De Bacall, il n’y a pas grand-chose à apprendre ici. Tout est déjà circonscrit dans les nombreuses biographies de la star, notamment les deux de sa main : Lauren Bacall : By Myself (1978) et Now (1994). Il est évidemment plaisant de se replonger dans les anecdotes de tournage : ses débuts, la rencontre avec Bogart, la jalousie de Hawks… Il en faut peu pour flatter nos mauvais penchants de commère du septième art. Mais l’intérêt est ailleurs, dans la description de l’actrice octogénaire dans son quotidien : de son appartement suranné à son kiné, de ses souvenirs à la promenade de son chien… C’est dans ces moments-là que Frank Bertrand est le meilleur, quand l’imagination prend le pas sur la transcription, la fiction sur la réalité romancée, n’hésitant pas parfois à égratigner un peu le mythe, mais amoureusement toujours. Lauren Bacall et moi est le plus savoureux lorsque le « et moi » prend le dessus, quand on découvre l’actrice par les yeux de son intervieweur.
Malheureusement, le portrait fait de celle qu’on appelait "The Look" tombe dans un piège un peu trop évident. La Bacall de Bertrand souffre du symbole « femme de ». L’ombre de Humphrey Bogart envahit le roman et pèse dans les mots tant de l’actrice que de l’intervieweur et Bertrand va parfois chercher le détail de paparazzi guère intéressant. Que potentiellement aujourd’hui encore la « vraie » Lauren Bacall vive dans le souvenir de son premier mari est tout à fait possible. Mais cela n’aurait d’intérêt dans un roman que si le personnage était exploité dans ce sens-là : la femme prisonnière de son passé. Or ici, vu la brièveté de l’ouvrage, on se limite à une biographie illustrée assez superficielle, de l’ordre de l’article – justement celui que va écrire le personnage de Herb Stone -, pas du roman. Là où un Alan Bennett, par exemple, se joue du biographique en réinventant complètement la reine d’Angleterre en lectrice avide dans le redoutable La Reine des lectrices, Frank Bertrand colle trop à une biographie succincte et cliché de l’histoire du cinéma. La lecture est plaisante, mais quand on a entre les doigts Le Port de l’angoisse (Howard Hawks, 1944), La Toile d’araignée (Vincente Minnelli, 1955) ou Écrit sur le vent (Douglas Sirk, 1956), c’est forcément décevant. Le livre refermé, reste l’envie, hautement recommandable, de se replonger dans les films de l’actrice.
Frank Bertrand, Lauren Bacall et moi, Paris, Éditions L’Écarlate, 2013, 74 pages.