Le Dictateur de Charlie Chaplin (1940), Arise My Love de Mitchell Leisen (1940) ou encore To Be or Not to Be de Lubitsch (1942) furent des films produits par Hollywood avec la volonté sous-jacente d’inciter les États-Unis à entrer en guerre (le Lubitsch tourné avant fut retardé et sorti finalement alors que le pays était déjà engagé). Dans cette optique, Madame Miniver allait pourtant les surpasser en incarnant l’un des plus beaux mélodrames des années 1940. Plutôt que la fable de Chaplin ou la farce de Lubitsch, Wyler opte pour le mélodrame à l’empathie plus immédiate avec le destin de cette famille britannique confrontée à la guerre.
Le film adapte le livre éponyme de l’auteure anglaise Jan Struther paru en 1940 et au fil de l’engagement inéluctable des États-Unis dans le conflit, le scénario n’aura de cesse d’affirmer un propos de plus en plus vindicatif sur l’ennemi allemand, loin de la neutralité des premières moutures. Sorti finalement après Pearl Harbor, le film sera finalement totalement en phase avec le sentiment d’alors de l’opinion et aura un impact certain dans la politique de Roosevelt, notamment au niveau de l’aide américaine octroyée à la Grande-Bretagne. Fort heureusement, loin de cet assumé rôle de propagande à replacer dans son contexte, Mrs Miniver est surtout un petit bijou d’émotion.
Le fait d’évoquer une famille britannique était supposé amener une certaine distance avec le sujet pour le public américain, mais Wyler, en plaçant la thématique d’une guerre, d’un mal et de la mort se rapprochant inéluctablement, parle en fait à ses compatriotes encore extérieurs aux évènements. La première partie fait ainsi office de paradis perdu où l’on découvrira la famille Miniver et le paisible village anglais typique où ils vivent. Wyler caractérise ses personnages avec tendresse dans un quotidien fait de situations cocasses – la crise d’achat commune du couple au début -, de seconds rôles attachants – le chef de gare et son goût inattendu pour la culture des roses – et de romance pleine de candeur entre le fils aîné Miniver et la jolie voisine incarnée par Teresa Wright. Le sens du détail du réalisateur et la conviction des acteurs font de ces archétypes universels des êtres plus consistants auxquels on pourra s’identifier lorsque les nuages poindront dans ce cadre idyllique. Cette menace, c’est bien sûr le risque de guerre qui vient jeter un froid sur tous ces moments insouciants tel ce « God Save the Queen » solennel venant interrompre une scène de bal.
Une fois le conflit lancé, cette imagerie idéalisée va s’effriter lorsque la famille devra se confronter aux rigueurs de la guerre. Wyler mêlera idées visuelles et situations dramatiques pour illustrer cette bascule progressive vers une tonalité plus sombre. Ce sera d’abord avec l’angoisse latente pour ce fils aîné (Richard Ney) engagé dans la Royal Air Force, et surtout avec ces nuits de blitz où les moteurs des avions ennemis et la chute des obus envahissent désormais l’espace sonore. Une des scènes les plus glaçantes verra d’ailleurs Greer Garson et Walter Pidgeon donner le change dans leurs abris en se rassurant par une discussion badine tandis que les explosions se rapprochent. Les Miniver se trouveront ainsi de plus en plus impliqués dans ces grands enjeux lorsque le père sera engagé dans une mission de sauvetage à Dunkerque et surtout lorsqu’un pilote allemand écrasé viendra directement menacer Greer Garson. La guerre passe ainsi d’un sujet de conversation lointain à une menace latente puis enfin à un danger concret où l’ennemi est désormais à nos portes.
En accentuant ce climat de chaos, Wyler ne cherche pas à faire céder ses héros mais au contraire à éveiller ce qu’il y a de meilleur en eux. On en a un bel exemple tout d’abord avec ce clivage de classes désormais révolu qui verra la fière Lady Beldon (May Whitty) laisser la victoire à son concurrent « indigne » mais tout aussi méritant dans la traditionnelle compétition florale du village. C’est un symbole des comportements héroïques et dignes à venir dans l’adversité. Walter Pidgeon incarne ainsi à la perfection ce flegme britannique apte à faire face à toute situation et Greer Garson trouve là la première incarnation des rôles de femmes ordinaires et courageuses qui feront sa gloire dans les années 1940 (formant un couple de cinéma à succès avec Walter Pidgeon, Mrs Miniver étant leur première collaboration). Elle dégage ici une émotion palpable dans un mélange idéal de fragilité et de solidité. Wyler alterne d’ailleurs chaque épreuve avec une séquence contemplative et de plénitude, comme pour laisser aux personnages un moment de respiration, un second souffle pour mieux se relever face à ce destin funeste. On aura ainsi une magnifique séquence immaculée au petit jour lorsque Greer Garson vient guetter le retour de son mari au petit matin, Walter Pidgeon et ses enfants face aux dégâts des bombes sur leur maison et lorsque, inéluctablement, la mort frappera la famille, le final à l’église saluera cette vaillance inébranlable. La façade délabrée de l’église exprime bien la fin du monde paisible aperçu au début, confirmé par la liste des dernières victimes que citera le prêtre. Pourtant la solidarité de cette communauté, les regards et gestes intenses nous signalent que si une ère s’achève, une autre commence. Le discours final vindicatif du prêtre est une ode au courage déployé et à venir du peuple britannique, lassé de subir et prêt à partir en guerre, chacun à sa façon.
Cette conclusion atténue toute amertume, Henry Wilcoxon (jouant le prêtre) réécrivant longuement avec Wyler cette tirade si puissante qu’elle sera utilisée comme tract et parachutée dans toute l’Europe occupée. Comme le déclarera Churchill, « sa propagande vaut bien plusieurs cuirassés ». En se penchant ainsi sur la situation de leurs alliés britanniques, les États-Unis sortaient définitivement de leur position attentiste pour entrer en guerre à leur tour.