Les ZAZ

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Dans les années 80, un trio, les ZAZ, règne sans conteste sur le domaine de l’humour potache et de la parodie

Composé de Jim Abrahams, Jerry et David Zucker, l’origine du trio remonte à l’enfance de ceux-ci. Grandissant tout les trois à Shorewood dans le Wisconsin, ils vont étudier dans les mêmes écoles et se retrouver à l’Université du Wisconsin. C’est là qu’il formeront le groupe théâtral du « Kentucky Fried Theater ». Le groupe connaît un bon succès et les contacts aidant réussit à trouver un financement indépendant (le projet ayant été refusé par tous les studios) grâce a un « promo real » produit de leur poche afin de monter un film basé sur plusieurs de leurs sketches.

Réalisé par le débutant John Landis, le Kentucky Fried Movie (traduit Hamburger Film Sandwich chez nous) exploitera toute la culture visuelle (ciné, télé, bd…) du trio pour exploiter le moindre gag et tourner au ridicule, voire même à l’absurde tout film, émission, série, pub qui a pu croiser un jour leur regard. Film à sketches construit à la manière d’un zapping pendant une soirée télé, KFM surprend encore aujourd’hui par son inventivité et son avant gardisme en matière d’humour cinématographique en particulier et visuel en général. On y trouvera au choix: des fausses BA « grindhouse » 30 ans avant Tarantino et Rodriguez (Catholic Schoolgirls in Trouble, Cleopatra Schwartz,…) une parodie de Kung Fu HK, des flashs d’infos absurdes, des fausses pubs délirantes, des talks shows qui partent en vrille etc… Et bien évidement Landis placera son film running gag « See you next Wednesday ». Un film fondamental dans la création d’un « humour ZAZ » et qui fera de nombreux émules, surtout en France ou la carrière de nombreux comiques ne serait pas la même ou n’aurait carrément pas existé tant l’humour des Nuls, Inconnus, Kad et Olivier et autres Robins des Bois est tributaire de l’influence des ZAZ.

Parodie? Humour potache? Gags visuels? Débordements absurdes? Le KFM renvoie aussi à une influence fondamentale des ZAZ et institution de l’humour US: le magazine MAD. A tel point que l’on pourrait envisager le KFM comme l’adaptation officieuse du célèbre magazine tant les deux se retrouvent sur la forme et le fond. Le magazine parodiant les derniers succès du cinéma, revoyant l’actualité façon « non-sens » et jouant sur le concept de gag visuel. L’autre force de l’humour des ZAZ et aussi leur non-respect des règles élémentaires du cinéma dont plus particulièrement le fameux « quatrième mur », paroi invisible qui sert de fenêtre sur le film pour le spectateur. Inutile de dire qu’avec de tels iconoclastes aux commandes ce « quatrième mur » va voler en éclats! Un exemple d’une simplicité désarmante mais à l’efficacité maximale: les collègues de Leslie Nielsen passent une porte dans un décor pour accéder à une autre pièce, lui, passe devant le décor! Associé à cette démarche on trouve aussi la même construction en « mille feuilles » des gags, généralement un gag ayant un rapport direct avec l’histoire, un jeu de mot dans le dialogue et la plupart du temps un gag visuel en arrière plan. Une approche qui côtoie aussi celle dite du gag « 1er degré » où là on illustre simplement: Ted Striker de dire « ça va chier dans le ventilo! » que le plan suivant montre un étron propulsé dans un ventilateur…

 

 

Aprés le KFM et son succès, le trio passe à la vitesse supérieure décidant cette fois de s’attaquer à un film « véritable » avec Y a-t-il un pilote dans l’avion: fini les sketches sans liens directs, cette fois on suivra une histoire du début à la fin. Le film catastrophe ayant trusté les sommets du box office pendant une bonne partie des 70’s, le trio décide de passer le genre à la moulinette de leur humour ravageur. Et preuve de leur grande cinéphilie décident de « s’inspirer » d’un vieux film de 1957: Zero Hour, où un vétéran de l’Air Force prennait les commandes d’un avion de ligne aprés l’intoxication de l’équipage. Les films catastrophes 70’s et leurs stars aux tempes déjà grisonnantes donneront aussi l’orientation du casting. Le trio ira chercher l’essentiel de son cast parmi les « vieux de la vieille » habitués aux rôles de figures autoritaires ou paternalistes. Le décalage en résultant ne sera que plus efficace: c’est un vrai bonheur de voir des Peter Graves, Lloyd Bridges ou Robert Stack débiter avec le plus grand sérieux des horreurs, des dialogues sans queue ni tête ou des répliques ravageuses dans un imperturbable 1er degré. Un acteur tirera particulièrement profit de cette incursion dans l’humour: le canadien Leslie Nielsen dans le role du Dr. Rumak, à tel point que le trio lui confiera le role principal de leur projet suivant: une parodie des séries policières « à la Quinn Martin » (Les Rues de San Francisco, etc…).

 

 

Débutée en 1982 et ne totalisant que 6 épisodes, du à l’annulation arbitraire de la chaîne ABC, Police Squad prend la formule ZAZ et la perfectionne: les 30 minutes de chaque épisodes étant aussi bourrées qu’un oeuf des désormais figures de styles habituelles du trio. Adaptant leurs gags au médium télévisé, les ZAZ parsèment la série de débordements absurdes éclatant la nature même du médium tout en exploitant ses figures imposées, à l’exemple des génériques de fin des épisodes qui se terminent sur un « freeze frame » ou défilent les crédits, sauf qu’ici la caméra tourne et que ce sont les acteurs qui se figent dans l’action entraînant le plus souvent catastrophes en séries (café débordant d’une tasse, suspect arrêté qui s’évade, mégot mal éteint qui met le feu à toute une salle, etc…). Cet humour jouant la carte du dynamitage du support rejoint aussi les expérimentations humoristiques du roi du cartoon: Tex Avery, là aussi les personnages brisaient le quatrième mur avec une facilité et un talent déconcertant.

 

 

Passé l’expérience avortée de la télé le trio infernal porte cette fois son intention sur le film d’espionnage, en résultera Top Secret! que beaucoup considèrent comme le joyau oublié de la filmo des ZAZ. Il est vrai que celui-ci est un peu coincé entre Airplane! et la trilogie Naked Gun, mais ça serait une grave erreur que de passer à côté tant cet opus maîtrise encore plus que les précédents les références, parodies et déconstructions cinématographiques. Pièces choisies: Un téléphone sonne au 1er plan dans une perspective forcée très hitchcockienne: quelqu’un s’approche pour décrocher et réaliser que le téléphone est gigantesque! Peter Cushing apparaît le temps d’une scène dans une pose « signature » de ses films à la Hammer: l’oeil déformé par une loupe qu’il utilise. Il baisse la loupe pour découvrir que son oeil est naturellement surdimensionné! Quelques exemples dans un océan de gags…

 

 

Dernière grande étape de la carrière des ZAZ la trilogie Naked Gun, marque le couronnement et en même temps le début d’une pente descendante pour le trio. Malgré la diffusion sacrifiée des 6 épisodes de Police Squad, le personnage du Lt Frank Drebin est resté dans l’esprit des ZAZ. C’est en 1988 qu’ils vont ressusciter la série au cinéma faisant de Nielsen une star de la comédie, bien qu’en ayant légèrement modifié le caractère de Drebin. Du flic toujours droit dans ses chaussures mais qui a une vague idée qu’il se passe quelque chose autour de lui, Drebin passe plus du côté de l’inspecteur gaffeur malgré lui, mais restant bien entendu vaguement au courant de ce qui se passe dans son entourage direct. La trilogie continue son exploitation de la cinéphilie de ses auteurs et des connaissances de son public: Drebin refaisant la scène de la confrontation entre Dirty Harry et le maire de San Francisco:  » Moi quand je vois trois types en toges entrain de poignarder un autre dans un parc, je tire! C’est ça ma politique! » « C’était une troupe de théâtre qui jouait Jules César! » Le gyrophare du générique dans sa course folle survole l’Etoile Noire de Star Wars… Le premier rendez vous entre Drebin et Jane Spencer (Priscilla Presley) devient un montage de bonheur sur fond de rock californien (où on sort de Platoon plié en deux de rire…) et la séquence de se terminer sur la fin du rendez vous avec un carton indiquant les crédits de la chanson « … « extrait de la BO du film » etc… Un fauteuil roulant incontrôlable passe par la fenêtre, puis devant la pleine lune comme le plan signature de ET. La bombe installée par le méchant du deuxième film et celle que Auric Goldfinger place à Fort Knox…

 

 

Avec la fin de cette trilogie, dont le dernier volet ne sera pas réalisé par le trio mais par Pat Proft: un compère, la formule ZAZ va faire des émules, on pense notament au dyptique Hot Shots! où l’on parodiait successivement Top Gun et Rambo. Mais avec le temps les copies vont se révéler de moins en moins séduisantes que les originaux. La faute à des films qui vont de plus en plus ne s’axer que sur la parodie, souvent balourde et sans imagination, des derniers succès du cinéma. La figure emblématique de ce mouvement restant la tristement connue série des « quelque chose » Movie initiée par les frères Wayans. Ironie ultime c’est à Jerry Zucker que l’on confiera la réalisation des 3ème et 4ème volet des Scary Movie et que Leslie Nielsen viendra y faire sa petite apparition. Ayant engendré une descendance dégénérée (Scary movie et compagnie…), Jerry Zucker trouva le succès avec une guimauve fantastique (Ghost) et un conte arthurien pour ménagères (Richard Gere en Lancelot…) et David condamné à se vendre sur des films qui n’ont plus rien à voir avec les modèles indétronables qu’ils avaient créés. Comparé à la nouvelle vague d’humoristes ciné ou télé US, entre l’humour ciselé mais conformiste d’un Apatow et le pseudo réalisme gonzo d’un Borat, l’humour typique des ZAZ semble avoir pris un coup de vieux ces dernières années mais ce n’est qu’une illusion. Il suffit de revoir l’un des films de cette période bénie pour toujours éclater de rire bien que l’on connaisse tout les gags par cœur et de s’exclamer entre deux crises: « Ah les cons!  »

In memoriam: Leslie Nielsen (1926-2010)

Jim Abrahams, Jerry Zucker, David Zucker, on set, 1986


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