Leila et ses frères

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Portrait d’une famille autour d’une femme de caractère.

Après La loi de Téhéran

Interdit en Iran depuis sa présentation au festival de Cannes cette année, on aurait pu espérer mieux que le prix de la Fipresci (pourtant prestigieux car décerné par la presse de cinéma internationale) pour le troisième long-métrage du prometteur et courageux réalisateur iranien, qui s’était fait connaître il y a trois ans avec La loi de Téhéran (César du meilleur film étranger) et déjà, en 2016, avec le multi-récompensé, Life and a day. Avec Leila et ses frères, Saeed Roustaee s’attaque à la peinture de la société iranienne à travers le portrait d’une famille qui vit à l’étroit dans un appartement régenté par Leila, et le père, sorte de patriarche ruiné qui règne sur les quatre fils de la maison un peu ratés, et très velléitaires. Le réalisateur n’a pas voulu opérer les coupures que lui ordonnait la censure iranienne (on se demande d’ailleurs lesquelles car le film n’est ni choquant, ni injurieux envers le pouvoir) et le film a ainsi été interdit en Iran, sans doute parce que les mollahs censeurs ont trouvé qu’il ne donnait pas une image très positive de leur pays. Et pourtant ce film est une merveille, presque un huis clos dans un appartement que Saeed Roustaee a demandé à ses décorateurs d’imaginer trop petit, juste pour accentuer la promiscuité et le manque d’intimité.

Une autre vision du patriarcat

Lorsqu’on parle de patriarcat de nos jours, et de manière souvent absurde et ridicule dans nos contrées occidentales, on ne mesure pas la force qu’il faut aux femmes iraniennes pour résister et s’imposer, elles qu’on oblige à se voiler et auxquelles on refuse bien des droits élémentaires. Pourtant Leila, comme dans un film néoréaliste italien dont le réalisateur s’inspire au moins pour l’ambiance, les couleurs et les images de Hooman Behmanesh, les décors de Mohsen Nasrollahi et le montage de Bahram Dehghan, se présente comme une héroïne du quotidien aux prises avec le réel, le malheur et remplaçant presque la mère trop soumise. On crie, on s’insulte, on se dispute comme chez Risi, Fellini ou de Sica car la famille est prise au piège de la précarité qui s’est installée en Iran depuis l’arrivée au pouvoir d’Ahmadinejad ainsi que le relève le réalisateur lui-même. Face à cette crise sociale et économique qui leur retire peu à peu un certain confort de vie, et parce que le patriarche a décidé de donner une grande somme d’argent en l’honneur d’un cousin qui va se marier, pour devenir lui-même parrain de la famille, le titre le plus honorifique et prestigieux dans la tradition persane, Leila va devoir régenter tout son monde et trouver un moyen pour qu’ils s’en sortent. Ce moyen sera l’achat d’un petit commerce mais elle ne parviendra pas à resouder son clan, mais plutôt à le faire éclater autour de la figure paternelle puissante et fragile à la fois.

Une tragédie portée par l’immense Taraneh Alidoosti

Le film, outre l’influence du cinéma néoréaliste comme beaucoup de films iraniens actuels, est bâti comme une tragédie grecque avec la présence forte et invincible du fatum. C’est de cette manière qu’il faut comprendre la dernière scène du film que nous ne dévoilerons pas bien sûr mais qui est d’une force inouïe et d’une tristesse infinie puisqu’elle résume en un seul plan la destinée humaine. Le tragique est au cœur de nos pauvres vies, semble dire Saeed Roustaee, qui déclare d’ailleurs dans le dossier de presse du film à ce sujet : « Les tragédies grecques ou de Shakespeare m’ont toujours attiré. C’est ce que j’aime lire, c’est ce que j’aime voir au cinéma. C’est une influence qui me porte, inconsciemment, lors de l’écriture des personnages de mes films. » Évidemment, cette tragédie quotidienne ne serait rien sans les immenses acteurs qui la servent comme Navid Mohammadzadeh, Payman Maadi, Farhad Aslani, Mohammad Alimohammadi, Saeed Poursamimi et, bien sûr, l’immense Taraneh Alidoosti dans le rôle de Leila qui aurait mérité un prix pour son rôle à la mesure de la grande Anna Magnani.

Titre original : Leila's Brothers

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Durée : 169 mn


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