L’Enfer est une ébauche filmique, une oeuvre jamais terminée, un tourbillon d’expérimentations sans fin, un délire psyché piégé dans treize heures de pellicules.
Ces bandes de films sont comme les spirales hypnotiques de l’art cinétique, elles semblent infinies : en nombre, elles représentent des heures et des heures d’enregistrement ; formellement, elles enregistrent des objets en mouvements, (spirales, triangles, jeux de lumière) qui se définissent et se redéfinissent sans cesse, dans la même mutation constante, illimitée, qui définit l’art cinétique.
Au départ, une idée : un homme (Serge Reggiani), imagine sa jeune épouse (Romy Schneider) le tromper. Peu à peu, sa paranoïa s’amplifie, le réel et l’imaginaire se confondent. Les ébats adultères sont filmés en couleurs et imitent l’art cinétique en insérant des objets mouvants sur lesquels sont projetés des lumières inquiétantes (Romy Schneider en robe de mariée sur fond noir, porte un objet à spirales qui se mue avec les jeux de lumière, tout en nous regardant les yeux en délire)
Et c’est justement cet envers que le perfectionniste Clouzot cherche à saisir; d’un côté, son noir et blanc millimétré, storyboardé, pré-calculé, (Les Diaboliques – 1955, L’assassin habite au 21– 1942, Quai des orfèvres, 1947), de l’autre, un miroir en couleurs qui réfléchit ses angoisses créatrices.
Clouzot est parti d’une sensation, d’un malaise physique, un poids lourd observé sur sa poitrine au moment de s’endormir. Comme tout artiste, il cherchait à re-transcrire dans sa création un sentiment, une sensation. Ici, c’est par le mental et le jeu détourné des images psychédéliques qu’il parvient à s’enfoncer dans le psychisme, jusqu’à provoquer la même sensation de malaise qui l’atteignait le soir au coucher.
Le tournage, n’était qu’essais, tests, expérimentations, et même les scènes de fiction en noir et blanc ne suivaient plus aucun fil rouge, tant Clouzot, dans son infinie insatisfaction, les retournait, les ré-écrivait sans cesse. Ces recherches, dont certaines nous sont permises de voir dans le documentaire de 2009, constituent, bien qu’émiettées, détachées les unes des autres, une oeuvre à part entière.
Destruction filmique
C’est une oeuvre sacrifiée, car elle ne se limite pas aux bobines, et dans cette optique, il y a destruction de l’oeuvre cinématographique au profit de quelque chose d’organique qui s’échapperait du tissu filmique, comme un objet palpable, quelque chose qui sortirait des bandes, et qui pourtant est demeuré piégé dans les 185 boîtes rondes.