Il a fallu attendre la seconde moitié du 20ème siècle pour qu’on s’intéresse enfin réellement au développement de l’enfant. La présence de l’enfance à l’écran suivra naturellement cette tendance. Mais on peut aussi penser que cette nouvelle tendance a joué un rôle non négligeable dans l’intérêt suscité ensuite autour de l’enfance.
En général, ceux qui écrivent des histoires sur l’enfance savent bien à quoi ils vont donner de l’écho. On peut écrire une histoire sur l’enfance pour renvoyer la balle vers sa propre enfance, ou celle des autres. On peut écrire pour s’interroger sur la distance qui existe entre le monde des enfants et celui des adultes et regarder la place que la société est disposée à lui accorder. On écrit par nostalgie ou pour essayer de comprendre, saisir quelques miettes de notre passé, ou pour s’en défaire aussi, tenter de clore un chapitre, jusqu’à fermer définitivement les yeux sur une époque qu’on a jugée désastreuse pour soi.
Tout en suivant l’œil de la caméra au fil des séquences, nous tenteront de comprendre la volonté des cinéastes à filmer ce thème difficile : l’enfance. Nous nous intéresserons tout particulièrement à sa représentation dans ce lieu à visages multiples, adopté par beaucoup de réalisateurs, l’école. Cet endroit qui reste pour quelques-uns une anecdote mais pour d’autres un passage difficile. Tout d’abord, nous remarquerons que l’enfant est souvent soumis à la cruauté et aux injustices de l’école, mais nous observerons aussi qu’il se crée des relations fortes entre l’élève et l’instituteur, qui peuvent s’avérer douloureuses ou au contraire révéler une singularité au sein de la société. Puis nous finirons par l’étude de l’impact que l’école peut avoir sur l’enfance : éveiller la personnalité des élèves au lieu de les enfermer dans une rigueur et leur parler avec le cœur au lieu de les assommer avec du par cœur.
Dans Zéro de conduite de 1932, Jean Vigo s’inspire de ses souvenirs personnels pour éveiller notre regard sur deux univers distincts. Tout au long du film, le monde des adultes et celui de l’enfance se croisent, mais ne se comprennent pas. Le film s’attache à donner une image éminemment étouffante du milieu scolaire et de la vie quotidienne en internat, vie d’autant plus stricte que les nombreux interdits limitent l’espace de liberté des élèves à chaque moment du jour et de la nuit. Pour transmettre cette absence de liberté, Jean Vigo a choisi de filmer en plans serrés ou dans des espaces clos comme pour la scène d’ouverture dans le train, ou plus tard, dans le dortoir, la salle de classe, le réfectoire, et la cour de récréation. Cependant, ce film fut interdit de projection pendant douze ans, jusqu’en 1945.
Après les quinze premières minutes, dans la 2ème partie intitulée « Complot d’enfants », les enfants, qui s’amusaient dans la cour de récréation, rentrent dans la salle de classe, sous la surveillance du pion. Ce personnage tout à fait séduisant par sa manière de ne pas réprimander les bêtises des enfants, se prend au jeu et fait une démonstration de marche sur les mains sous les applaudissements des enfants. Le surveillant général qui espionnait la salle de classe par la fenêtre, entre et c’est l’évènement déclencheur du mouvement panoramique de la caméra vers la droite pour nous dévoiler ce capharnaüm qui n’était pas perceptible au début, puisque le pion semblait trop occupé à ses démonstrations. Mais sans que le spectateur ait le temps de comprendre ce qui se passe, on observe rapidement le désordre et la liberté qui a été donnée aux enfants ; le temps réel a volontairement été accéléré. La caméra, elle, placée dans un coin de la pièce nous expose la scène. Le cadre est surprenant, on observe un enfant qui fume, deux qui se bagarrent, trois qui essayent de faire une pyramide, d’autres sont assis sur les fenêtres ou sur les étagères, des livres sont éparpillés. On remarquera la présence, à l’extrémité droite du cadre, des trois enfants qui continuent à préparer leur conspiration. Cadre sur la porte, l’instituteur entre dans le champ de la caméra et nous suggère que la fin de la récréation a sonné. La caméra se retourne sur le pion qui ne dit rien mais en laissant ses bras retombés sur ses hanches, nous fait comprendre que la situation lui a échappé, ceci soulignant à nouveau sa naïveté et sa rêverie. Il prend son veston, la caméra suit son déplacement d’un mouvement panoramique, il déchire la carte des trois enfants et se retire de la classe par le même mouvement caméra, suivi du surveillant général. Les enfants sous l’ordre du maître, « À vos places ! », se rendent tête basse à leur bureau. Le plan sur le visage du maître nous intimide et nous nous retrouvons à nouveau dans ce lieu froid et carcéral.
Dans cette séquence, on remarque plusieurs éléments insolites et troublant les attentes du spectateur. Filmé en plongée, le ballon disparaît comme par magie, mais aussi le croquis prend vie au regard du surveillant générale, tout ceci nous étonne et nous amène à réfléchir sur la distinction entre le visible et l’invisible mais aussi le monde des adultes et leur conception du réel contrastant avec le monde des enfants et les incursions multiples dans l’imaginaire. Le monde de l’enfance s’est aussi le jeu, le rêve. Le complot illustre parfaitement cette envie d’aller à l’encontre des règles. Le cadre sur la salle de classe assiégée nous amène à prendre conscience que les enfants voient les choses d’une manière différente. D’ailleurs, en tant que spectateurs, nous pouvons nous interroger sur le côté surréaliste de ce cadre, peut être que Vigo projette dans cette séquence ses envies de petit garçon qu’il était à l’époque, désirant s’investir dans la révolution contre le monde des adultes. Dans son projet cinématographique, Vigo fait fusionner l’imaginaire surréaliste qui pervertit constamment le sérieux de l’intrigue avec la réalité austère d’un internat scolaire.
Si l’école est un lieu incontournable pour de nombreux cinéastes souhaitant réaliser un film d’inspiration autobiographique, certains ont pris le parti d’interroger plus particulièrement les relations se liant entre le professeur et son élève. La figure du maître, telle que Bresson nous la présente dans Mouchette, reste cependant très autoritaire, injuste et très en retrait de la vie de leurs élèves. Cependant on pourra nuancer ce propos, en observant la volonté de François Truffaut dans l’Enfant Sauvage de développer une relation expérimentale mais aussi sentimentale entre le professeur Itar et son jeune élève Victor.
Dans le film de Bresson Mouchette de 1967, réalisé en noir et blanc, parti pris esthétique du réalisateur, les séquences sont courtes mais nous apportent beaucoup d’informations sur le déroulement des épreuves que Mouchette va devoir affronter au cours de sa vie. Dans la deuxième séquence, l’entrée de Mouchette dans la classe est annoncée, en son off, par le résonnement de ses sabots sur le sol. Assise au premier plan de la caméra, le port de la blouse noire la différencie et l’isole de ses camarades qui sont vêtues de blanc. Le mouvement de caméra champ contre champ tel un combat de boxe, traduit une volonté de rupture et de conflit entre l’enfant et l’adulte. Le regard que la maîtresse porte à Mouchette semble emprunt de violence et de haine par un jugement physique. Après une ellipse, on retrouve cette terreur au cours de la leçon de chant avec un plan fixe sur Mouchette, au cœur du chœur, qui ne chante pas tandis que ses camarades suivent les instructions. Contraste volontaire entre un groupe qui obéit aux ordres de l’adulte tandis qu’une seule se démarque en s’abstenant. La réaction de la maîtresse est immédiate et violente. La caméra fixée sur le visage de Mouchette dont la tête est cramponnée fermement par la main autoritaire, traduit un sentiment d’inquiétude et de désespoir. La fausse note qui suit nous amène à la conclusion terrifiante : cette enfant est le souffre douleur de sa maîtresse. La mise en scène est posée, peu de mouvements de caméra, économie des dialogues, tout est là, il n’y a rien à ajouter, à travers une sensibilité picturale et une dureté par rapport à la direction des acteurs, Bresson nous ouvre les yeux sur la difficulté qu’un enfant peut éprouver en étant victime de la violence du monde.
Alors que les souvenirs de F. Truffaut au sujet de l’enseignement scolaire sont plutôt ceux d’un enfant blessé et traumatisé, il choisit d’incarner le rôle du professeur Itar dans L’enfant sauvage de 1970.
Nous nous intéresserons particulièrement à une séquence clé située à 1 h 15 min du début du film. La séquence précédente était très rythmée : par la musique de Vivaldi, le montage des plans et leur répétition, les cadrages assez serrés sur les deux personnages ou sur les objets. Cette séquence avait pour but de nous montrer les jeux d’apprentissage mis en place par le professeur Itar. Le passage de la séquence précédente à la séquence retenue, qui est un plan-séquence, s’effectue par un raccord son où, en voix hors champ, Itard s’interroge sur la possession ou non par Victor du sentiment intérieur de la justice. Tel est l’enjeu de la scène : en chercher une preuve, en faisant une expérience, annoncée par cette transition. Le professeur Itar est tout d’abord suivi dans son déplacement par un panoramique qui au passage nous montre Victor, à la fenêtre, regardant à l’extérieur. Itard et Victor sont réunis dans le champ de la caméra, au centre de la pièce. Itard écrit, sa voix intérieure annonce qu’il va mettre le cœur de Victor à l’épreuve d’une injustice flagrante. L’expérience est mise en œuvre. La caméra a effectué un léger travelling arrière et Itard se retrouve au premier plan, cadré à la taille, de profil. Itard appelle Victor qui le rejoint au premier plan, sans que la caméra ne bouge. D’un geste familier de la main, il lui donne les consignes de l’exercice, devenu habituel pour lui. Itard est seul dans le cadre, il attend, en temps réel, caméra immobile, le retour de Victor que nous entendons marcher sur le plancher, hors champ. Victor revient dans le champ avec le livre et la clef, un sourire confiant aux lèvres. Itard joue la colère, jette rageusement les deux objets par terre, empoigne l’enfant assez violemment par les épaules, le secoue. On observe par un corps à corps assez violent les deux personnages qui se dirigent vers le placard, symbole de punition, jusqu’au moment où Victor mord le professeur Itar. Alors l’exercice est terminé : le ton de la voix change, la musique de Vivaldi reprend doucement, les deux êtres s’étreignent, en plan taille, dans l’encadrement de la porte.
Il est évident que cette révolte est suscitée par un pédagogue bienveillant qui entend restituer à Victor la plus noble des attributions de l’homme, le sentiment du juste et de l’injuste. Ainsi l’attention et le travail du professeur Itar permettent à Victor de passer du statut de l’homme sauvage à celui de l’homme moral. Désormais, il s’agit de s’interroger sur les capacités de l’enseignant à travailler non plus avec un seul élève mais avec un groupe hétérogène d’individus par le biais d’une pédagogie nouvelle. On s’attache ainsi à la présentation d’un film de Nicolas Philibert Etre et avoir de 2002 qui a filmé durant dix semaines la vie quotidienne d’une classe unique au cœur de l’Auvergne.
A Saint-Étienne-sur-Usson, dans le Puy-de-Dôme, il y a suffisamment d’enfants pour que l’école ne soit pas fermée mais pas assez pour plusieurs classes. C’est donc l’instituteur, Monsieur Lopez, qui est responsable de la classe unique dans laquelle les treize enfants sont réunis en trois groupes distincts, les " tout-petits ", les " petits " et les " grands ". Nicolas Philibert a choisi de venir là en plein hiver. Le film débute par de superbes plans de forêts et de routes enneigées puis le petit visage penché d’une de ses écolières sur la vitre du car de ramassage scolaire. Le décor ainsi planté isole encore plus l’école où nous allons pénétrer.
La fraîcheur d’Être et avoir vient sans doute de l’objectivité de la caméra. Elle n’est qu’un témoin neutre. Nicolas Philibert précise qu’il n’a cherché ni à dénoncer, ni à tomber dans le sentimentalisme. Son but était de : « Faire naître une émotion, de susciter l’imaginaire.». Selon lui « filmer un enfant qui regarde les mouches voler est plus intéressant que de filmer des situations pédagogiques.». Des images de campagnes, des plans du paysage ou des déplacements des élèves, une caméra sur les sujets plutôt que sur l’interlocuteur, optant la plupart du temps pour des plans fixes, et des plans prenant le maître à mi-cuisse, nous permettant d’apprécier les réactions instantanées des enfants. Après les six premières minutes du film, la caméra nous plonge dans l’univers de la classe. Les plus belles scènes du film sont en effet celles qui filment l’effort plus que la réussite. Le premier plan nous présente trois enfants, assis autour d’une table, ils sont filmés de profil, tenant un feutre à la main. On sait que l’instituteur est présent par le son de sa voix mais il est hors champ. La caméra fait un gros plan sur sa main guidant celle d’un enfant, l’exercice est là, devant nos yeux : reproduire, grâce au modèle, le mot maman sur une feuille blanche. La petite main est suivie par la caméra pour nous faire découvrir le visage de Jojo, puis la caméra pivote sur la gauche pour fermer le cercle en nous présentant le visage de chacun des six enfants assis autour de la table. Ce n’est qu’ensuite par un travelling arrière, que l’on peut mettre un visage sur celui qui est appelé, à plusieurs reprises, « monsieur ». A genoux, pour être à leur hauteur, Monsieur Lopez nous apparaît ainsi très proche des enfants. Puis une question de Jojo survient et le maître y répond par une question adressée aux autres enfants, toutefois la caméra reste en plan fixe. Jojo est la figure privilégiée du film. L’effort et la joie se lisent sur son visage. On lui pardonnerait volontiers de ne pas avoir fini son dessin pour aller courir dehors. On esquisse également un sourire lorsqu’il montre ses mains sales et qu’il répond naturellement à la question du maître : "le pouce, l’index, le majeur, l’annulaire et l’auri…zontal." Après une ellipse, la caméra de profil nous présente un nouvel élève, à côté duquel est assis le maître. Celui-ci tente de lire une histoire mais s’arrête car trop intéressé par ce que font les autres dans la classe. Lorsque le maître le reprend, on note le regard caméra de l’enfant souriant, avant qu’il ne reprenne sa lecture. Si le réalisateur ne veut pas transformer la réalité, il ne cherche pas non plus vraiment à se faire oublier comme en témoignent les nombreux regards caméra des enfants.
Nous avons ensuite la mise en place par le maître d’un très joli échange sur les cauchemars d’Axel. Le film de Nicolas Philibert nous offre de nombreux dialogues entre l’élève et le maître, la caméra reste en plan fixe pour nous laisser apprécier ces moments simples et uniques où l’improvisation des enfants fait partie intégrante du scénario. Avec Etre et avoir, Philibert témoigne d’une rare qualité d’ouverture et d’écoute. Son film parvient à cerner l’enfance, avec une sensibilité rare pour aborder ces instants uniques de la vie. Il fait bon vivre dans la classe de Monsieur Lopez. Il entretient une atmosphère chaleureuse malgré son air rigide et son ton un peu sévère. Il règne sur la classe dans le respect et dans l’intérêt de ses élèves. Ce film ne serait il pas là pour nous faire rêver d’une école où le dialogue serait omniprésent et où chaque élève aurait sa propre place ?
La volonté de Nicolas Philibert est de raconter des histoires à partir des lieux qu’il investit, mais l’idée surgit souvent à l’improviste : « Avant de faire ce film, je crois que j’avais oublié à quel point il est difficile d’apprendre, mais aussi de grandir. Cette plongée à l’école me l’a rappelé avec force. C’est là, peut-être, le vrai sujet du film. ». Vigo, par la réalisation d’un film autobiographique, prend du recul sur les souvenirs d’une enfance enfermée et brimée. Tandis que Truffaut, lui, rend hommage à son acteur favori Jean-Pierre Léaud dont il fût, comme Itard pour Victor, le pédagogue. Malgré les critiques, Bresson adapte l’histoire de Bernanos au cinéma en transposant par le rythme et les images toute la sensibilité de Mouchette, cette petite fille enlisée dans le mal autour d’elle. C’est donc des raisons sensiblement différentes qui ont poussé chacun de ces quatre cinéastes à mettre en scène des enfants et à les prendre pour témoins. En découle naturellement quatre représentations très différentes de l’école. Cependant, dans l’ensemble de ces films transparaît le désir du réalisateur de restituer le regard de l’enfant sur l’école, et à travers elle, sur le monde des adultes. Cette perspective permet au réalisateur comme au spectateur, d’y projeter ses propres souvenirs d’enfance, rendant ainsi le film très émotionnel.
Une autre dimension majeure des films sur l’enfance et l’école est la critique ou l’éloge d’un type de pédagogie. Pour une étude plus spécifiquement axée sous cet angle de vue, le film réalisé en 1949 par Jean-Paul Le Chanois L’École buissonnière serait un excellent complément à ce corpus. Ce film relate les débuts du célèbre pédagogue Célestin Freinet, interprété par Bernard Blier. Observant un certain manque d’intérêt de la part de ses élèves, Célestin Freinet, alors jeune instituteur, décide de changer radicalement ses méthodes.