Car Anna passe ses nuits avec Théodore dans l’endroit qu’ils infiltrent désormais chaque soir. Elle passe surtout ses nuits avec la magie d’un instant si parfait qu’elle voudrait le répéter à l’infini. Il y a des grottes à explorer, des bâtiments abandonnés aussi fastes que le petit Trianon. D’autres personnes y vivent, ils s’en rendent bientôt compte : un sans-abri ici, d’étranges groupes de méditation là. Peu importe, c’est leur parc à eux, l’endroit qui les unit et en dehors duquel leur relation s’essouffle, littéralement : Théodore, loin de leur pré carré, fait des crises d’asthme, le forçant à se shooter à la ventoline. Anna veut bien aller chez lui, il faut vite y retourner. Au mi-temps du film, l’interview face caméra d’un psychiatre vient rompre le fil romanesque : muté en province, un patient qui traversait chaque jour les Buttes tomba gravement malade et n’eut d’autre choix que d’y revenir. Sébastien Betbeder, dont c’est le deuxième long métrage après Nuage (2007), brouille malicieusement les pistes de récit, croise les niveaux de narration. Au spectateur de les démêler, ou de s’y abandonner.
L’exercice s’enlise parfois, aurait sans doute gagné à être plus resserré. Il s’en dégage pourtant une liberté qu’on voit rarement dans le cinéma français, un onirisme qui rend Les Nuits avec Théodore aussi doux qu’une nuit d’été. Anna porte des robes légères et des perfectos en cuir fin ; Théodore des sweats en coton sous des vestes en velours. Ils se découvrent, s’aiment, bientôt moins qu’ils n’affectionnent les pelouses du parc. Le film de Sébastien Betbeder vacille souvent, s’égare dans certains plans comme ses amants sur les chemins des Buttes. C’est sa beauté : en montrant les balbutiements des débuts d’une relation amoureuse, le besoin d’ancrage dans un lieu de deux jeunes adultes pas tout à fait prêts à sortir de l’enfance, il grandit avec eux, se finit sur le constat cruel que le temps suspendu ne peut jamais être éternel.