1944. Sur le front russe, Ernst Greaber (John Gavin), officier allemand, obtient enfin trois semaines de permission et rentre à Berlin pour retrouver ses parents. La ville est dévastée, ses parents introuvables. Lors de ses recherches, il fait la connaissance d’Elizabeth Krause (Liselotte Pulver), dont il tombe amoureux. Encombré d’un matériel littéraire très dense, Sirk parvient à composer un film de guerre poignant, dénué des considérations antimilitaristes habituelles, mais néanmoins soucieux d’exprimer le ressenti d’une nation en guerre, et surtout d’une nation en train de la perdre. Le réalisateur n’épargne rien, et met l’accent sur le point de vue allemand, forcément plus rarement vu au cinéma : la peur d’être désormais un peuple haï par tous, la délation permanente des Allemands entre eux, l’opportunisme de ceux qui ont pu profiter de la guerre, la cruauté des officiers de la Gestapo, ou encore la jeunesse des soldats enrôlés à la fin du conflit.
Les soldats allemands, pour une fois « héros » du film, sont soigneusement caractérisés, et le réalisateur scrute la peur et la difficulté de faire son devoir avec une acuité glaçante. Le front, univers froid, dominé par les blancs gris et verts, n’a pas d’horizon, chaque arrière-plan est saturé de bâtiments dévastés aux angles acérés, dessinant l’état d’esprit torturé des soldats. Le même traitement est apposé à Berlin, ville en ruines dévastée par les bombardements, et dont on reste estomaqué par l’impressionnante reconstitution. C’est dans ce décor presque apocalyptique que le réalisateur restitue la fugacité d’une histoire d’amour, aussi forte qu’inappropriée, aussi impossible qu’elle n’est belle. Le mélodrame, genre que le cinéaste a enrichi de manière personnelle, trouve ici sa plus belle définition « sirkienne » : « Il est plus facile de mourir que de vivre », dira un vieil hédoniste à Ernst, alors il faut vivre aussi intensément que possible le temps qu’il nous reste, tant la mort est omniprésente.
Le plus souvent cloîtrés dans des intérieurs exiguës, les deux amants se créent des espaces de paix là où ils peuvent, et ce n’est qu’au détour d’une balade sur les quais de Rhin que s’exprimera la beauté de leur amour. La nature, toujours bienfaitrice et supérieure chez Sirk, trouve ici sa représentation dans un arbre bombardé qui fleurit malgré tout. La nature, victorieuse de la folie des hommes, est bien évidemment le symbole de l’histoire d’Ernst et Elizabeth.
Rien n’est anodin dans cette œuvre magistrale et plus personnelle qu’il n’y paraît, jusqu’à la maison où se réfugie le couple avant de se séparer, aux allures de maison de poupée expressionniste, un cocon plein d’angles et de recoins peuplés d’ombres étranges mais protectrices, où le couple, las, choisit de s’aimer une dernière fois.