Benjamin Button n’échappe pas non plus à cette donne. Alors que l’affiche promettait une comédie romantique avec Brad Pitt, saupoudrée juste de ce qu’il faut de fantastique pour attirer le public masculin, le film fait tout son possible pour aller à rebours. Tout comme son héros nait vieux pour mourir jeune, Fincher va à l’envers d’un scénario qui enjolive beaucoup d’éléments sans se soucier du qu’en dira-t-on : nulle trace de racisme dans la Nouvelle Orléans des années 30, des personnages toujours polis et prêts à faire le bien autour d’eux – ou, tout du moins, disposés à être des-gens-bien-au-fond même lorsqu’ils ont fait du mal (la réconciliation avec le père). Ce qui peut avoir le don d’énerver. La longueur (2h40) rébarbative, dilue également très vite le charme du film. Tout comme la structure, décalque de celle de Forrest Gump (que l’on doit au même scénariste), parasite le sujet de la nouvelle de Fitzgerald.
Chape mélancolique
Lumière feutrée, scope élégant, couple glamour, tout dans cette Etrange histoire crie l’envie de retourner à la source : l’ampleur des grands films de studios d’avant la révolution culturelle des années 70. Ce n’est pas un hasard si le temps de l’action débute dans les années 20. Mais dès lors qu’il s’agit de traiter l’amour frontalement, le film se fige et se dégonfle. Fincher semble lui-même embarrassé, filmant la petite vie du couple au coin d’un feu de cheminée ou sur un matelas (parce que quand on s’aime, on n’a besoin de rien pour être heureux, bien sûr). Autant d’images d’épinal tout droit sorties d’un téléfilm de l’après-midi sur M6.
Voir le couple se former après des décennies d’amour impossible est quelque part une aberration (la séquence la plus romantique est au contraire celle d’une séduction avortée). Et Fincher n’a besoin que de quelques coups de tonnerre pour faire comprendre que son sujet est ailleurs. Si le mélodrame est une succession de scènes de bonheur et de détresse, Benjamin Button ne déroge pas à la règle. La fantaisie de l’histoire, les coups de foudre à répétition d’un personnage lui donnent à première vue un aspect léger. Pourtant, le film est maintenu par une chape mélancolique, un défaitisme certain (il suffit de voir Pitt et Blanchett s’admirer dans un miroir, comme s’ils tentaient de figer une image idéale d’eux-même avant de prendre conscience que ce moment ne peut être retenu – il a déjà disparu).
Un romantisme fataliste
Au début du film, une horloge déroule le temps à l’envers dans l’espoir de voir revenir à la vie les "fils perdus à la guerre". Mais la vie ne revient jamais. Que le temps aille dans un sens où l’autre, la mort en constitue l’alpha et l’omega, celle qui a le premier et le dernier mot. La naissance du héros correspond à la mort de sa mère, immédiatement suivie d’une tentative de noyade. Ses premiers pas ont pour conséquence la mort d’un pasteur. Et le film s’ouvre sur une femme mourrant d’un cancer sur un lit d’hôpital.
"Je suis curieuse de savoir ce qui arrivera après" se demande Cate Blanchett dès la première scène. La première impression donne une touche d’espoir : si elle se demande ce qu’il y a "après", c’est qu’elle croit en une vie après la mort et peut donc mourir en paix. Mais il ne faut pas minimiser le rôle que joue l’ouragan Katrina, tonnant derrière les vitres de sa chambre d’hôpital. Ce qui arrive après, c’est un peu plus de destruction. Un deuil perpétuel. Le romantisme est fataliste.