Les Nouveaux sauvages

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Lorsque l’homme civilisé laisse la place à la bête sauvage qui est en lui… A voir.

En compétition officielle au dernier Festival de Cannes Les Nouveaux sauvages ont, lors de la projection, paraît-il, beaucoup fait rire la salle. De ce qu’il faut bien retenir comme un petit événement étant donné le peu d’occasions qu’offre habituellement la sélection cannoise de s’esclaffer, il ne faut surtout pas en déduire que ce film est une comédie. Loin de là. Le dernier film de l’Argentin Damien Szifron (réalisateur, notamment d’El Fondo, en 2003) est bel et bien un drame – sa touche déjantée (donc pouvant parfois prêter à rire) étant certainement due pour une large part à l’influence de son producteur, qui n’est autre que Pedro Almodovar.

Avec un tel parrainage, il fallait s’attendre à quelque chose de corsé et nous verrons que de ce point de vue, nous ne serons pas déçus, d’autant plus que Szifron a choisi une forme très particulière pour son troisième opus : le film à sketches. Guère en vogue à l’heure actuelle, cet exercice – suite de courts métrages le plus souvent sur un même thème – a eu ses heures de gloire dans l’histoire du septième art. Citons, par exemple : Tout ce que vous avez voulu savoir sur le sexe sans jamais osé le demander, de Woody Allen, en 1972 ; Le Plus Vieux métier du monde (1967) du trio : Claude Autant-Lara, Mauro Bolognini et Philippe de Broca, ou Sept fois femme de Vittorio De Sica, toujours en 1967.

 

De quoi s’agit-il ici ? D’une série d’histoires, de tranches de vie, aurait dit l’autre, sur la sauvagerie qui sommeille en nous et qui peut se réveiller à tout moment, dans un monde où le stress et la déprime peuvent nous faire soudain sortir de la route, caler ou exploser, transiger, trahir, mais aussi bastonner, poignarder – notre prochain. Dans le dossier de presse, un slogan résume le propos : « on peut tous péter les plombs »… Ainsi, le cinéaste argentin met donc en scène des petites fictions dont le ou les protagonistes à force d’être poussés à bout par des petites humiliations quotidiennes, ou mus par une jalousie amoureuse ou par la vengeance pure et simple, vont devenir brusquement des bêtes sauvages, abolissant d’un seul coup les préceptes de bienséance minimaux qu’impose la vie en société, abandonnant en un éclair leurs habits de personnes civilisées pour revêtir le pelage des grands fauves. L’épisode le plus réussi est celui du « pétage de plomb » d’un ingénieur en démolitions (excellent Ricardo Darin), menant une vie normale entre son travail et sa vie de famille, qui va basculer dans la violence puis carrément dans le terrorisme à cause d’une anecdotique contravention au stationnement. Il deviendra après avoir tout perdu (femme, travail) une gloire nationale…

 

Du franchissement hyper-rapide de la frontière très étroite entre la civilisation et la sauvagerie qu’accomplissent les personnages du film, vient sans doute le rire. Un rire cathartique en somme, une forme de purification, un défouloir. Ce rire serait la manifestation du plaisir que nous éprouvons à déléguer nos pulsions refoulées à des personnages de fiction pour qu’elles explosent. Ce serait le plaisir de voir transgressé par des personnes qui nous ressemblent curieusement, mais hors du réel, ce qu’interdit la société. Ce sont ces interdits – et leur corollaire : une violence contenue infligée à nous-mêmes, des frustrations – qui volent ici en éclat. Ce serait donc à une sorte de défoulement que nous convie Szifron. Mais ne rit-on pas, au contraire, pour se détourner de la réalité brandie sous nos yeux ? Celle-ci est toute simple et concerne chacun de nous. Elle stipule que le vernis de civilisation nous permettant de vivre en société est comme son nom l’indique très fragile, qu’il peut se rompre à chaque instant. Cette sauvagerie en puissance chez l’homme dit civilisé n’est pas vraiment un scoop et a depuis longtemps été théorisée (cf. Hobbes et son L’Homme est un loup pour l’homme), mais nous pouvons rendre grâce au cinéaste argentin d’illustrer cette idée une nouvelle fois et de manière efficace, avec un film très bien rythmé et maitrisant le tempo si particulier du film court, équivalent en quelque sorte de la nouvelle pour la littérature. Si ces nouveaux sauvages sont si effrayants, c’est qu’ils sont nos contemporains et qu’ils sont aux prises, comme nous, avec l’accélération des rythmes de vie, l’éclatement de la famille, la finance prédatrice, la corruption… D’ailleurs Szifron déclare toujours dans le dossier de presse : « Je pense à notre société occidentale et capitaliste comme une sorte de cage transparente qui amenuise notre sensibilité et dénature nos rapports ». Damian Szifron a donc voulu résolument inscrire l’action de son film dans le monde moderne contemporain et argumenter sur le rôle néfaste que jouent la modernité et la technique dans la violence et la bestialité pouvant surgir à tout instant de chaque individu. Bien lui en a pris car la démonstration est forte et lorsque nous regardons vraiment le film en face, nous nous apercevons alors, que nous en sommes (la nature humaine), le sujet – et, là, on rigole beaucoup moins.

 

 

Titre original : Relatos salvajes

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Durée : 122 mn


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