d’un homme muet dont on ne saura rien, sauf qu’il va le sauver. Peu à peu, celui-ci qu’il a surnommé Thongchai en hommage à un grand chanteur populaire thaïlandais, et interprété de façon magistrale par un acteur non professionnel pour la première fois à l’écran, Aphisit Hama, prendra sa place dans sa maison et auprès de sa femme.

 

 

Un film de directeur de la photo

Ce film réalisé par un directeur de la photographie très connu en Thaïlande, et qui fait écho, au moins sur le plan du thème abordé, à son premier court métrage, Ferris Wheel en 2015, qui traitait déjà du problème des migrants, apporte cependant une note nouvelle qui le différencie en fait des films sur les migrations qu’on nous sert en Europe, mais aussi qui rompt avec la narration des films thaïlandais traditionnels et c’est pourquoi on y trouve un peu la patte d’Apichatpong Weerasethakul. Avec un plus, bien sûr, puisque Phuttiphong Aroonpheng a demandé à son chef opérateur, Nawarophaat Rungphiboonsophit, et à ses ingénieurs du son, Chalermrat Kaweewattana, Arnaud Rolland et Charles Bussienne, de penser plutôt le film en terme d’images et d’impressions, et non de narration. En effet, le scénario, précise-t-il, tient en quelques pages, et le film n’est pas un film social mais une oeuvre de méditation bien dans la veine du cinéma extrême-oriental. Les sons sont d’ailleurs très originaux puisqu’ils sont ceux de la nature, immense de la Thaïlande et des pays limitrophes, mais aussi des cris de détresse des Rohingyas que le réalisateur a enregistrés précédemment, depuis que ce problème le hante. Bien sûr la musique occupe aussi une place très importante puisqu’il l’a choisie très méticuleusement. Finalement après de nombreux essais son choix s’est arrêté sur celle de Snowdrops (Christine Ott et Mathieu Gabry) originaires de Strasbourg, comme quoi la mondialisation de la culture peut être bénéfique à une oeuvre d’art. Toujours dans cette optique musicale, il a confié le rôle de la seule femme du film à Rasmee Wayrana qui est une chanteuse très célèbre du Nord-Est de la Thaïlande.

Un film sur la place à prendre ou à laisser

Voici donc un film étrange, qui joue beaucoup sur l’atmosphère, les couleurs et les lumières magiques mais angoissantes qui peuplent la nuit de la jungle. Film sur la place à prendre dans le monde, sur le silence, sur le mutisme des peuples bâillonnés dont on ne sait rien, sur la différence et enfin sur l’amour, ce Manta Ray ne laissera personne indifférent puisqu’il dit beaucoup de choses sur la Thaïlande, mais aussi sur notre humanité un peu trop malmenée et sollicitée.

Titre original : Kraben Rahu

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Durée : 105 mn


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