Le voyage de Primo Levi (La Strada di Levi)

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Un voyage en images et sons à travers l’Histoire d’Europe, à l’aide d’un texte remarquable de Privo Levi: la Trêve.

Le voyage de Primo Levi est film qui échappe à toute catégorie. Un documentaire ? Peut-être, mais pas seulement. Une fiction ? Pas tout à fait, quoi que… On devrait plutôt dire tout simplement qu’il est, comme son nom l’indique, un voyage : un voyage en images et sons à travers l’histoire d’Europe, dont l’Homme devient le fil rouge.

L’idée est simple : parcourir à nouveau la route que Primo Levi (grand écrivain italien d’origine juive, rescapé des camps allemands) a parcouru d’Auschwitz à l’URSS, sur des trains de l’Armée Rouge, avant de pouvoir retourner à Turin. A travers la lecture en voix off de son texte, dédié à ces longs mois d’errance (intitulé La Trêve), Davide Ferrario se remet sur ses pas et filme au présent les lieux que Levi traversa 60 ans auparavant. Tout le charme et l’intelligence du film résident dans le parti pris étonnant de tenir ce décalage jusqu’au bout. Il n’y a pas la moindre intention de faire un film sur le livre, ni même un film de reconstitution, mais juste le projet fou d’un film actuel à l’aide d’un livre. C’est justement pour cette raison que le film dépasse largement le document(aire) historique sur la fin du nazisme, ou le document(aire) sociologique sur l’état actuel des pays de l’Est, et qu’il parvient à être les deux à la fois et bien plus encore : un film sur l’Histoire.

Mais comment est-il possible de filmer l’Histoire, qui par nature passe, s’écoule et s’échappe. En la laissant passer, pourrait répondre Ferrario. Le cinéaste la met en scène en choissant de présenter à l’écran les deux extrêmes d’une période: l’un à travers la bande son ( la voix off lisant les pages du livre situé en 1945), l’autre à l’image ( ses propres prises de vues tournées en 2007). En produisant du sens de par la disjonction de l’image et du son, il utilise alors les moyens propres du cinéma.

Ainsi les mots de Levi sur ces images contemporaines prennent une dimension toute neuve, et inattendue : qu’il s’agisse des touristes à Auswitz prenant des photos avec leur portable, ou des magnifiques paysages Bielorusses, qui réconcilièrent l’écrivain avec le monde après la douleur inimaginable des camps. Certes, pour être embarqué pleinement dans ce voyage, il faudrait se laisser bercer par le texte et les images, et les sous-titres enlèvent une partie du plaisir à ceux qui ne parlent pas l’italien. Mais le ton doux de la voix, la composition fine des cadres, le rythme du montage suffiront, on l’espère, à séduire également.

En effet c’est la paix de la trêve qui règne sur le film. La douleur des gens rencontrés le long du chemin, la misère des pays traversés, le poids d’un passé difficile, ne réussissent pas à ternir la grâce des ces lieux et des personnes qui les habitent. Ferrario filme les ruines de ce passé, les statues des ouvriers de la propagande communiste (démesurément grandes par rapport aux hommes) ou les ruines de Tchernobyl avec une sorte d‘émerveillement et de stupéfaction qui les rendent dès lors inoffensifs. La même stupeur et la même merveille que Levi manifestait dans les extraits choisis de son livre, à la joie de rencontrer des êtres humains après avoir connu les bourreaux nazis, après avoir connu l’esclavage et la torture. Des hommes qu’on prend le temps d’écouter et de connaître, avec lesquels on a l’impression de pouvoir partager les mêmes sentiments malgré la différence et les contrastes qui peuvent surgir. L’exemple le plus parlant de cette approche, c’est le moment où, dans un village situé au fin fond de la Bielorrusie, l’équipe de tournage est arrêtée par le KGB local. Ferrario filme l’interrogatoire qu’ils ont subi, décrit la peur qu’ils ont ressentie, et au passage se moque un peu de cette situation paradoxale. Mais même là, il arrive à entrevoir l’humanité de cet officier à l’air austère et on le revoit, quelques plan plus tard, boire un coup avec lui dans une situation détendue, comme deux vieux compagnons. C’est tout dire…

Comment l’homme peut-il survivre à son Histoire ? Voici qui reste un mystère. Mystère qu’un cinéaste italien à tenté de percer le temps d’un film, en profitant de ce qu’il pense être une nouvelle période de trêve, entre la fin de la Guerre froide et la nouvelle tension mondiale annoncée par le 11 septembre et confirmée par la guerre en Afghanistan et en Irak. L’homme semble subir à nouveau le charme de la mort : espérons que, cette fois encore, la vie puisse renaître, intacte, sur les visages des gens.

Titre original : La Strada di Levi

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Durée : 92 mn


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