Les Gouffres

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Femme au bord de la crise de nerfs.

Quelque part, à l’autre bout du monde, cinq immenses gouffres se sont formés du jour au lendemain. Une équipe de chercheurs, emmenée par le professeur Georges Lebrun (Mathieu Amalric), est envoyée sur place pour tenter d’expliquer ce phénomène. Tandis que Georges part à la découverte de ces abîmes, sa femme France (Nathalie Boutefeu), restée seule dans un hôtel dont elle semble être la seule cliente, va peu à peu sombrer au sens propre, comme au sens figuré.

Après plusieurs courts métrages, et quelques portraits de cinéastes (comme Kenneth Anger ou Koji Wakamatsu), Les Gouffres est le premier long-métrage (1h05 seulement) d’Antoine Barraud. Fasciné depuis son enfance par les mystères des profondeurs, qu’elles soient tanières de monstres ou cavernes au trésor, le réalisateur a toujours voulu savoir ce qui était tapi dans l’obscurité, que ce soit sous terre ou au fond de nous-mêmes.
Gouffre : « Trou vertical, effrayant par sa profondeur et sa largeur. Ce qui est insondable. Niveau le plus bas du malheur. Synonymes : abîme, précipice » (d’après Larousse). L’idée du film, qui se retournera contre lui, est d’illustrer toutes les définitions de ce mot, de donner un sens propre à celui qui n’était que figuré. Au détriment de l’inexpliqué.

 

Durant la première demi-heure, l’atmosphère distillée par la mise en scène laisse présager du meilleur. Un vieil hôtel, isolé au milieu de montagnes embrumées, auquel on accède par une longue route sinueuse ; nous sommes aussi désorientés que France lorsqu’elle arrive dans ce lieu inconnu. Une fois son mari parti pour les gouffres, seul le téléphone la reliera à un monde familier (son travail et ses amis) qui cessera pourtant vite de l’être. Car ces gouffres, et les fréquents tremblements de terre qu’ils engendrent, ont creusé un trou dans le réel, un appel d’air qui donne droit de cité au refoulé, au sein d’un espace réglé. Et compréhensible. Jusqu’à ce que France se retrouve abandonnée à elle-même, la nuit, dans sa chambre : un oiseau vient s’écraser contre le mur et on pense à un signe annonciateur de la fin du monde, un phasme grimpe le long du papier peint et c’est Kafka qui vient à l’esprit. Sans parler de cette étrange gouvernante américaine surgie littéralement de nulle part. Des traces simples d’un dérèglement, qui créent une angoisse diffuse mais tenace, angoisse qui prend finalement corps quand France découvre un nouveau gouffre, cette fois-ci sous son propre lit. Elle va alors décider de s’y aventurer, de passer de l’autre côté du miroir, sauf que les émules d’Alice commencent sérieusement à lasser.

Plus elle s’enfonce sous terre, plus l’inquiétante étrangeté qui imprégnait le film se dissout. Sous terre, il se passe des choses étranges, il faut donc « faire » étrange. Musique lancinante, plans flous (puisqu’elle est dans le flou), cadres bancals (puisqu’elle est déstabilisée), le réalisateur nous crie au visage que là, vraiment, France est au fond du trou. Les déformations de l’image, parfois intéressantes quand France se met à ressembler à une peinture rupestre, ne stimulent pas notre imagination. Encore une fois, l’inconnu reste plus effrayant que ce qui peut prendre une forme définie ; et l’idée d’un précipice ouvert sous un lit provoquait un malaise plus grand que la vue de ce qu’il abrite. L’exploration tue le secret et la caution métaphorique agace : descendre dans un abîme comme on descend en soi pour sonder ses propres failles. L’intention est tellement lisible qu’elle empêche une autre vision du film. Le noir souffre parfois de trop de lumière.
 

Titre original : Les Gouffres

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Durée : 65 mn


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