Si l’on considère la naissance du cinéma avec Méliès, en 1895, et la projection de documentaires sur des sorties d’usine ou de trains arrivés en gare, il ne faut plus très longtemps pour découvrir les premiers longs métrages qui mettent en scène des personnages historiques : Jeanne D’Arc en 1900. Certaines sources indiquent même qu’en 1895, The Execution of Mary Queen, est le premier Biopic. Suivent Moïse en 1906 de Stuart Blackton, et puis quelques repères non exhaustifs : Napoléon d’Abel Gance en 1927, Jules César de Mankiewicz en 1953, Lawrence d’Arabie de David Lean en 1962, Malcom X de Spike Lee en 1993.
Mais qu’est-ce qu’un Biopic ? Nous avons cité ci-dessus des biographies de personnages de l’Histoire : il faut savoir qu’un Biopic concerne tous les genres du cinéma, dont celui qui nous intéresse plus particulièrement en ce moment, le Biopic Musical. Selon le Dictionnaire du Cinéma, c’est la « reconstitution de la vie d’un individu, et donc d’une période donnée », « c’est un repère essentiel de l’histoire du cinéma, un pivot autour duquel s’articule la mémoire d’un art, d’une civilisation et d’une société ». Il faut donc bien distinguer documentaire pur et Biopic : le premier rassemble, la plupart du temps, des témoignages, des archives et des images de lieux comme Shoah de Lanzmann ou les films Fahrenheit 9/11 et Bowling for Columbine de Michael Moore ; le second se sert de ces documents pour retracer de manière dramatique l’Homme ou l’Histoire.
Dans le Biopic musical, il faut aussi distinguer les fictions qui se servent d’une bande originale très complète pour raconter une histoire ordinaire mais qui sont parfois plébiscitées pour cette bande sonore : A Hard Day’s Night avec les Beatles en héros, image et son, Hair de Milos Forman comédie musicale sur les hippies et le Vietnam, Cry Baby de John Waters avec Johnny Depp en sosie de Presley…
Mais pourquoi le Biopic est-il si prisé par les cinéastes et les spectateurs ?
L’IDENTIFICATION comme moteur de CREATION
“ To do it is to really try and not let like—to not manipulate the character where you think the character is going to go—to just be it. “. Ces quelques mots sont issus d’une interview de Michael Pitt, le 13 juin 2005, au sujet de Last Days, le Bio pic de Gus Van Sant sur les derniers jours de Kurt Cobain. L’acteur exprime un peu sa peur de jouer Blake car le réalisateur lui a donné peu de matière et Pitt devait se laisser aller à ses sensations. Et c’est bien ce que permet le Biopic, autant pour le cinéaste – qui exprime une partie de lui au travers d’un personnage emblématique, par exemple Scorsese avec Howard Hugues dans Aviator –, que pour l’acteur – qui fait survivre le personnage -, ou que pour le spectateur – qui se plonge dans une sorte de nostalgie lumineuse et redécouvre ses souvenirs, comme une chanson qui marque un moment de notre existence.
Last Days n’est pourtant pas exactement un Biopic, mais son traitement – « sa respiration singulière, donne curieusement au spectateur une liberté, un souffle inégalé » écrivait Ariane Allard dans La Provence, au sujet du film de Gus Van Sant – est précurseur d’une tendance qui se confirme dans le Biopic : la déconstruction pour mieux laisser une empreinte.
La Môme et I’m not There : des trains pas comme les autres.
I’m not There, dernier Biopic musical en liste, retrace sept différents visages de Bob Dylan. Qu’est-ce qui a pu motiver le réalisateur Todd Haynes, déjà à l’origine d’une biographie glam intitulée Velvet Goldmine ?
Todd Haynes a clairement exprimé dans ses interviews qu’il ne cherchait pas la vérité sur Dylan, mais qu’en se plongeant dans sa vie et son œuvre, il se trouvait face à un personnage complexe, insaisissable, et que cette mosaïque de personnages lui permettait le mieux de traduire l’empreinte laissée par l’artiste à toute une génération.
« Les soubresauts de la créativité », comme le nomme le réalisateur, c’est aussi ce qui permet peut-être à ce film et aux Biopics en général d’être si poétiques et en même temps si populaires, comme les artistes qu’ils dépeignent.
Et c’est aussi ce qui caractérise la perception de Olivier Dahan avec La Môme. Comme il le dit sur le site officiel de son film : « L’idéal de tout artiste est de parvenir à l’universel (…) j’essaye d’avoir une démarche de peintre ». Et c’est bien ce qu’on ressent dans La Môme, on assiste à un défilement d’images, comme si on traversait un tunnel dans un train, comme si on dansait dans un bal à la recherche d’un ami ou d’une fille à saluer, et Dahan d’ajouter : « Je ne voulais pas une reconstitution mais une immersion ».
C’est bien l’immersion qui permet à la fois à l’acteur et au cinéaste de rendre compte de la création et souvent de la nécessaire déconstruction ou du chaos pour s’élever au-dessus de la mêlée. « L’épanouissement est dans le chaos », leitmotiv de certains poèmes de Blake et de Val kilmer dans la peau de Jim Morrison pour le Biopic The Doors, semble être la nouvelle condition pour assurer la pérennité et l’engouement des Biopics…
Mais qu’en pensent les derniers acteurs de célébrités ?
Joaquin Phoenix, l’interprète de Walk the Line, Biopic sur Johnny Cash, est connu, semble-t-il, pour sa timidité à donner des interviews ; néanmoins il ressort que comme beaucoup de timides, quand il se confesse, la vérité éclate : il a rencontré Johnny Cash, avait peur, et a été admirablement surpris lorsqu’il a découvert que l’artiste n’était à l’aise qu’avec sa guitare… un point commun avec lui dans la manière de s’exprimer. Contrairement à certaines idées reçues, Joaquin ne se plonge pas tout de suite dans l’introspection ou l’imitation, il va dans des directions parfois opposées au script jusqu’à ce que le rôle vienne. Autre trait de caractère, il n’utilise pas d’expériences personnelles pour composer une émotion.
Jamie Foxx, l’interprète de Ray, Bio pic sur Ray Charles, semble quant à lui plus proche de ce qu’on appelle La Méthode Actor’s Studios, à savoir observer minutieusement les faits et gestes du personnage : il a suivi pendant un an le vrai Ray, l’a filmé pour s’imprégner de lui. Pourtant son objectif est d’éviter la caricature.
Immersion, introspection, déconstruction, autant d’adjectifs qui font des personnages de Biopics des êtres à part et de ceux qui leur rendent hommage également des poètes. Et si le Biopic à de beaux restes puisque, hormis la sortie du film sur le Ché avec Benecio Del Toro, se préparent une Bio sur Edgar Poe par Stallone, sur Coluche par De Caunes, et peut-être Pacino en Dali, c’est aussi parce qu’il rend compte de l’Histoire et des Personnages qui inspirent notre façon de penser et d’agir.