Les Terrasses

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Les terrasses d’Alger, dominant une mer toujours recommencée, cachent hélas des drames humains peu reluisants.

Connu pour des documentaires, mais surtout pour des films plus légers comme Chouchou (2002) et Bab El Web (2004), Merzak Allouache, porté malheureusement par l’air du temps qui n’incite pas à la gaudriole, revient vers un cinéma plus grave. Après une série de trois films ayant plus ou moins trait au printemps arabe et à la politique du Maghreb – Harragas (2010), Normal ! (2012) et Le repenti (2013) – Merzak Allouache livre avec Les Terrasses une autre réflexion sur son pays d’origine, l’Algérie, que l’on croit bien calme mais qui couve un feu intense menaçant à tout moment d’exploser. 

Avec ce dernier film, on constate que la vie à Alger est devenue beaucoup plus difficile, voire impossible, qu’il y a quarante ans lorsque Merzak Allouache filmait alors son premier long métrage, Omar Gatlato qui, en 1977, l’a révélé au monde avec cette comédie sur une bande de copains qui s’ennuyaient et rêvaient dans une Alger encore pleine d’espoir. Aujourd’hui, Alger est présentée comme une ville morose qui a tourné le dos à son avenir et à son espoir. Que s’est-il passé pour que le monde soit devenu si triste et si moche, si violent et désespéré ? Qui saura redonner de l’espoir aux citoyens du monde ? Comment continuer à avoir le cœur empli d’espoir quand on voit que tout est si difficile, si dépourvu de bonté et d’empathie ? Se servant du décor splendide des terrasses algéroises, certes délabrées mais si poétiques, pour en faire finalement une métaphore de la déliquescence de la société algérienne, Merzak Allouache se penche non seulement sur l’urbanisme, mais surtout sur le désespoir qui mine toute une société, ainsi que sur la corruption et le cynisme de certains citoyens. 
 

 

Le portrait n’est pas reluisant et il installe sur ces terrasses qui dominent une mer magnifique tous les déclassés de la ville qui les squattent illégalement et, parfois, dangereusement. Devant la beauté des images, on pense certes au cimetière marin de Paul Valéry à Sète. Cependant sur ces toits majestueux ne marchent plus des colombes, mais des personnes en grand désarroi social. Le suicide d’une des voisines en est comme l’acmé qui glace le sang, d’autant que, comme à l’opéra, sa mort est présentée dans un cadre oriental fait de tapis et de couleurs méditerranéennes comme pour en accentuer l’aspect inéluctable et, finalement, fortuit. Société d’enfermement et de cloisonnements, la société algérienne attend l’apocalypse ou un renouveau. « J’ai un regard sur l’Algérie qui est peut-être particulier, déclare le réalisateur dans le dossier de presse, car je ne vis pas en Algérie. J’ai l’impression que si on ne vit pas dans un pays et qu’on y retourne souvent, il est possible d’y voir des choses que les gens de là-bas ne voient pas, ne regardent pas. »

Symbole du monde qui va de plus en plus mal, la ville d’Alger étale à nos regards à la fois sa douleur, ses déchirements, ses magouilles, mais aussi ses joies quelquefois entravées comme ce mariage qui se prépare sur une terrasse. Les terrasses, ainsi que dans le film du (presque) même nom d’Ettore Scola (La Terrasse, 1980), deviennent comme le théâtre de drames sociaux faits de meurtres, de suicides, de rivalités et de prises de pouvoir, alors que les jeunes ne voudraient se consacrer qu’à la musique et qu’on les en empêche. Malgré des travers de mise en scène et des partis pris narratifs trop appuyés qui rendent parfois le film un peu lourd, Merzak Allouache réussit ici à nous inquiéter, une fois de plus, mais sera-ce suffisant pour provoquer un changement radical, et pas seulement en Algérie, pour que les gens finissent par se comprendre et par s’aimer ?

Titre original : Es Stouh

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Durée : 91 mn


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