Lola rennt de Tom Tykwer (1998)

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L’intrigue du film Lola Rennt est d’une simplicité telle qu’elle se résume en une seule phrase : Lola (Franka Potente) a vingt minutes pour trouver 100 000 marks pour son copain Manni (Moritz Bleibtreu).

L’histoire du cinéma allemand est à l’image de son pays. Suite à un départ semblable à tous les pays du monde, c’est-à-dire une duplication des films Lumière et ensuite des expériences similaires à celles de George Méliès, l’Allemagne donne naissance à son propre cinéma. Suite à la défaite de la Première Guerre mondiale, le cinéma allemand devient le reflet des angoisses de tout un peuple en créant le mouvement expressionniste. Parmi les chef-d’oeuvres de cette période, on compte Le Cabinet du docteur Caligari (Wiene, 1919), Nosferatu (Murnau, 1922) et bien sûr Metropolis (Lang, 1927).

Malheureusement, la prise du pouvoir politique par le Troisième Reich et Adolf Hitler met fin à l’expressionnisme allemand et éventuellement, au cinéma allemand dans son ensemble. Seuls les films approuvés par le parti Nazi sont produits et de ceux-là, très peu retiennent aujourd’hui notre attention à l’exception des réalisations de Leni Riefenstahl, en particulier Le Triomphe de la volonté (1935), considéré le plus grand film de propagande de l’histoire et Olympia (1936) un film d’art sur les jeux Olympiques de Berlin. L’Allemagne mettra bien longtemps à se remettre de cette deuxième défaite, mais une nouvelle génération de jeunes réalisateurs viendra prendre la relève à partir des années ’60. Parmi eux citons Rainer Werner Fassbinder (An American Soldier (1970)), Werner Herzog (Fitzcarraldo (1982)) et Wim Wenders (Les Ailes du désir (1988)).

Ces réalisateurs de l’Allemagne de l’Ouest sont largement responsables de la renaissance du cinéma allemand à l’échelle internationale. Avec la Réunification des deux Allemagne en 1990, la cinématographie se multiplie lentement et la fin du millénaire a vu naître de nouveaux talents allemands dont Tom Tykwer du groupe X Filme Creative Pool, réalisateur de Lola Rennt (Cours Lola cours,1998).

Partie 1: Une ouverture commune

L’intrigue du film Lola Rennt est d’une simplicité telle qu’elle se résume en une seule phrase : Lola (Franka Potente) a vingt minutes pour trouver 100 000 marks pour son copain Manni (Moritz Bleibtreu), qui doit cette somme à un escroc local, Ronnie. Le déroulement narratif du film présente trois versions différentes de cette course contre la montre suite à quelques scènes d’ouverture communes aux trois versions. Le premier plan du film offre une citation au spectateur : "Nach dem Spiel ist vor dem Spiel" ("Après la partie est avant la partie"). Il s’agit d’une phrase prononcée par S. Herberger, un coach de soccer très apprécié en Allemagne et qui renvoie sans doute à la structure unique du film à venir. La première image du film est celle d’une horloge à caractère expressionniste qui renvoie simultanément au cinéma allemand du passé mais aussi à l’idée que l’histoire continue, que le temps s’écoule, le leitmotiv principal de l’œuvre.

Mentionnons aussi que le prénom de Lola est une référence au personnage de Lola-Lola interprétée par la séduisante Marlene Dietrich dans le classique allemand Blaue Engel, Der (The Blue Angel (von Sternberg, 1930)). Lola Rennt présente ensuite une foule parmi laquelle on distingue quelques personnages qui auront un rôle à jouer dans l’histoire à venir.

Une caractéristique importante du film est ici soulignée, mais le spectateur américain moyen n’est pas en mesure de comprendre la référence. En effet, bien que les acteurs principaux de Lola Rennt soient relativement peu connus, les rôles secondaires sont interprétés par de véritables vedettes du cinéma et de la télévision de l’Allemagne moderne. Grâce à ce casting « renversé », le spectateur Allemand a continuellement l’impression que la caméra quittera Lola et Manni pour suivre l’un ou l’autre de ces personnages secondaires. Mentionnons que la femme aveugle qui aide Manni avec une carte téléphonique est en réalité la mère de ce dernier, Monika Bleibtreu. Quoi qu’il en soit, la scène d’ouverture se termine avec le gardien de la banque qui botte un ballon de soccer vers le ciel en regardant le spectateur.

La caméra suit le ballon dans son trajet vers le ciel et la foule se déplace de manière à former, à l’aide de manipulations numériques, le titre du film en gigantesques lettres humaines. Déjà, Tom Tykwer se permet de briser plusieurs lois du cinéma narratif classique. Les personnages regardent la caméra et sont visiblement conscients de faire partie de la narration du film, la caméra accomplit des prouesses techniques impossibles sans l’aide d’effets visuels et malgré tout, il s’agit d’une séquence sans véritable narration, seulement une mise en situation stylistique et thématique.

Le générique d’ouverture se compose de deux séquences. D’abord, il y a une version animée de Lola qui court et qui fracasse à coups de point les différents titres qui apparaissent à l’écran. La première image de Lola dans le film est donc une caricature, une animation dessinée. Les acteurs sont ensuite présentés à l’aide de photographies semblables à celles produites dans les photomatons. Ce générique réussit un exploit important puisqu’il transmet une information extradiégétique tout en conservant le dynamisme mis en route dans la scène précédente. Ce générique se termine à l’inverse de son ouverture avec une descente radicale de la caméra d’une vue d’ensemble de Berlin jusqu’au gros plan du téléphone dans la chambre de Lola. C’est à ce moment précis que débute la narration du film à proprement parler. Lola reçoit un appel de Manni qui, dans un état de panique, relate comment il a oublié le sac contenant les 100 000 marks qu’il doit remettre à Ronnie.

Lola explique à son tour qu’elle était en retard au rendez-vous parce qu’un voyou lui a piqué son vélomoteur. Affolé, Manni demande l’aide de Lola qui, après avoir rétabli le calme à l’aide de son cri d’angoisse, promet de trouver une issue. Un insert de la tortue de Lola permet d’identifier cette dernière au lièvre du fameux conte pour enfants. Ensuite, un croupier animé apparaît soudainement à l’écran et affirme en français : "Rien ne va plus". Cette expression utilisée dans les casinos pour souligner la fin des gages marque le début de la course de Lola et fait figure aussi le flash-forward dans la mesure où le croupier est un personnage qui apparaît lors de la troisième version de la course.

Lola réfléchit aux gens susceptibles de l’aider alors que le film nous présente ces personnages en flash rapides (dans certains cas, il s’agit de membres de l’équipe technique du film). Lola arrête son choix sur son père et part ainsi à sa rencontre. Malheureusement, nous savons déjà que le choix n’est pas le bon parce que le père de Lola, visible à l’écran, nous fait un signe négatif de la tête. Si seulement nous pouvions partager cette information avec elle…

Partie 2: Trois issues

Le cœur de Lola Rennt est la présentation de trois versions différentes de ce vingt minutes au cours desquels Lola croisera une série de personnages dans le but de se rendre à Manni avec 100 000 marks. Tom Tykwer n’est pas le premier à explorer cette technique au cinéma. En 1950, Akira Kurosawa, l’empereur du cinéma japonais, réalisa Rashomon dans lequel il présenta quatre différentes versions d’un même événement, chacune narrée par un témoin différent. Cette étude de la notion du point de vue au cinéma n’a toujours pas son égal. D’autres films ont aussi expérimenté cette notion dont Groundhog Day (Ramis, 1993) et He Said, She Said (Kwapis, Silver, 1991).

Sans faire la description exhaustive des trois versions que présente Lola Rennt, il est intéressant de s’arrêter à la relation qui existe entre elles. Suite au refus du père de Lola (on s’en doutait) de lui prêter les fonds nécessaires, celle-ci arrive trop tard au rendez-vous et Manni est en cours de hold-up du marché local. Lola discute avec Manni malgré la présence d’une vitrine qui les sépare, suggérant un lien unique entre ces deux personnages. Finalement, Lola lui prête main forte et les deux se sauvent avec l’argent. Arrêtés par la police quelques instants plus tard, Lola se fait tirer par un policier nerveux et le film nous ramène à une discussion post-coïtale entre Lola et Manni. Ici, nous sommes témoin d’une discussion typique d’un jeune couple pour ensuite revenir à Lola, mourante sur le pavé berlinois, qui refuse son sort.

La deuxième version, ainsi présentée, serait une fabrication de l’imagination de Lola au moment de sa propre mort. Dans cette version, Lola croise les mêmes personnages que précédemment mais avec quelques divergences. Suite au refus de son père, Lola décide de piquer l’argent à la banque où travaille ce dernier. Elle utilise donc le fusil du gardien et prend en otage son propre père. Un détail important nous permet d’affirmer qu’il s’agit d’une fabulation de la part du personnage principal : la gâchette de sécurité du fusil. En effet, lors du vol de marché à la fin de la première version, Lola apprend de Manni qu’il faut désengager la gâchette de sécurité d’un fusil si l’on veut tirer. Dans cette deuxième version, Lola le sait déjà, elle a donc retenu cette information de la première version.

Lola réussit à piquer l’argent dont elle a besoin et quitte la banque à la manière d’Indiana Jones dans Raiders Of The Lost Ark (Spielberg, 1981). C’est à dire que Tykwer montre cette dernière d’abord en gros plan qui regarde quelque chose avec étonnement (le AWE SHOT spielbergien) pour ensuite nous dévoiler la surprise. Quoi qu’il en soit, Lola rejoint Manni qui se fait aussitôt écraser par l’ambulance que Lola elle-même avait retardée un peu plus tôt. Il est donc possible de spéculer que Lola est responsable de la mort de Manni dans cette deuxième version.

De retour au lit avec Lola et Manni, la troisième version est présentée cette fois comme une fabulation de la part de Manni. Mais il s’agit en fait de Lola toujours qui s’imagine ce que Manni pourrait bien imaginer ; nous sommes dans une mise en abîme perpétuelle.

Finalement, la troisième version, la moins réaliste, permet à Manni d’accomplir sa mission, à Lola de gagner un 100 000 marks supplémentaires dans un casino et aux autres personnages de recevoir leurs dus. Même le jeune homme qui avait piqué le vélomoteur de Lola au tout début du film s’y retrouve puni alors qu’il s’écrase sur les voitures suite à l’accident qui a lieu dans toutes les versions, nonobstant quelques variations. Encore une fois, Lola apprend des deux versions précédentes puisqu’elle évite le chien dans l’escalier de son immeuble, mais plus étrange encore est la réaction du gardien lorsque cette dernière arrive enfin à la banque de son père. En voyant Lola, il lui dit : "Te voilà enfin chère". Cette phrase suggère que le gardien est aussi conscient que l’histoire se répète. D’ailleurs, la crise cardiaque dont souffre ce personnage dans la troisième version se prépare depuis le début du film et chaque version semble aggraver sa condition.

Le moment que Lola partage avec ce dernier dans l’ambulance semble confirmer que seuls ces deux personnages comprennent la répétition à laquelle ils sont soumis. C’est donc dire que la seule véritable version est la première, celle où Lola meurt. Les autres ne sont que spéculations de sa part. Dans cette version, Lola gagne 100 000 marks en jouant à la roulette dans un casino qui est décoré avec une peinture étrangement semblable à celle du film Vertigo (1958) d’Alfred Hitchcock. Tykwer souligne ici le deuxième leitmotiv du film, celui-ci technique, la spirale. En effet, ce motif visuel qui était au centre du film d’Hitchcock (pensons seulement au générique d’ouverture), est omniprésent dans Lola Rennt.

La caméra tourbillonne continuellement autour des personnages comme la bille dans le jeu de roulette, la narration du film revient sur elle-même à deux reprises et plusieurs spirales se retrouvent dans le film (dans le générique, le bar près d’où Manni téléphone se nomme La Spirale, etc.). "Après la partie est avant la partie…". Outre l’hommage à Hitchcock, la spirale renvoie aussi à l’histoire du cinéma allemand. Ce motif est en évidence dans Berlin : symphonie d’une grande ville (Ruttmann, 1927) et dans le classique de Fritz Lang M (1931).

Partie 3 : Le cinéma moderne : le vidéo-clip

Tout au long de son histoire, le cinéma a incorporé les nouvelles technologies pour les faire siennes. Le son, la couleur et l’image numérique ne sont que trois exemples de cette agglomération de technologies. Le cinéma moderne s’inspire librement des techniques du vidéo-clip et Lola Rennt est en ce sens une expérience technique remarquable. La plus grande partie du film est tournée en 35mm, le format traditionnel du cinéma de fiction ; mais lorsque la narration du film porte sur un personnage secondaire, le père de Lola où le mendiant par exemple, ceux-ci ont été tournés en format vidéo. La différence de qualité dans la richesse des couleurs et des contrastes est immédiatement repérable lors du visionnement du film. Les flash-backs sont présentés en noir et blanc et plusieurs autres séquences sont présentées à l’aide d’animation traditionnelle.

La photographie est aussi de la partie dans le cas des flash-forward présentés lorsque Lola croise le cycliste, la mère avec le carrosse ou la femme de la photocopieuse. Les cartes postales viennent souligner l’imagination de Manni lorsque celui-ci stipule sur les actions du mendiant avec son argent. La fameuse technique télévisuelle de l’écran divisée en portions distinctes, récupérée au cinéma par Brian De Palma dans le film Carrie (1976), fait aussi un retour dans le film de Tykwer. Le film utilise aussi des techniques qui s’inspirent de la nouvelle vague hongkongaise telles que l’accélération et le ralenti lors du flash-back de Manni où encore les fausses coupes de Lola qui réfléchit aux gens susceptibles de lui venir en aide au début du film. Le film se termine avec un générique qui défile de haut en bas, contrairement à la tradition, et qui n’est pas sans rappeler celui de Se7en (Fincher, 1995)

Finalement, le cinéma moderne est inséparable de sa trame musicale et Lola Rennt en fait une utilisation fort originale mais encore une fois, cet aspect risque d’échapper à un public qui ne parle pas l’Allemand. Franka Potente, l’actrice principale du film, chante dans plusieurs des pièces musicales du film mais ses paroles ne sont pas uniquement mélodiques. Il s’agit des pensées internes de Lola lorsque cette dernière court. Il s’agit du monologue interne de Lola, une série de pensées sans narration précise comme "Est-ce que j’ai verrouillée la porte de ma chambre ? J’ai faim…". La compréhension de ces phrases est un ajout important à la pleine appréciation du film. D’autres moments musicaux jouent à l’inverse de ces séquences et ponctuent le moment d’ironie, c’est le cas de la chanson What A Difference A Day Makes de Dinah Washington qui se fait entendre à la fin de la première version, suite au vol de supermarché. La première pièce du film débute avec le bruitage d’un chronomètre, soulignant dès le début le leitmotiv des horloges omniprésentes dans le film et la course contre la montre que représente le film en tant que tel.

Conclusion

Le cinéma Allemand se porte bien, c’est le moins que l’on puisse dire. Avec un minuscule budget de moins de 200 000 marks, Tom Tykwer a réussi à charmer la critique internationale et les cinéphiles du monde entier. Espérons que la tendance se poursuive et que la démocratisation de la production cinématographique à l’aide des technologies numériques et d’Internet nous fasse découvrir d’autres talents et d’autres voix originales. Les bonnes idées sont toujours les bienvenues.

Titre original : Lola rennt

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