Le nouveau livre d’Albert Montagne porte un bien joli titre, Les Alices aux pays des cauchemars. Ce pluriel insistant nous intrigue mais on va vite comprendre, grâce au sous-titre, « De Walt Disney à Marilyn Manson », que ces Alices et ces cauchemars sont nombreux et fort inquiétants. L’auteur est docteur en histoire, maître en droit public et, surtout, spécialisé dans la censure du cinéma et on peut dire qu’il a du travail en ce moment. La censure fait rage de nos jours. Même si, constitutionnellement, elle est toujours interdite, elle se faufile un peu partout en utilisant des masques et des hypocrisies. Mais un des ouvrages précédents qu’il avait dirigé pour CinémAction en 2008, Monstres, du mythe au culte, en dit long sur une de ses nouvelles orientations : la monstruosité. Son dernier opus en témoigne car, à travers les différents visages de l’Alice de Lewis Carroll, revisitée par Walt Disney dans un premier temps, Albert Montagne s’approche au plus près et de la création et de ses avatars contemporains. C’est très intriguant en effet puisqu’il nous offre une visite de plusieurs Alices et de ses cauchemars, ainsi Tim Burton, Claude Chabrol, Louis Malle, Roman Polanski, Guillermo del Toro, et même Marilyn Manson. C’est aussi une analyse de notre société, son hypocrisie et son côté mortifère à laquelle se livre Albert Montagne à travers dix chapitres tous passionnants qui abordent de multiples films comme What ? de Polanski, Black Moon de Malle, Alice ou la dernière fugue de Chabrol, Le labyrinthe de Pan de del Toro bien sûr, mais aussi des oeuvres moins connues comme celle de Lewis Carroll avec ses Jabberwokies et autres Toves, sans oublier Tim Burton et bien sûr Walt Disney que trop de parents jugent comme édulcoré et sans risque pour les enfants. Il n’en est rien bien sûr et ce livre, en contrepoint de la censure, évoque tout ce qui fait peur, enlaidit et étonne par cette inquiétante étrangeté qui nous fascine. « Mais au cinéma, le monde des rêves, popularisé par l’hyper connu, trop médiatique et monopolistique version dysneyenne, très bon enfant, respectueuse et morale, obéissante et joyeuse, est aussi celui des cauchemars, diurnes et nocturnes. Ce pays bien éloigné et caché de nos esprits dévoile une vision noire et pessimiste, négative et terrifiante, trop longtemps occultée et oubliée, voire méconnue et ignorée. Il ne faut pas oublier que Les aventures d’Alice au pays des merveilles (1865) est précédé d’une première mouture, plus courte et au titre bien plus évocateur, Les aventures d’Alice sous terre (1863). C’est ce côté souterrain et mortifère, sombre et obscur, dédaléen et mystérieux, qui ouvre de nouvelles pistes jusqu’alors peu visitées, voire jamais explorées et soupçonnées. » Voilà qui donne le ton d’un livre original, plaisant et savant sans être prétentieux qui va permettre à tout un chacun de découvrir la face obscure du cinéma même et y compris dans sa version la plus inattendue, celle du divertissement empruntant des oripeaux philosophiques, comme le film culte des soeurs Wachowski et leur inénarrable Matrix…
Albert Montagne. Les Alices aux pays des cauchemars. L’Harmattan, coll. Champs Visuels, Paris, 250 pages. 26 euros.