L’histoire est celle de Charlie Oakley (l’excellent Joseph Cotten), un tueur de veuve en cavale. Il se réfugie chez la famille de sa sœur en Californie et y est accueilli avec amour et tendresse, en particulier par sa nièce qui lui voue un véritable culte. Pourtant, celle-ci commence peu à peu à le soupçonner. Charlie n’a alors d’autre solution que de la supprimer…
La relation entre Charlie et sa nièce est le nœud du film. Le rapport entre les deux personnages relève de la filiation fusionnelle et de la superposition. Chose la plus évidente, tous deux portent le même prénom. La première fois que l’on voit Charlie, il est allongé sur son lit ; c’est avec la même image que Hitchcock nous présente la nièce. Ils aiment se répéter que le même sang coule dans leur veine, et qu’ils sont presque à tous points semblables. La caméra renforce la proximité entre les deux personnages : ils sont souvent cadrés de profil, face à face ou côte à côte. Et plus fondamentalement encore, on a l’impression qu’ils sont les deux faces, l’une obscure, l’autre plus claire, de la même personnalité.
Le monde décrit par L’Ombre d’un doute est vicié par le péché et l’imperfection. Le film peut se lire comme un parcours initiatique qui amènera l’héroïne à comprendre la réalité même des choses, à explorer l’aspect obscur des hommes, et à s’en protéger quitte à tuer. Pourtant, au début du film, la jeune Charlie semble être le symbole de la pureté. Mais en côtoyant son oncle, sa vision naïve et sentimentale de la vie s’estompe, elle perd progressivement son innocence et ses idéaux. Au début contrepoint positif de l’oncle, son évolution figure une compréhension plus juste du monde.
L’Ombre d’un doute est un film réussi, sombre et dense. C’est une belle métaphore de la dualité des êtres et du bien qui côtoie le mal. « Un jugement moral est porté dans le film. Cela revient à dire que tous les méchants ne sont pas noirs et que tous les héros ne sont pas blancs. Il y a des gris partout. » (Hitchcock in Hitchcock – Truffaut, édition Definitive, p 126).