Les Arcs Film Festival : soirée d’ouverture

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Une soirée d’ouverture prometteuse et un film français des plus européens.

Ce samedi 14 décembre, nous avons pu assister à la cérémonie d’ouverture du Festival de Arcs animé par son président, Claude Duty, enchanté de présenter son jury long-métrage composé de grands noms du cinéma : le réalisateur Guillaume Nicloux, le scénariste Santiago Amigorena, la réalisatrice Ildiko Enyedi, l’actrice Nina Hoss, l’auteur et réalisateur Atiq Rahimi et l’acteur Antoine Reinartz.

Claude Duty, accompagné de son directeur artistique Frédéric Boyer, étaient heureux de présenter en avant-première un film des plus européens au casting cinq étoiles : “Les Traducteurs”, signé Régis Roinsard, en salles le 29 janvier prochain. En présence d’une partie de la prestigieuse équipe du film, une assemblée de privilégiés a pu découvrir ce “whodunit” à la française, audacieux et très attendu.

 

 

De gauche à droite : Lambert Wilson, Anna Maria Sturm, Riccardo Scamarcio, Maria Leite, Frédéric Chau et Alex Lawther.

 

Le pitch : Isolés dans une luxueuse demeure sans aucun contact possible avec l’extérieur, neuf traducteurs sont rassemblés pour traduire le dernier tome d’un des plus grands succès de la littérature mondiale, le tome trois de la saga “Dédale”. Mais lorsque les dix premières pages du roman sont publiées sur internet et qu’un pirate menace de dévoiler la suite si on ne lui verse pas une rançon colossale, une question devient obsédante pour l’éditeur à succès Eric Angstrom : d’où vient la fuite ?

Greed. Passione. λόγια. 資本主義. Ausgabe. Literatur. Misterios. безумство. Inspirationer.

Les traducteurs est une déclaration d’amour à la littérature. Si le film excelle en un point, c’est bien celui de mettre en images et en mots la passion du livre, de l’art et du langage. Dans les dialogues, les gestes, les références, le souffle des acteurs connectés à leurs personnages… Mais surtout dans la façon de sacraliser la traduction. “Traduttore, traditore” pourrait nous dire Dario Farelli – le personnage burlesque interprété par Riccardo Scamarcio. Car tout l’enjeu est là et les personnages en parlent justement : comment comprendre et s’imprégner d’une oeuvre, y trouver les bonnes références, le juste sous-texte ? Le traducteur doit-il, comme l’écrivain, trouver l’inspiration ? Doit-il laisser venir les choses ou juste travailler sa ré-écriture avec une précision de doreur sur bois ? En dépeignant des personnages farfelus, divers, parfois caricaturaux, la première partie du film nous montre combien les traducteurs prennent à coeur leur travail. Nous pouvons même parler de soldats en mission : celle de transmettre au mieux la pensée d’autrui, avec tout ce que cela engendre de prise de risque et de finesse. De l’orfèvre, un ouvrage passionné et fiévreux que chaque personnage vit à sa manière ; Katerina Asinova, traductrice russe interprétée par Olga Kurylenko, en vamp obsédée par le livre “Dédale”, une groupie aux limites de la folie douce. Telma Alves, incarnée par Maria Leite, en punk avide de se faire payer pour survivre. Helen Tuxen, jouée par la grande Sidse Babett Knudsen, en écrivaine ratée qui rêve d’une vie meilleure… Tous ont un rapport particulier à cet amour de la littérature. Ce qui en fait de parfaits personnages à la Agatha Christie. Mais que représentent ces élus, chargés de porter la voix d’un autre… pour tous ? Ce que le film tente de nous montrer, c’est bel et bien ce qui les habite.

Pour cela, le réalisateur a choisi une brochette d’acteurs fins, épris de leurs rôles, que l’on sent heureux de porter les messages du film. Lambert Wilson seul, dont la voix nous transporte et nous mène en bateau tout au long du film, incarne tous les méfaits et les dérives liées à l’évolution du monde – ici, en l’occurrence, du monde l’édition. Une mise en abîme de notre société dans ce microcosme étouffant… Ce qui d’ailleurs nous fait nous demander, quand nous les voyons se faire enfermer dans ce manoir-bunker par un éditeur cupide et vénal : cela pourrait-il vraiment aller jusque-là, en vrai ?

 

 

Outre une ode passionnelle à la profession de traducteur, ce film semble aussi poser la question de l’intrigue ; Car dans une histoire, l’intrigue est-elle toujours celle que l’on croit ? L’intrigue des Traducteurs est-elle de trouver qui fait fuiter les pages du best-seller tant attendu ? L’intrigue n’est-elle plutôt pas dans la résonnance de l’énigme dans chaque personnage ? Voire dans leur énigme personnelle : pourquoi agissent-ils ainsi ? Qui sont ces gens aux motivations diverses ? Pourquoi développent-ils d’étranges fascinations ?

Les personnages, dont on aurait adoré qu’ils soient plus creusés, n’évoluent pas totalement dans un huis-clos. Certaines scènes se rapprochent du film d’action hollywoodien – pour ne rien révéler de l’intrigue, parlons par exemple d’une course poursuite au coeur de Paris. Ces tentatives d’apporter de la tension s’avèrent inefficaces. La course-poursuite ne fait pas d’étincelles, pour ainsi dire. Car ce qui nous démange le plus, nous, spectateurs, c’est plutôt de plonger dans les tréfonds des personnages, de fouiller en eux, de creuser leurs démons ; pas d’essayer d’avoir des frissons avec un remake à la française du dernier Mission Impossible dans les rues de notre capitale… Si le film arrive à satisfaire notre curiosité presque malsaine grâce à l’évolution bien construite de certains personnages (impossible encore une fois de révéler lesquels, pour les besoins du twist final…), nous sommes parfois frustrés de ne pas en savoir plus sur les autres et aurions préféré troquer quelques maladroites scènes d’actions pour une plongée en profondeur dans les abîmes de ces âmes tourmentées. Au fur et à mesure de l’intrigue, Roinsard donne à voir des êtres humains parqués comme des animaux pour alimenter la grande bête noire de l’édition de masse. Un monde cruel, pavé de bonnes intentions mais en réalité dirigé par le profit. Une déshumanisation de l’art, sous prétexte de mieux le préserver, où la docilité de l’être humain est poussée à son extrême… jusqu’à-ce qu’on finisse par les traiter comme des animaux. Cette fantastique idée scénaristique suffit à créer la tension chez le spectateur. Jusqu’où peut aller le grand capitalisme pour asservir les masses avant que quelqu’un ne réagisse ? Quel élément clef permet à l’être humain de se rebeller contre un système qui l’empoisonne à petit feu ?

Pour citer l’auteur : “Le crime est une forme de théâtre” et ici, nous sommes vraiment dans une pièce de théâtre audacieuse. Néanmoins, si le film parvient à nous tenir en haleine, il ne répond pas à sa promesse esthétique. L’image est propre mais fade, les décors censés être grandiloquents sont en réalité inhospitaliers. Mais n’est-ce pas un moyen de nous faire voir que ce que l’on croit magnifique n’est en réalité qu’une prison faussement dorée ? Dans ce film, la symbolique est importante. Tant par les références que pour mettre en valeur la passion de la littérature… à voir donc si cela n’est pas encore un moyen de nous mettre sur une fausse piste afin de mieux nous épater par la suite.

Les traducteurs est également un hymne au multiculturalisme. Régis Roinsard met en valeur la diversité, la beauté des cultures, des langues, et les bienfaits de leur cohabitation. La multitude de langues et d’accents que l’on peut entendre dans le film est un bonheur, tant à l’oreille qu’à la vue. Encore une fois, les jeux d’acteurs sont fabuleux en ce sens que chacun jongle avec les mots et les langues avec une aisance impressionnante.

Le film était donc un excellent choix pour l’ouverture du Festival des Arcs, fervent défenseur du cinéma européen dans ce qu’il a de plus riche et divers.


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